Yves

YVES, comédie consciente sur fond de rap – Critique

Nous souhaitons recueillir votre avis sur votre façon de nous lire. Merci de prendre 2 minutes de votre temps en cliquant ici !


L’été et sa canicule semblent avoir insufflé le souffle d’un procédé plutôt rare au cinéma français : l’art de filmer les objets et de leur donner vie à travers la caméra. Après Le Daim de Quentin Dupieux, où ce parti-pris était sous-entendu via des plans très resserrés sur ce désormais fameux blouson, YVES, nouveau long-métrage de Benoit Forgeard, présente un frigo parlant. Pour un résultat étonnant.

L’intelligence artificielle, dans ce qu’elle regorge de fantasmes et de craintes inavouées, a rarement été traitée via le prisme de l’humour. C’est précisément le pari de YVES, né en 2012 à partir d’une conférence sur les bienfaits d’un futur où les objets combleraient les défaillances humaines. Benoit Forgeard, réalisateur du remarqué Gaz de France (sélectionné au Festival de Cannes 2015, ACID) se rappelle y avoir décelé le potentiel comique du motif alors que l’année suivante, hasard du calendrier et souci du contraste, paraissait le déchirant Her de Spike Jonze.

Jérem (William Lebghil), rappeur / loser aux textes triviaux, s’installe dans la maison de sa « mémé » en quête du son qui lancera sa carrière. Quand la start-up Digital Cool lui propose Yves, un réfrigérateur intelligent capable de « prévoir ce qui est bon pour lui », le jeune homme accepte sans hésiter, sans imaginer le tournant inattendu que va prendre son existence. Sorte de vaudeville futuriste, le film s’inscrit délibérément dans une temporalité aussi floue qu’actuelle, comme pour mieux suggérer le caractère proche d’une telle cohabitation entre humains et leurs penchants matériels. Mais celle-ci semble avoir développé une fâcheuse manie, à sombrer dans la dystopie. C’est encore le cas avec cette comédie où l’authenticité humaine affiche ses limites face au culte de la création. De même que la romance qui unit Jérem à So (Doria Tillier), démarcheuse chez Digital Cool, flirte continuellement avec la frontière du programmé, du fait du rôle joué par Yves dans leur rapprochement.

Photo du film YVES
So et Jérem: un amour programmé ?

Le propos du film, bien que trainant quelques longueurs, regorge d’idées de mise en scène et ne rechigne jamais à innover. Ainsi, la scène d’un plan à trois qui voit les corps Jérem et So fusionner avec le ventre béant du frigo se révèle d’une efficacité surprenante, alors que l’orgasme de ce dernier se manifeste par le largage de son bac à glaçons. Mais YVES ne se contente pas de ces artifices scénaristiques. Son principe – personnifier un objet du quotidien – impliquait de le filmer sous toutes ses coutures. Ainsi, la caméra en vient par instants à épouser le champ de vision même du frigo, décryptant aussi bien les aspirations du rappeur que les préoccupations de son chien.

Face à cette thématique grandissante de l’intelligence artificielle, Benoit Forgeard fait le choix de lui opposer le rap, univers lui-aussi objet de fantasmes et idées préconçues. À ce sujet, le cinéaste ne se se contente pas seulement de le mettre au service de la thématique centrale du film. Si celui-ci s’attelle à le caricaturer à travers certaines de ses phases burlesques, il effleure subtilement certaines de ses problématiques actuelles telles que l’utilisation de l’auto-tune, procédé qui permet à Jérem de voir son morceau remodelé et de connaître, ainsi, le succès (alors que le dernier album de PNL, groupe qui a fait de ce logiciel correcteur de tonalité la marque de fabrique de sa musique, a dépassé les 230 000 ventes récemment). Enfin, certains clins d’œil, tel que celui adressé au phénomène des rap contenders, n’en finiront pas de gagner la sympathie des amateurs de ce genre musical. Benoit Forgeat a d’ailleurs fait appel au membre de MQEBDD et ami d’enfance de Mister V, le rappeur Tortoz, pour composer la bande-originale du film. Décalée et rythmée aux prods du beatmaker MiM, elle épouse parfaitement les contours du personnage désinvolte incarné par William Lebghil.

Par instants tape-à-l’œil, par d’autres lassant, YVES a donc le mérite de surprendre son spectateur en lui proposant des personnages hauts en couleur et aux répliques savoureuses, dans un monde à la réalité burlesque. Astucieux.

Francesco Depaquit

Note des lecteurs0 Note
Titre original :Yves
Réalisation : Benoit Forgeard
Scénario : Benoit Forgeard
Acteurs principaux : William Lebghil,Doria Tillier, Philippe Katerine
Date de sortie : 26 juin 2019
Durée : 1h47min
3
Intéressant

Nos dernières bandes-annonces

Rédacteur
S’abonner
Notifier de
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
0
Un avis sur cet article ?x