Après le triomphe de Démineurs qui racontait la vie d’un homme exerçant le métier le plus dangereux du monde dans le pays le plus dangereux du monde (l’Irak), Kathryn Bigelow récidive dans le contexte de guerre au Moyen-Orient en montrant l’obsession d’une femme pour la traque de l’homme le plus dangereux du monde.
C’est aussi l’occasion de reformer son tandem avec le scénariste/producteur Mark Boal. Comme pour Lincoln, le contenu politique du film a incité les distributeurs à repousser la sortie du film après les élections présidentielles américaines. Au casting, l’excellente Jessica Chastain, qui n’en finit plus d’enchainer les projets ambitieux après The Tree of Life et Take Shelter, côtoie des seconds rôles pas inconnus des cinéphiles français: Reda Kateb (le gitan d’Un prophète) ou Edgar Ramírez (le très bon Carlos, une sorte de continuité dans les ennemis publics n°1).
La sortie du film est accompagnée d’une controverse sur l’apologie de la torture. En effet, cet aspect de la lutte antiterroriste n’est pas occulté et on a le droit aux méthodes les moins avouables de la CIA pour obtenir des informations. Mais attention, on est dans la torture conventionnée, hein, pas dans la barbarie façon Jack Bauer dans 24. Rien qui ne puisse laisser de séquelles physiques donc, « juste » du travail d’usure: simulation de noyade, privation de sommeil (en passant du métal très fort et en boucle!), enfermement dans une caisse dans laquelle on ne peut tenir allongé. Lorsque Kathryn Bigelow débuta ce projet, Ben Laden n’avait pas encore été tué : on peut donc penser que son propos n’était pas de justifier la torture comme on lui reproche, mais plutôt de montrer qu’elle était vaine, comme le prouve l’égrènement des divers attentats survenus entre 2001 et 2011 (Londres, l’hôtel Marriott d’Islamabad…), symbole de l’impuissance occidentale dans cette lutte.
Kathryn Bigelow a su éviter les pièges du patriotisme exacerbé. Lorsqu’elle débuta ce projet, Ben Laden n’avait pas encore été tué : on peut donc penser que son propos n’était pas de justifier la torture.
Une fois une piste plausible identifiée, le film bascule (la torture, c’est sympa, mais c’est pénible et on passerait bien à autre chose) vers l’espionnage pur et dur avec cette recherche de l’aiguille dans la botte de foin, ou plutôt du messager de Ben Laden à travers les villages pakistanais. Traque en voiture, traçage de signal de téléphone portable, c’est la partie la plus plaisante du film, qui aide à passer aisément les deux heures et demie sur ce sujet pesant. La dernière partie relate l’assaut de la cachette, très sobrement: une unité spéciale presque anonyme (pas de héros), une nuit sans lune (difficile de distinguer quoi que ce soit à l’écran par moments) et une exécution sommaire (la thèse du film étant que la capture n’a jamais été une option).
La réalisatrice a su éviter les pièges du patriotisme exacerbé. Ben Laden ne sera jamais montré frontalement, il apparaitra toujours furtivement, tel un fantôme et le spectacle de son corps gisant ne sera jamais offert au spectateur assoiffé de vengeance. Il sera juste identifié rapidement dans son sac mortuaire par l’héroïne (qui bien qu’elle ait voué sa vie à sa traque, ne l’avait jamais rencontré en vrai). La fin de l’opération sera vécue comme une déception, Maya ayant perdu le but qui la menait depuis 10 ans. Pas de happy end, pas de trompettes triomphantes et un film sobrement nommé d’après un terme militaire, « Zero Dark Thirty » signifiant que l’opération avait été lancée à minuit et demi, alors qu’initialement il devait s’appeler « For God and Country » (« Pour Dieu et la Patrie »).