Entre deux séances au Festival de Cannes, nous avons rencontré le producteur de Tarantula Luxembourg, Donato Rotunno, qui a travaillé ou collaboré sur des projets tels que Baden Baden, My Skinny Sister, Tout en haut du monde, Cafard, Ni le Ciel Ni la Terre, Tête baissée, Pasolini…
Depuis quand existe votre société de production, et avec quel esprit l’avez-vous crée ?
Donato Rotunno : Tarantula existe depuis 21 ans au Luxembourg, avec une société sœur en Belgique, également nommée Tarantula et gérée elle, par Joseph Rouschop. L’idée était de mutualiser notre image de marque mais aussi de partager un catalogue de films : ce qui était à moi était à Joseph, et inversement. Depuis, nous avons fait une vingtaine de films en coproduction, avec de nombreuses sélections dans les festivals « A » et une reconnaissance critique sur nos films.
Pour prendre un exemple concret, quelle a été votre collaboration sur Pasolini ?
D.R. : Le projet a été initié par la productrice italienne, bien qu’on avait déjà rencontré Abel Ferrara il y a quelques années à Cannes et que nous étions intéressé par son parcours. Sur ce projet, il y avait une difficulté à le monter financièrement pour le Luxembourg, donc Joseph a pu le coproduire via la Belgique. Je me suis bien rendu à l’avant-première au festival de Venise, bien que je ne sois pas intervenu sur le projet. Mais en voyant le résultat, je trouve que cela représente bien la synergie entre nos deux sociétés, car je me suis totalement reconnu dedans. C’est vraiment un film Tarantula, et le succès du film rejaillit sur les deux sociétés.
Pour quelles raisons êtes-vous à Cannes ?
D.R. : Le travail qui nous incombe sur les trois ou quatre premiers jours, a plusieurs facettes. Évidemment, la présence de Tarantula sur le marché. Soit en production, soit en postproduction, soit en vente sur le marché international, soit encore en développement. Les rencontres avec les coproducteurs, parfois amis, parfois acquis à nos méthodes de travail. Deuxième facette : la collaboration entre les producteurs luxembourgeois et la réflexion sur le devenir de l’audiovisuel à Luxembourg. Notamment grâce à des rencontres avec notre Ministre de la Culture, le directeur du Fond (Film Fund Luxembourg) ou les responsables administratifs.C’est un moment de réflexion nécessaire, car il n’est pas intra-muros, il se déroule à l’international dans le climat de travail du plus grand marché de films du monde, dans lequel on se permet de dire les choses de façon différente. Troisième aspect : la recherche de nouveaux projets, de nouvelles relations humaines qui nous permettent en tant que société de nous projeter dans l’avenir. Un projet peut prendre entre 3 et 5 ans pour passer de l’idée au film fini. Évidemment on doit avoir une série de projets à divers degrés de production, afin de ne jamais tomber dans un trou, où aucun projet ne verrait le jour.
Est-ce que les vendeurs internationaux sont disponibles et quelles réactions ont-ils face au catalogue de Tarantula ?
D.R. : Je pense qu’il y a une question qui se pose, c’est celle de l’évolution du marché du film. C’est une question qui concerne tout le monde : comment demain, les films seront consommés ? D’un côté la technique transforme les habitudes des consommateurs, ce n’est pas le même paradigme qu’il y a 5 ans. De l’autre, un changement culturel mondial : on est de plus en plus dans une façon de consommer qui s’uniformise de Katmandou au Canada, qu’on le veuille ou non. Les spécificités locales sont de moins en moins visibles. Mais ces transformations affectent tous les échelons, donc les vendeurs et les producteurs doivent collaborer pour y faire face. Cependant, tout projet n’intéresse pas tout le monde. Certaines affinités personnelles nous lient, mais permettent aussi d’avancer.
Le marché du film devient-il de plus en plus dual ? (des très grosses productions face à des toutes petites) Comment naviguez-vous entre ces deux extrêmes ?
D.R. : Nous produisons des projets qui varient entre 2 et 5 millions d’euros de coût à la fabrication. C’est déjà grand, et en même temps ça ne l’est pas assez. J’ai tendance à croire que ce sont les scenarii, thèmes et idées qui définissent les budgets. Pour moi, le marché n’est pas plus en crise qu’il y a 20 ans… ou alors ça fait 20 ans que la crise est là ! Que ce soit de plus en plus difficile, soit, on s’adapte. Mais je n’ai pas l’impression qu’on soit dans une tendance où les films doivent à tout prix coûter de moins en moins chers pour avoir une chance d’exister. D’un autre côté, on peut quand même réévaluer certains films. Ceux qui se faisaient hier pour 20 millions d’euros, peuvent sans doute se faire aujourd’hui pour 12 ou 10. Ces réflexions sont partagées par les uns ou les autres, mais à la fin, c’est tout de même le marché qui régule.
En parlant de nouvelles habitudes de consommation, que pensez-vous des nouveaux acteurs sur le marché venus des plates-formes de diffusion qui se mettent à la production ? (Amazon, Netflix, Hulu, etc.)
D.R. : Les plates-formes de diffusion sont les nouveaux acteurs essentiels à la naissance d’un bon nombre de projets. Mais il ne faut pas s’engouffrer dans une seule solution, et continuer de garder un spectre large. Les films d’auteurs continueront d’exister, d’être distribués par des exploitants. Cette diffusion se fera peut-être sur moins de salles, d’une manière qu’on ne soupçonne peut-être pas encore, mais elle se fera. Les plates-formes de diffusion peuvent tout à fait exister en parallèle.
En ce qui concerne les innovations technologiques (VOD, cross-média, trans-média) on expérimente, mais on ne verra le résultat que dans quelques années. Il faut aussi savoir se dire « ceci n’est pas pour moi, ce n’est pas ma génération, à d’autres de le tenter. »
Est-ce qu’aujourd’hui la chronologie des médias au Luxembourg et en France vous freine pour expérimenter ?
D.R. : Pour moi oui. Même si ça peut faire peur aux exploitants lorsque je me prononce dans ce sens. Selon moi, une remise en question de la chronologie des médias sur certains projets, est nécessaire. Prenez par exemples la distribution de documentaires, le coût de communication pour une sortie en salles ne peut pas être le même quelques mois après pour une sortie digitale. Il est évident qu’il y a une perte d’impact. Le coût qu’on met à la sortie du film devrait permettre d’exister en parallèle sur les différentes plates-formes.
Cela serait même dans l’intérêt des distributeurs et exploitants, car il y aurait un effet de levier dans la publicité quand le même produit est présenté sur différentes palettes.
Au Luxembourg, la chronologie des médias a aussi été voulue par les exploitants, mais je pense qu’on va vers une flexibilité telle que j’ai décrit. L’Union des producteurs est prête en tout cas à mener ce combat, ouvrir cette boîte de Pandore pour en discuter avec les exploitants et les autorités. Les chiffres sont parlants, pour un territoire comme le Luxembourg, ce ne sont pas les entrées uniques en salles qui permettent la rentabilité d’un projet.
Le marché à Cannes est-il bien organisé pour canaliser les bons projets vers votre société ?
D.R. : On est clairement identifiés, on ne court derrière personne et notre visibilité est assurée par notre catalogue. Sur un festival, en étant présent que quatre ou cinq jours, on ne peut pas travailler plus que 10 heures par jour… Donc il faut des filtres, et limiter l’accès aux sociétés à une forme de professionnalisme me paraît logique. On n’est pas non plus « l’école de la vie », on doit rencontrer des gens qui répondent à des exigences d’efficacité.
Aujourd’hui j’ai rencontré trois personnes qui m’ont abordé soit via des amis, soit en entendant parler de Tarantula. Ma première question sera : pourquoi venir me voir, moi ? Si en parallèle ils ont démarché tous les producteurs luxembourgeois, je ne vois pas l’intérêt. J’aurais l’impression qu’il n’y aurait pas de recherches en amont. Par contre si c’est la conséquence de discussions antérieures avec des distributeurs ou d’autres producteurs, ou bien la vision d’un film en particulier, c’est une porte qui s’ouvre. Par exemple, j’ai rencontré un producteur anglais qui travaille avec Malik Zidi, avec qui j’ai moi-même travaillé pour La Volante, et qui lui a recommandé de venir me voir s’il cherchait un producteur luxembourgeois. On a déjà une raison de se rencontrer mais je ne crois pas que ce fonctionnement soit exclusif au cinéma, c’est assez naturel finalement. Je ne crois pas qu’il y aurait une exclusion des « génies du cinéma » parce qu’ils n’auraient pas les bons badges…
Vous limitez-vous aux projets qui seront tournés au Luxembourg, ou vous autorisez-vous à accepter ceux destinés à d’autres territoires ?
D.R. : Ce qui doit préexister c’est une envie de travailler sur un projet. Après s’il y a impossibilité logistique, légale ou financière de travailler, cela va s’arrêter. Mais a priori, je trouverais toujours un partenaire avec qui m’associer pour le rendre possible.
Entre producteurs, on est pas dans la concurrence permanente. On est bien souvent liés par des amitiés, ou des inimitiés, qui vont bien au-delà du rapport professionnel.