7 ans après la polémique cannoise qui lui a fait hériter du statut de persona non grata, Lars von Trier est de retour Hors-Compétition avec The House That Jack Built.
Après avoir fait des films sur les femmes, il a eu, d’après ses dires, envie de changer de côté en parlant d’un homme mauvais. The House That Jack Built raconte 5 événements de la vie d’un tueur en série qui envisage ses crimes comme de l’art. Le metteur en scène danois nous fait littéralement plonger dans la tête de ce fou, en plaçant sa caméra à ses côtés jusqu’à nous faire partager ses discussions avec Verge, un homme avec lequel Jack entretient de profondes discussions. Les premières rumeurs avaient grossièrement essayé de nous faire croire que The House That Jack Built était un moment de cinéma insoutenable, ultra-gore et violent. Il y est bien question de violence physique mais c’est la violence morale qui choque le plus. Jack est un personnage dingue, atteint de TOC, narcissique, enfermé dans un cercle infernal que les meurtres lui permettent de soulager. Si l’on s’en tient uniquement à ses actes ou ses propos, le film est bien sûr détestable, emprunt de misogynie, misanthrope.C’est là qu’intervient Verge, cette petite voix mentale qui contrebalance et tempère Jack, le mettant face à ses actes. Il ne faut pas confondre ce que dit le personnage et ce que dit le film. Surtout que ce dernier a tendance à se moquer ouvertement de la tronche de Jack, mettant en lumière son côté minable. Comme ce moment où, après un meurtre, il revient plusieurs fois sur les lieux du crime pour s’assurer qu’il n’a laissé aucune trace de sang, malgré un nettoyage intensif. Toute l’ingéniosité de Lars von Trier est d’arriver à ne pas nous faire rire avec ce personnage, de ne jamais cautionner ses actes. Le film déploie un humour grinçant redoutable, qui le fait tenir sur un fil – la performance habitée de Matt Dillon y est pour beaucoup.
Film sur l’art mais aussi, et surtout, sur l’art de Lars von Trier, The House That Jack Built est une manière pour le danois d’encore oser d’irrévérencieuses provocations (les images d’Hitler sont risquées après la polémique cannoise) tout en se moquant de lui-même, de son image. Jack est quelque part, un peu Lars von Trier, ou l’image que l’on en a. Lorsqu’il parle d’art (via des montages archaïques redondant à force), de ses références, ses goûts, on voit apparaitre l’auteur derrière le personnage. Il est de notoriété publique que von Trier est un homme névrosé, instable, pas très tendre avec le genre humain. Les victimes sont idiotes, se laissent manipuler avec aisance, comme des fourmis que l’on écrase parce que conscient de leur infériorité. Sa mise en scène qui épouse le point de vue du tueur retranscrit parfaitement cette sensation de perdition mentale – des zooms, des plans à l’épaule brutaux. Pas étonnant qu’il ose souvent se citer durant le film, allant jusqu’à carrément reprendre des plans de ses anciens films pour établir un parallèle entre le travail de Jack (la construction de sa maison) et le sien.Puis cet épilogue, où il renoue avec les grandes propositions formelles à la Antichrist ou Melancholia, achève de parachever cette fresque dédiée au Mal. Ce dernier segment, essentiel, fait basculer le film dans une fantasmagorie sidérante où Lars/Jack se retrouve aux portes de l’enfer, puni pour sa mégalomanie. Le réalisateur porte un regard emprunt de lucidité sur sa propre personne, qu’il estime apparemment détestable et vouée irréfutablement à arpenter les ruelles du Pandémonium. Comme s’il se conduisait lui-même au purgatoire après toutes ses provocations. Une manière peut-être de s’excuser, d’assouvir in fine les envies d’un public qui a passé plus de temps à refouler son cinéma plutôt qu’à le comprendre. On a le cinéma que l’on mérite après tout.
Critique publiée le 16 mai 2018 lors de la projection au Festival de Cannes.
Maxime Bedini
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• Réalisation : Lars von Trier
• Scénario : Lars von Trier
• Acteurs principaux : Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman
• Date de sortie : 3 octobre 2018
• Durée : 2h35min