Le Cheval de Turin

[Critique] LE CHEVAL DE TURIN

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Mise en scène
7.5
Scénario
7.5
Casting
7.5
Photographie
10
Musique
9
Note des lecteurs4 Notes
8.9
7
Note du rédacteur

[dropcap size=small]B[/dropcap]éla Tarr est incontestablement une des grandes figures du cinéma mondial, de ceux dont le simple nom est synonyme de film si ce n’est exceptionnel, au moins voué à une certaine renommée voir à un véritable culte artistique. Metteur en scène des Harmonies Werckmeister, chef d’œuvre fréquemment cité parmi les meilleurs films de tout les temps et que je critiquerais dans les prochains jours sur Le Blog du Cinéma, le réalisateur hongrois est également considéré comme un auteur peu accessible, un très grand formaliste adorateur des plans étirés à l’extrême et d’une certaine sobriété dans la mise en scène. Extrémiste, il l’est en effet en réalisant dès le début de sa renommée internationale survenue avec Satantango un film de sept heures. Le Cheval de Turin est son dernier film en date, et peut-être la fin de la carrière du cinéaste, qui a déclaré ne plus vouloir réaliser après ce film. Celui-ci est totalement dans la veine des précédentes œuvres du réalisateur ; une lenteur presque oppressante, et une puissance formelle qui tutoierait la perfection si il n’y avait pas ces quelques défauts de mise en scène qui sont ici décuplés par les partis pris très tranchés du film.

Comme à son habitude, Béla Tarr nous livre avec Le Cheval de Turin une photographie noir et blanc absolument sublime, à un niveau quasi-inimaginable de maîtrise visuelle. Son chef-opérateur, Fred Kelemen, fait de chaque image une peinture admirablement cadrée et sa gestion de la lumière, ce qu’il en fait, la manière dont il l’impose comme une quasi-entité durant tout le film, force le respect. Il n’y a en fait absolument rien à redire sur la photographie du film hongrois ; sa réalisation, en revanche, n’est pas si exempt de défauts. Non pas que Béla Tarr ne soigne pas ici sa mise en scène ; au contraire, il en fait presque trop, à un tel point que les séquences emplies de poésie et de métaphysiques à peine perceptible des Harmonies Werckmeister semblent ici enfouies sous une mise en scène finalement très mathématique, et qui au final en fait peut-être trop. Obsédé par ses impressionnantes prouesses techniques et ses longs plans interminables, qu’ils soient quasi-fixes ou lié à un interminable mouvement, Béla Tarr semble oublier d’humaniser ses personnages, de les rendre vivants, d’instaurer cette atmosphère mystique qui aurait fait tant de bien au film et qu’on ne retrouve que trop rarement, le temps de quelques séquences extérieures à tomber à la renverse tant l’ambiance mise en place est phénoménale. Il y a dans cette absence de montage, dans cette austérité chère au réalisateur hongrois, une capacité à mettre en place une destruction du monde à la limite d’un apocalypse ambiant, et Le Cheval de Turin semblait être le sujet idéal pour ce type d’obsessions ; il est donc regrettable que le cinéaste ne parvienne pas à s’effacer derrière ses plans magnifiques, et nous rappelle sans cesse à notre conditions de spectateur par sa mise en scène trop voyante écrasant ses personnages, son histoire, et finalement, son atmosphère.
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Des raccords pas toujours très propres, desservants encore une réalisation trop démonstrative, nous font également regretter le choix des très longs plans, certes justifié et compréhensible, mais en l’état bien mal exploité et rendant forcément certaines coupures assez choquantes. Il me semble également essentiel de mentionner l’extrême lenteur du film. Les plans s’étirent, traînent en longueur, et l’absence de cette « métaphysique invisible », de ce mystique qui aurait pu transformer le Cheval de Turin en une merveille sensorielle, peut donner l’impression d’un procédé auteuriste vain et gratuit. Cependant, il serait dommage de juger aussi hâtivement une œuvre qui ose autant. J’en veux pour preuve le travail sonore admirable effectué sur le film, les musiques de Mihály Vig utilisées par Béla Tarr étant cette fois beaucoup plus discrètes et somme toute bien plus terrifiantes que les magnifiques complaintes des Harmonies Werckmeister. Le vent, les sons menaçants perdus au milieu du néant, le mixage sonore n’hésitant pas à assourdir le spectateur pour favoriser l’apocalypse visuel, tout cela est audacieux et particulièrement réussi. Il y a aussi, bien sûr, cette économie de dialogues qui pourra conforter dans leur opinion les réfractaires au cinéma de Béla Tarr, mais qui sonne à mes yeux étonnamment juste tant le film n’en a pas besoin. Le metteur en scène n’a pas pour habitude de faire les choses à moitié ; Le Cheval de Turin est donc extrêmement lent certes, mais il n’y a pas de mots, pas de voix, pas de découpage auxquels se raccrocher. Certains auront la chance de se perdre dans une œuvre clairement moins accessible que L’Homme de Londres ou les Harmonies Werckmeister, d’autres seront probablement laissés sur la touche et hermétique au cinéma du hongrois. Pour ma part, re-visionner Le Cheval de Turin a transformé l’ennui qui avait caractérisé la première séance en un sentiment de petite déception face à un film à la nature profondément mystique et intrigante, qui pêche par des aspects en apparence anecdotiques, ou du moins excusables, mais qui s’avère fatals à l’ambiance sacrée qui aurait fait de cette production un chef d’œuvre.

”Il y a dans cette fin du monde filmée par un grand metteur en scène, un manque d’indicible qui captiverait le spectateur du début à la fin”

Le film de Béla Tarr est aussi magnifique et hypnotisant qu’il est long et maladroit. Il y a dans cette fin du monde filmée, dans la routine mise en scène par un cinéaste qui est incontestablement un grand metteur en scène, un manque d’invisible, d’indicible, une cohérence qui captiverait le spectateur du début à la fin. Pourtant, la photographie et la construction sonore se mettent tout entier au service de cette atmosphère qui fait cruellement défaut au film, qui impressionne le temps de quelques séquences mais se retrouve vite anéantie par la mise en scène du cinéaste hongrois. Un revisionnage néanmoins intéressant et nécessaire, pour une œuvre extraordinairement dense alors qu’elle ne fait, finalement, que parler de néant et de vide.

[divider]INFORMATIONS[/divider]

[column size=one_half position=first ]CINE cheval turin[/column]
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Titre original : A Torinói ló
Réalisation : Béla Tarr
Scénario : László Krasznahorkai, Béla Tarr
Acteurs principaux : Erika Bok, Janos Derzsi, Mihaly Kormos
Pays d’origine : Hongrie
Sortie : 30 novembre 2011
Durée : 2h26
Distributeur : Sophie Dulac Distribution
Synopsis :Janvier 1889. Turin. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche s’oppose au comportement brutal d’un cocher flagellant son cheval qui refuse d’avancer. Nietzsche sanglote et enlace l’animal. Puis son logeur le reconduit à son domicile. Le philosophe y demeure prostré durant deux jours, avant de sombrer, au cours des onze dernières années de son existence, dans une crise de démence.

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Rédacteur depuis le 12.07.2014

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Mise en scène
Scénario
Casting
Photographie
Musique
Note finale

  1. Un peu sévère ! a noter l’irruption des Tsiganes, qui laissent un maléfice derrière eux, mais aussi un livre sacré. Je n’ai pas vraiment compris la visite de l’amateur d’eau-devis, étonnamment bavard dans ce monde du silence.