Joyau sombre de la sélection officielle du 23ème festival international du film fantastique de Gérardmer, THE WITCH a remporté le prix du jury Syfy (en partenariat avec Canalsat) dont j’avais l’honneur de participer pour le Blog du Cinéma, en compagnie d’homologues de Rockyrama, Oblikon, Bulles de Culture et Café Powell. Pour retrouver l’analyse complète de la sélection officielle dont faisait partie THE WITCH , cliquez ici.
Au 17ème siècle en Amérique du Nord, les colons anglais récemment débarqués doivent réinventer la civilisation, sur des bases utopiques tirées d’une relecture des Évangiles. Un homme parmi eux refusent les lois que cette communauté veut lui imposer. Il prend comme une bénédiction la punition d’être exilé à la frontière du village. L’homme taciturne installe sa famille dans une clairière à la lisière d’une forêt austère, ce qui enclenchera une série d’évènements tous plus terribles les uns que les autres. Bientôt, l’évidence s’impose : c’est forcément une sorcière qui se jouent d’eux. Mais qui est-elle ?
THE WITCH a divisé les festivaliers comme les trois autres films qui frayaient en dehors des limites strictes du genre fantastique (Évolution, February et Bone Tomahawk), mais il est indéniable qu’il s’agit d’un excellent film. La méprise tient peut-être des attentes des spectateurs d’un festival fantastique, qui réclament pour certains une bonne dose de frayeur (bouh ! il y avait un fantôme derrière vous…) alors que THE WITCH repose presque exclusivement sur le suspense (il y a peut-être une créature étrange derrière vous…).
Pour ma part je considère que le fantastique se distingue de l’horreur, par l’ambiguïté entretenue entre le surnaturel et le quotidien. Des premières nouvelles de Maupassant jusqu’à Shining de Kubrick, la limite entre ce que nous considérons comme réel et imaginaire est questionnée voire déplacée. THE WITCH est le seul film de la sélection à répondre à cette définition car, à l’inverse des 9 autres films, il produit un effet direct sur le spectateur propre aux grands classiques du fantastique. Pour un premier film, Robert Eggers réussit à nous communiquer son enthousiasme sans tomber dans le second degré d’une bonne partie de la production culturelle contemporaine. De manière primale, on a peur pour le personnage principal, mais cette angoisse naît de l’empathie qu’on tisse avec lui au fur et à mesure de ses confrontations avec les autres, et non par référence à un univers fantastique codifié dont on pourrait attendre une relecture « méta » (ce qui impliquerait qu’on sache tout sur les films de sorcières).
La mécanique du récit de THE WITCH se rapproche d’ailleurs beaucoup plus du drame historique et familial que du pure thriller fantastique. La sorcellerie est une arme pour régler ses comptes en famille, un jeu de dupes dont sont prisonniers les colons du fait de leurs croyances religieuses : dans un monde gouverné par Dieu, le Mal n’est envisageable que par l’entremise du Diable, et la culpabilité est une affaire de malédiction. J’ai cru durant le spectacle à l’existence certaine de la sorcière, d’autant que la photographie exceptionnelle de THE WITCH permet une profondeur de champ qui fait basculer le film dans l’hyperréalisme. Plus on partage la vie en apparence simple de cette famille de paysans, et plus le fantastique s’y immisce comme une certitude. Il y a bien une créature maléfique qui rôde et qui veut du mal à cette famille (et par extension à nous dans la salle).
Pourtant, en repensant au film, je ne crois pas qu’on puisse trancher aussi radicalement. Certes, l’iconographie de la sorcellerie nous est montré frontalement, et aussi crument que le quotidien de la famille. Cependant, jamais on ne saura de quel point de vue ces images sont perçues (hallucination d’un personnage, prémonition, rêves, témoignage direct, etc.). THE WITCH est un très grand film sur la suggestion, car il réussit à persuader le spectateur et les personnages que la seule explication logique au malheur, et la seule issue du film pour résoudre sa tension initiale, réside dans la sorcellerie.
On peut dans un premier temps être convaincu que le propos de THE WITCH revient à dénoncer le fanatisme religieux qui pousse littéralement à conclure un pacte avec le Diable. Pourtant, un autre thème plus mineur prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure du film, grâce à la performance d’actrice de Anya Taylor Joy et à la complexité de son personnage (Thomasin, l’aînée de la famille).
« La photographie exceptionnelle de The Witch permet une profondeur de champ qui fait basculer le film dans l’hyperréalisme. »
Responsable des principales taches ménagères dont se délègue sa mère, mais aussi de la garde de ses frères et sœurs en bas-âge, la jeune fille doit également gérer une puberté au sein d’une famille puritaine et se retrouve très facilement bouc-émissaire de la moindre erreur commise par un des autres membres de cette micro-communauté. Entre mère-courage et adolescente empêchée, Thomasin porte toute la famille sur ses frêles épaules. Pourtant, ses parents la considèrent comme un fardeau du fait de la dot dont ils devront s’acquérir le jour de son mariage. Dans ce jeu de pouvoirs, les accusations en sorcellerie servent donc de catalyseur à une tension uniquement psychologique. Certes, ces procès d’intention ne seraient pas possibles sans la croyance viscérale de l’existence de tels pouvoirs. D’où l’ingéniosité de nous montrer la sorcellerie, d’abord dans un sous-bois lointain, puis de plus en plus proche de la maison de cette famille au triste destin.
Si le thème religieux constitue le contexte de l’œuvre, le propos principal selon moi est de s’interroger sur les conditions de la domination féminine, uniquement possible grâce au concours d’autres femmes (les mères) et à un repoussoir maléfique. Dans le contexte de cette époque, une femme dégagée de ces contraintes, affranchie du joug de sa famille, ne peut être autre chose qu’un monstre à bannir. Paradoxalement, du point de vue de la jeune femme sous pression, la sorcellerie se révèle peut-être la seule porte de sortie pour éviter de sombrer dans la folie de ce carcan familial et religieux.
THE WITCH permet une lecture moderne de la condition de la femme dans les sociétés occidentales. L’accusation en sorcellerie s’y déploya au 17ème siècle comme celle d’hystérie au 19ème : un bon moyen d’attacher la femme à la notion de Mal consubstantiel. Que ce soit au sujet de la maternité ou de la sexualité, le problème chez cette micro-communauté est de juguler la vitalité débordante d’une jeune femme qui a très légitimement le besoin de s’émanciper.
L’essentiel des dialogues et images fantastiques de THE WITCH ont été inspiré par des sources historiques : des témoignages d’époque jusqu’au procès des sorcières de Salem. Robert Eggers a tiré de ce matériau historique un film polysémique sans pour autant perdre en suspense. THE WITCH ne doit pas s’envisager comme le récit anecdotique sur une communauté bien circonscrite (les colons anglais en Amérique au 17ème siècle) mais au contraire comme un laboratoire cinématographique qui parle directement à notre époque. Vers la fin des années 1970, l’anthropologue Jeanne Favret-Saada décrivait les accusations en sorcellerie dans une communauté du bocage de la Mayenne sous une forme assez proche de ce qui est montré dans THE WITCH.
Le final du film, d’un brio technique et esthétique à couper le souffle, renvoie encore le public face à ses propres croyances. Qu’il choisisse ou non de prêter foi à la sorcellerie, le spectateur est invité à méditer sur l’impact de l’imaginaire dans sa vie intime. N’y avait-il pas d’autre choix que de croire à la sorcellerie ?
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