Après le sublime Carol et le plus modeste Musée des Merveilles, Todd Haynes poursuit son exploration des genres avec Dark Waters, thriller d’investigation dans lequel Mark Ruffalo incarne un avocat ayant mis les pieds dans un véritable scandale environnemental de pollution des eaux.
L’élément déclencheur dans Dark Waters est aussi une sorte de bascule dans la caractérisation du personnage interprété par Mark Ruffalo. Sous son allure légèrement pataude, Robert Bilott est un avocat défendant les entreprises chimiques, au moment où un paysan mandaté par sa grand-mère, vient le réclamer jusque dans ses bureaux. L’une de ces entreprises déverserait une matière dangereuse dans la rivière qui coule là où son domicile est planté et où ses bêtes s’abreuvent. Ses terres ne sont plus fertiles tandis que ses animaux se meurent. Constatant la terrible évidence, Robert va changer de camp et prendre ses responsabilités d’être humain pour faire éclater une vérité qui pourrait permettre de sauver de nombreuses vies.
Mark Ruffalo en personne, également producteur et donc particulièrement concerné par cette histoire, aurait apporté le script à Todd Haynes s’appuyant sur l’affaire DuPont. Une affaire qui commença fin des années 90 pour s’achever bien après, milieu des années 2000. Un combat de longue haleine opposant David contre Goliath en somme. Difficile en effet de parvenir à faire vaciller une institution pesant plusieurs milliards de dollars, symbolisant la toute puissance du capitalisme d’un pays. Et ce, en dépit de la présence de plusieurs preuves irréfutables que « Bob » Bilott va s’appliquer à récupérer puis à classer tout au long du film. De révélations en révélations, le sujet devient de plus en plus glaçant car nous comprenons rapidement qu’il ne se limite pas à une ou plusieurs régions d’Amérique, mais concerne bel et bien notre planète entière et ses habitants. Le carton du générique final en ce sens, pourrait faire office de dernier coup de marteau enfonçant définitivement le clou.
Todd Haynes s’empare d’un scandale aux conséquences désastreuses et peint une enquête glaçante qui appuie là où cela fait mal […] Tout en nous invitant à une prise de conscience collective, il signe un film important et particulièrement bien ancré dans son époque
En s’attaquant à cette affaire, Todd Haynes se lance dans un genre qu’il affectionne particulièrement : le film d’investigation, aux allures de thriller paranoïaque des années 70. Un genre un peu moins à la mode ces derniers temps, qui a néanmoins permis à certains de ses confrères américains de nous offrir de grands moments de cinéma. Nous citerons Révélations de Michael Mann, Spotlight de Tom McCarthy ou encore le Pentagon Papers de tonton Spielberg.
De son côté, Dark Waters ne prétend pas révolutionner le genre mais demeure malgré tout important de par son discours et particulièrement bien ancré dans son époque actuelle. D’une histoire se situant surtout au début des années 2000, le réalisateur propose un traitement esthétique très proche du documentaire, tout en rendant hommage aux films à complots des Alan J.Pakula et autres Sydney Pollack des années 70, à travers sa photographie aux couleurs froides. Les scènes d’action dans le genre, ce sont avant tout des faces-à-faces dialogués qui doivent percuter et tomber tels des punchlines qui font mal et il y a de cela dans Dark Waters. Sur le terrain, au bureau ou à la maison, Robert va se confronter à de nombreux interlocuteurs qui vont faire connaissance avec sa détermination de fer. L’occasion pour les seconds couteaux de tirer leur épingle du jeu, Tim Robbins et Anne Hathaway en tête, dans des rôles évitant joliment le piège du cliché hollywoodien.
Film éminemment engagé, Dark Waters est dirigé par un Todd Haynes se prêtant à l’exercice avec sérieux et application, ce qui n’a rien de très surprenant au vu de ses précédentes réalisations. En dépoussiérant un scandale dont peu avaient entendu parler ou bien oublié, le cinéaste appuie là où cela fait mal et nous invite à travers le prisme du divertissement à une prise de conscience collective. Si l’usine DuPont a fermé aujourd’hui, certains plans du film démontrent de manière insidieuse le mal qui ronge encore et toujours notre environnement. Le poison d’aujourd’hui, ce sont ces cheminées industrielles expulsant d’épaisses fumées grisâtres au beau milieu de nos campagnes et de nos montagnes.
Loris Colecchia
• Réalisation : Todd Haynes
• Scénario : Mario Correa, Matthew Michael Carnahan, d'après un article de Nathaniel Rich
• Acteurs principaux : Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Bill Camp, Tim Robbins, Bill Pullman, Mare Winningham
• Date de sortie : 26 Février 2020
• Durée : 2h07min