photo de LES POINGS DANS LES POCHES

[CRITIQUE] LES POINGS DANS LES POCHES (1965)

Nous souhaitons recueillir votre avis sur votre façon de nous lire. Merci de prendre 2 minutes de votre temps en cliquant ici !


LES POINGS DANS LES POCHES (I pugni in tasca)
• Sortie : 1965 (ressortie 13 juillet 2016)
• Réalisation : Marco Bellocchio
• Acteurs principaux : Lou Castel, Paola Pitagora, Marino Mase
• Durée : 1h45min
Note des lecteurs1 Note
5
Note du rédacteur

Cinquante ans après, LES POINGS DANS LES POCHES n’a pas pris une ride. Restauré en version 4K sous la direction du réalisateur lui-même, le premier long-métrage de Marco Bellocchio, qu’il réalisa à vingt-six ans, reste une œuvre intense et intemporelle, critique de la société de l’époque.

Un an après la sortie de Prima della rivoluzione de Bernardo Bertolucci, LES POINGS DANS LES POCHES devient, en 1965, un précurseur des événements de mai 1968 et de la révolte de la jeunesse, symbolisée ici par son personnage principal. Un personnage qui provoque un mélange de fascination et d’effroi, un monstre manipulateur et destructeur décidé à faire exploser le carcan familial et le milieu bourgeois. Comme beaucoup de jeunes de l’époque, Bellocchio est un révolté. Après avoir étudié le cinéma à Rome, il décide de quitter l’Italie, jugée trop provinciale, pour Londres. De là naît LES POINGS DANS LES POCHES, dont l’histoire se révèle étroitement liée à sa famille, ou du moins à son éducation.

 

Alessandro est un jeune garçon qui souffre de crises d’épilepsie. Avec sa mère aveugle, son frère soufrant d’un handicap mental et sa sœur Giulia, ils donnent à l’aîné, Augusto, un dur labeur. En l’absence de père, tout repose sur ce dernier. Et ses échappées auprès de sa fiancée ou de prostituées occasionnelles ne parviennent pas vraiment à soulager sa frustration et l’étouffement familial. C’est alors qu’Alessandro, admiratif de son grand-frère, s’engage à lui offrir la vie qu’il mérite en se tuant, lui et leur famille, pour le débarrasser de ces « poids ». Un projet qu’Augusto apprend via une lettre écrite par Alessandro. Mais Augusto ne réagit pas. Accepte-t-il cette terrible proposition ou n’y croit-il simplement pas ? Le doute subsiste, bien que l’éventualité de pouvoir enfin vivre sa vie semble particulièrement lui plaire.

L’horreur vient alors aussi bien de l’acte prémédité que de l’absence de réaction et de culpabilité de ce frère témoin et finalement complice. Mais Alessandro n’y parvient pas. Du moins pour l’instant. Distrait, il laisse filer l’occasion. Mais l’envie est toujours là, seule la manière changera. Car sous l’influence de ses pulsions et de sa folie il voit dans ce monde qui l’entoure quelque chose de répugnant. Dans son monde utopique le handicap, la maladie et autres faiblesses n’ont pas de place. Il sera alors le décideur du sort des autres. Même avec sa sœur, un temps sa complice et avec qui il partage une relation incestueuse fortement insinuée par Bellocchio – preuve déjà de toute la finesse du réalisateur. Le cinéaste fait ainsi directement écho à une idéologie nazie, et porte ce personnage vers une horreur toujours plus troublante.

« Un chef d’œuvre dur, où se sublime l’abomination de l’être. »

Avec ce noir et blanc sublime et sa mise en scène si moderne, portée par d’intenses gros plans, Marco Bellocchio nous happe à merveille dans la perversité d’Alessandro. Bourré de tics, imprévisible et inquiétant, il est interprété avec brio par le jeune Lou Castel. Mais la véritable force du réalisateur reste cette intelligence d’écriture, critique de la famille, de la bourgeoisie et de l’Eglise, les bases de la société italienne des années 1960. Des thématiques qui, par la représentation du quotidien d’une famille qui n’a plus rien d’humain et se désagrège de l’intérieur, restent encore très parlants aujourd’hui. Tous coupables (entre vices et folies) et complices, et tous punis, un moment ou un autre, dans l’horreur la plus ultime. A l’image de cette dernière séquence, sublimée par le montage virtuose, faisant passer du visage terrifié de Giulia (déroutante Paola Pitagora) à celui d’Alessandro, en détresse, auquel la composition d’Ennio Morricone répond parfaitement.

Tandis que sortira en fin d’année 2016 son dernier film, Fais de beaux rêves, avec lequel Bellocchio semble avoir fait (en partie) la paix avec la famille, voire la religion, il est intéressant de voir à quel point ce premier film est abouti. Un chef d’œuvre dur, où se sublime l’abomination de l’être.

Pierre Siclier

[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]Votre avis ?[/button]

Nos dernières bandes-annonces

Rédacteur

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Note finale

  1. Les poings dans les poches (1965)
    Film italien de Marco Bellocchio (26 ans alors!).
    (en replay en ce moment sur Arte)

    Une sorte de thriller en forme de huis clos familial.
    Dans cette famille qui cumule mal-cuits et impotents. Les rôles ne sont totalement déterminés, en tout cas au début.
    L’exposition en demi-teintes des personnages est particulièrement réussie.
    Le scénario semble se réorienter à la faveur des circonstances. Ce qui donne de la fluidité à cette sombre histoire.

    Le grand frère, en pater familias, tente de protéger et de raisonner tout ce petit monde. Il donne de sa personne et sacrifie ainsi ses projets et son émancipation.

    Pensant bien faire, le frère épileptique et un brin psychotique (Lou Castel) entreprend de diminuer le fardeau financier qui repose sur les épaules de l’aîné. Il cherche à éliminer la mère aveugle, un frère abîmé…

    Avec au centre de toutes les attentions, la jeune sœur, la belle Paola Pitagora. Grâce à une caméra amoureuse, cette face d’ange illumine le scénario. Un clair obscur qui transfigure cette jeune madone façon Renaissance.

    Une version revisitée de la Belle et la Bête.

    Le bien et le mal se côtoient sans franches limites. Les uns et les autres sont à la fois révoltés et complices.

    Tout le monde joue bien ici. Ce qui donne à cette œuvre passablement irréaliste, quelque chose de l’ordre du possible.

    Avec eux, on s’immisce en voyeurs privilégiés, dans les sombres recoins de la tragédie humaine.
    Avec un je ne sais quoi de pervers, sulfureux et jouissif. Un peu comme cette douleur « exquise » de certains maux de dents. On appuie là où ça fait mal, et ça fait du bien.

    Vive les mauvais sentiments (au cinéma) !

    Ce film ne pouvait échapper au regard pénétrant d’un très grand du cinéma, Pier Paolo Pasolini. Il dira très joliment, Les Poings dans les poches appartient « au cinéma de prose mais une prose bien particulière, une prose qui bien des fois déborde vers la poésie. »

    voir également la critique élogieuse de Pierre Siclier : https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/critique-les-poings-dans-les-poches-1965-99967/