THE RETURN, malheureux qui comme Ulysse… – Critique

Photo du film THE RETURN
Crédits : Bleecker Street
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3.5

Avec THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE, Uberto Pasolini s’attaque à l’un des récits les plus revisités de l’histoire occidentale : le retour d’Ulysse à Ithaque, seul survivant de son périple après la guerre de Troie. Mais plutôt que d’en faire une grande fresque épique, il choisit la voie d’un réalisme exacerbé, presque scénique, afin de mieux révéler un message universel caché derrière l’ambition mythologique.

En effet, qu’il s’agisse de L’Iliade ou de L’Odyssée, ces épopées fondatrices sont devenues des monuments narratifs si massifs qu’ils écrasent souvent ceux qui tentent de les réinventer. Or, THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE, sans être exempt de défauts, réussit à nous surprendre en proposant une relecture ultra-réaliste et une mise en scène sobre mais puissante, qui révèlent au spectateur la réflexion de fond de Pasolini : la guerre et la figure du héros.

Presque trente ans après Le Patient anglais (Anthony Minghella, 1996), Ralph Fiennes et Juliette Binoche se retrouvent autour d’un duo mythologique — Ulysse et Pénélope — avec une intensité qui ne s’est jamais vraiment dissipée. Entre récit légendaire et légendes du cinéma, que vaut THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE ?

Revenir sans éclat : un mythe à hauteur d’homme

L’originalité de THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE réside dans cette forme de dépouillement scénique qui, loin de brider l’émotion, la concentre.

Chaque décor, minutieusement composé, évoque une scène de théâtre. Pourtant, cette reconstitution n’est jamais ostentatoire ni bruyante : pas de bijoux clinquants, pas d’épées qui s’entrechoquent, et même la musique de Rachel Portman est constamment (trop ?) discrète, comme si elle avait pour mission d’accompagner la gravité des dialogues sans jamais voler l’attention.

Là où tant de films historiques semblent rivaliser d’artifices coûteux pour « faire époque », THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE préfère une retenue visuelle et sonore. Ce refus du spectaculaire place le récit non du côté du mythe grandiloquent, mais du drame humain. Il impose donc une exigence forte au jeu d’acteur. Heureusement, avec Ralph Fiennes et Juliette Binoche, le film peut s’appuyer sur deux interprètes capables de porter, chacun à sa manière, toute la charge émotionnelle du récit. Chacun brille dans son registre, jusqu’à leurs retrouvailles – presque frustrantes tant l’attente avait créé l’illusion d’un sommet d’intensité.

L’action – pourtant au cœur des récits homériques – est ici reléguée à l’arrière-plan. Ce choix déroute et revient régulièrement dans les critiques adressées au film. Mais il est cohérent : montrer la guerre aurait déséquilibré l’approche du récit, fondée sur le retour, l’absence et l’attente.

Surtout, THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE interroge par son refus d’actualiser le mythe. Là où plusieurs adaptations transposent les figures antiques dans le monde moderne – on pense à O Brother, Where Art Thou? (Joel et Ethan Coen, 2000) pour Ulysse, ou à Romeo + Juliet (Baz Luhrmann, 1996) pour Shakespeare – Pasolini, au contraire, maintient Ulysse dans sa Grèce antique, sans clin d’œil ni anachronisme.

Pourtant, la guerre est un sujet très moderne. Pourquoi ne pas utiliser un cadre plus actuel pour renforcer la portée politique du récit ? En réalité, en conservant la distance du mythe, le film affirme autre chose : que ce qui se joue dans cette histoire ne dépend ni d’une époque, ni d’un lieu. THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE n’est pas une relecture spectaculaire : c’est une transposition à hauteur d’homme.

La solennité comme limite

Mais cette théâtralité assumée a aussi ses revers. En choisissant de contenir toute expression dans une forme très cadrée, le film tend parfois vers une stylisation qui appauvrit les enjeux. La lenteur finit par peser, et les dialogues deviennent figés dans une solennité qui bride la vitalité du récit.

On peut aussi s’étonner du peu de profondeur accordée aux personnages secondaires. Réduits à des archétypes rigides, ils manquent de relief et semblent surtout là pour montrer leurs muscles. Certes, la structure mythologique impose une certaine économie narrative, mais on aurait aimé que certains d’entre eux – les prétendants, le fils, les serviteurs – soient un peu plus étoffés. D’autant que le film choisit activement ce qu’il montre ou non de l’histoire originale, laissant parfois des pans entiers du mythe de côté.

On peut saluer, en revanche, le choix fort d’effacer les dieux du récit. Ici, pas de destin guidé par les volontés olympiennes, pas d’exaltation homérique de la guerre. Le conflit reste hors-champ, mais ses conséquences hantent chaque plan.
Le film rejoint ainsi une tradition contemporaine de récits de retour marqués par la guerre – à la différence qu’il évite la pathologisation du trauma (pas de diagnostic de TSPT ici).

Cette relecture intime d’un récit colossal n’emporte pas toujours l’adhésion, mais elle en impose par sa cohérence, son ton singulier et sa volonté de ne pas céder au spectaculaire. 
Alors que Christopher Nolan prépare lui aussi un film autour de la quête d’Ulysse, difficile de ne pas voir THE RETURN : LE RETOUR D’ULYSSE comme un contrepoint déjà fascinant : entre introspection sobre et mise à distance poétique, il pose les bases d’une réflexion que le cinéma contemporain semble prêt à creuser. Et nous, on ne peut qu’être optimistes.

Nathan DALLEAU

Auteur·rice

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