Jeff Nichols ose la rupture. Jamais il ne s’était lancé dans une histoire d’amour et encore moins dans un biopic. Moins d’un an après le sublime Midnight Special, il revient avec un sujet sur lequel on ne l’attendait pas.
« Je suis enceinte ». C’est sur ces mots lourds de sens, annonciateurs d’un futur joyeux, que s’ouvre le film. Tout semble merveilleusement bien pour ce petit couple : ils s’aiment, attendent un enfant et vont construire une maison. Il ne manque qu’un mariage pour définitivement sceller leur amour. Ce qu’ils vont faire mais ce n’est pas au goût des autorités locales. L’importance du raccord sur le regard est instauré d’entrée pour signifier que tout le monde observe ce couple. Dès les premières minutes, la menace guette. Un coup une bande de quatre hommes blancs, un coup une vendeuse noire. Tout le monde les regarde, tout le monde pose un jugement sur eux. Alors qu’ils ne font que s’aimer et veulent juste vivre normalement. Cette instauration du raccord sur le regard amène dans le dernier acte du film à une très belle scène où un photographe de Life (Michael Shannon, qui passe dire bonjour) vient chez eux. Lui aussi se doit, par son travail, de poser un regard. Sauf qu’il ne les jugera pas. La tendresse qui émane de ses yeux lorsqu’il voit ces deux êtres rire devant la télé rompt avec ce que les autres voyaient et en dit long sur ce que l’amour se doit d’être.
LOVING semble fonctionner en complément de Midnight Special, les deux partageant bons nombres de liens. Pas étonnant qu’ils aient été fait l’un après l’autre. Dans Midnight Special, la finalité de film était la séparation, l’émancipation d’un enfant quittant sa famille pour rejoindre son monde. LOVING prend l’autre extrémité de la situation en mettant en scène, non pas la dissolution mais la bataille pour la création du cocon familial. Les deux films parlent de fuite, de continuer à avancer, d’un processus dans lequel sont engagés des personnages principaux qui se doivent d’aller au bout. Richard et Mildred sont, à leur manière, les aliens pourchassés à cause de leur différence, comme le jeune Alton de Midnight Special. Pas étonnant que l’on retrouve une scène de fuite nocturne dans les deux projets. Dans cette fuite, les personnages ont décidé de croire en leur amour (la croyance, un thème majeur de Midnight Special), de croire qu’il était plus forts qu’une simple loi. Après tout, ce sont simplement deux êtres humains. Par des motifs, qu’ils soient narratifs, formels ou thématiques, il est possible de tisser d’incroyables liens entre ces œuvres, voir avec la filmographie de Nichols dans son ensemble. De quoi confirmer qu’il se positionne définitivement comme un auteur qui continue son travail dans la cohérence.
Un film pudique, à l’image de ses personnages.
En s’emparant d’une histoire vraie, Jeff Nichols se retrouve bloqué par la réalité des faits. Le choix du réalisateur pour éviter de tomber dans un déroulement sans tension est de se tourner plutôt vers les personnages que le récit. Ce qu’il sait faire superbement et parce qu’il dispose d’un duo principal de haut vol (Joel Edgerton surprenant et Ruth Negga pour son premier grand rôle). Sa mise en scène classique ne donne pas l’air d’être virtuose mais elle tombe juste. Ce qui n’est pas si simple, la sobriété pouvant rimer avec platitude. Heureusement ce n’est pas le cas avec LOVING qui reste un film dans la retenue alors que le sujet est immense et pourrait donner lieu à d’incessantes scènes tire-larmes. La scène de procès qui arrive à la fin démontre toute la justesse du réalisateur américain. Il se refuse au spectaculaire, à l’emphase – le couple n’aime pas se donner en spectacle, parler aux médias. Nichols fait le choix d’alterner des plans sur les avocats de la défense et sur la famille Loving en train de vivre banalement. La simplicité des plans contraste avec la valeur de ce qu’il se joue réellement en arrière-plan.
Jeff Nichols prend à rebours le potentiel piégeur de son sujet qui aurait voulu qu’il se lance dans un film ample. De la même manière que ce qu’il avait fait avec Take Shelter, en déplaçant le curseur vers l’intime. Au lieu de s’embourber dans une intrigue procédurière classique, il laisse parler sa sensibilité. Il s’agit plutôt de filmer le tournant dans la vie d’un couple que le tournant de l’Histoire américaine. Un détail dans une affaire immense. Au fond il propose un film pudique à l’image de ses personnages. Lorsqu’ils leur laissent la parole, ils ne sombrent pas dans le misérabilisme mais restent dans une remarquable simplicité. Alors qu’il a l’occasion de s’adresser aux juges de la Cour Suprême via ses avocats, Richard Loving n’a rien d’autre à communiquer qu’un limpide : « dites leur simplement que j’aime ma femme ». Deux heures résumées en une poignée de mots.
Maxime Bedini
• Réalisation : Jeff Nichols
• Acteurs principaux : Joel Edgerton, Ruth Negga, Michael Shannon
• Durée : 2h03min
• Réalisation : Jeff Nichols
• Scénario : Jeff Nichols
• Acteurs principaux : Joel Edgerton; Ruth Negga, Marton Csokas
• Date de sortie : 15 mars 2017
• Durée : 2h08min