

Pour son premier long-métrage, Leonardo Van Dijl prend sa raquette pour évoquer les violences sexistes et sexuelles dans le monde du sport. Cependant, le réalisateur de 33 ans ne va pas frapper la balle avec elle. La libération de la parole vis-à-vis des agressions sexuelles est d’actualité, toutefois certaines continuent à se taire, et ce pour de nombreuses raisons. C’est de ce silence qu’est né JULIE SE TAIT.
Le silence est d’or
JULIE SE TAIT répond aux questionnements que pourraient se poser certains sur le silence des victimes de VSS et notamment sur leurs dénonciations tardives. Beaucoup oublient le traumatisme derrière ce genre d’agression qui coupe littéralement la parole. Le métrage y ajoute même la pression médiatique et institutionnelle ici représentée par ce club de tennis. Dans le métrage, il nous est possible de constater que Julie est traumatisée par son expérience avec son ancien entraîneur Jeremy et que malgré ça, elle reste toujours sous son emprise. C’est un paradoxe qui peut paraître incompréhensible, mais réel, le film nous le montrant avec une grande maîtrise.
Julie subit ainsi une pression de tous les côtés, la caméra étant constamment braqué sur elle comme une lampe dans un interrogatoire. Les personnages qui la côtoient participent eux aussi à cet étouffement, car ils sont dans l’attente. À cette atmosphère irrespirable, se joint en plus le statut particulier de star du club pour Julie. Nous ressentons un agacement de la part de certains adhérents, notamment vis-à-vis du soi-disant statut « privilégié » de l’adolescente. Bien que ce soit un jugement injuste, les membres du club qui pensent cela représentent aussi un public ignorant pourquoi certaines femmes ne parlent pas. Effectivement, si Julie les agace, c’est aussi parce qu’elle ne dit rien
Seule contre tous
Pour souligner le silence de Julie, le film est très éloquent cinématographiquement parlant. Le tennis est un sport solitaire. Il y a bien un adversaire en face, sauf que dans le cas de Julie, elle fait face à elle-même. C’est pour cette raison que nous voyions rarement les deux côtés du court. Il n’y a que lorsqu’elle s’entraîne avec un joueur professionnel que Julie n’est pas seule, mais cela intervient lors d’un moment de mieux pour elle. La séquence initiale de « shadow » tennis est dans cette optique une métaphore du silence de Julie, l’adolescente étant seule face à son ombre. En dehors du court, cela va cependant se traduire différemment.
JULIE SE TAIT est parcouru par un autre jeu : celui avec le focus. Les personnages autour de Julie sont quasiment toujours flous, ce qui crée artificiellement une exclusion de l’adolescente. En revanche, cette sensation est aussi perceptible lorsque nous les voyions. Par exemple, quand Sophie parle de Jeremy, elle n’est jamais proche de Julie. D’ailleurs, la caméra aussi n’est pas spécialement proche de la jeune femme, celle-ci n’étant jamais prise de face, sauf lorsqu’elle apprend le licenciement de Jeremy. Fuyant ainsi la lumière et la caméra, Julie est plongé dans l’obscurité. Même si elle y est soumise par des contre-jours ou lorsqu’elle court dehors la nuit, sa meilleure utilisation est quand elle voit son ancien entraîneur. C’est une séquence effrayante car il est complètement déshumanisé.
Nous comprenons alors que c’est cette présence invisible – Jeremy n’étant visible qu’une fois – qui est le moteur de ces idées de réalisations particulières. Jeremy exerce une pression énorme sur le film et la fille, à tel point que lorsque la joueuse réussit le BTF, nous nous attendons à ce qu’il arrive chez elle. Heureusement, même si Julie est seule face à cette personne, elle ne l’est pas totalement.
La force du collectif
Une des missions des patrons du club est de limiter la casse. Concernant les joueurs, il est davantage question d’être solidaires. En effet, même s’ils sont très souvent flous dans le cadre, ils parviennent à en sortir pour remonter le moral de Julie. De plus, bien que Jeremy ait entaché la réputation du club, nous ressentons la notion d’appartenance à celui-ci de la part des adhérents. Nous pouvons le constater lors du tournoi régional où Julie et Laure affrontent les rivaux d’une autre académie. Les deux jeunes femmes partagent le même côté du court, chose unique dans le métrage. Cette entraide va même pousser Julie à sortir du focus qui est fait constamment sur elle. Quand sa mère vient la voir, l’adolescente la rejoint dans le flou. C’est d’ailleurs le message central de JULIE SE TAIT : ne pas affronter seul l’adversité.
JULIE SE TAIT est un premier film audacieux au vu du sujet sensible qu’il traite. Leonardo Van Dijl parvient malgré tout avec brio à donner la parole à celles qui ne parviennent pas à le faire. Qu’il soit question de tennis ou de violences sexistes et sexuelles, elles ne sont pas seules même si tout est fait pour qu’elles le croient.
Flavien CARRÉ