Photo du film UN PROPHÈTE
Crédits : Roger Arpajou

UN PROPHÈTE, abouti et déroutant – Critique

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Près de quatre années que l’on attendait sa nouvelle réalisation avec une impatience juvénile idiote mais pleinement assumée. Quatre années ! Long, beaucoup trop long pour des fans de Jacques Audiard.

L’année 2009 est à marquer au fer rouge, car elle sera désormais synonyme de son grand retour. Et j’ai envie de dire quel retour ! En compétition au Festival De Cannes, il reçut le Grand Prix du Jury et est passé à un poil de moustique de la Palme d’Or grâce au PROPHÈTE : un film d’une richesse débordante, dérangeant et magnétisant, généreux et individualiste, malsain et salvateur, un film d’Audiard tout simplement.

L’histoire nous embarque sur les traces de Malik El Djebena, un jeune arabe analphabète de 19 ans, condamné à six ans de réclusion à cause d’une tentative d’agression à l’arme blanche sur un policier (on peut déjà imaginer que le garçon n’est pas du genre très futé). A son arrivée, c’est le plus chétif, le plus faible et presque le plus jeune de tous. De la chair fraîche dans un enclos de renards et de loups avides de sang. Son destin va basculer le jour où César (le « caïd » corse de la prison) lui demande, ou plutôt lui ordonne de tuer l’un des siens sous peine d’être tué à son tour. En échange il recevra une protection non négligeable.

Dès lors, nous assistons à l’ascension inattendue de ce jeune arabe au sein d’un milieu qu’il ne connaît pas et qui ne veut certainement pas de lui : la mafia corse. La caméra d’Audiard suit à la trace les premiers pas de ce banlieusard de bas étage qui deviendra l’un des plus gros caïds de la prison à force de malice et d’intelligence apprises sur le tas. Sous les traits de ce personnage, un jeune acteur : Tahar Rahim. Nous découvrons un acteur alors méconnu débordant de talent, apportant son innocente et naïve jeunesse dans un monde froid et imperméable d’émotivité. Tahar Rahim arrive sublimement à jongler entre les différentes émotions qui le gagnent au fil des années, apportant plusieurs niveaux de lecture à son personnage qui n’est ni tout blanc, ni tout noir mais qui va là où le vent le mène. La psychologie perturbée du personnage est parfaitement retranscrite et donne naissance à de nombreuses séquences à la fois humaine et abominable qui suscitent l’effarement d’un spectateur cramponné à son fauteuil devant un tel réalisme.

Photo du film UN PROPHÈTE
Crédits : Roger Arpajou

Car le premier mot qui nous vient à l’esprit en parlant d’un film d’Audiard est « réalisme ». Un réalisme à outrance qui nous confronte à la triste réalité de la fatalité humaine. UN PROPHÈTE ne déroge pas à cette règle. Jacques Audiard nous dépeint avec brio l’univers carcéral des prisons françaises, ne les glorifiant en aucun cas, mais ne les réfutant pas non plus entièrement. C’est presque à un reportage auquel nous assistons pendant les 2 heures 30 du film : Jacques Audiard lance un appel au gouvernement et un message pessimiste à la population en affirmant haut et fort que le passage par la case prison n’a rien de bénéfique, bien au contraire. Ou plutôt si, ce passage est bénéfique à celui qui y entre, mais du côté du mal exclusivement. Comme à l’image du jeune Malik, bon nombre de détenus n’auront appris qu’une seule chose pendant ce passage plus ou moins long : devenir encore plus redoutable et malsain qu’ils ne l’étaient auparavant. Pas de rédemption mielleuse et de mea culpa prophétique, non, juste la triste et entière réalité.

Tendancieux ou non, exagéré ou pas, il n’en reste pas moins que le film est glaçant, déstabilisant, nous extirpant et mettant à rude épreuve la moindre parcelle d’émotion. Comme toujours, Audiard met l’Homme au premier plan en le confrontant à ce qu’il a de plus bestial, de plus sauvage, de plus primaire dans ses agissements par le biais d’une mise en scène méticuleuse, rigoureuse, d’une caméra au plus près des protagonistes et d’un univers envoûtant qui n’est pas sans rappeler Midnight Express d’Alan Parker ou Le Trou de Jacques Becker.

Si Un Prophète n’a pas reçu la Palme D’Or, il n’en reste pas moins l’une des œuvres les plus abouties et déroutantes de cette année 2009.

Au niveau des interprétations, nous assistons également à des exploits. Passé le brillant Tahar Rahim, UN PROPHÈTE bénéficie d’une belle brochette d’acteurs à « gueule », à commencer par Niels Arestrup. A la fois simple et effrayant, un caïd corse insensible et intransigeant qui passerait presque pour un gentil. On est sans voix dans la plupart des séquences où il intervient. Il arrive parfaitement à jongler entre l’ennemi, l’ami, l’ange gardien et la grande faucheuse. Son personnage est une bombe à retardement qui peut exploser à chaque instant, détruisant l’avenir du premier venu. Niels Arestrup redonne un nouveau sens au mot brillant.

Ajoutons à ce duo des seconds rôles qui n’ont pas été mis de côté ou pris à la légère comme on peut le constater dans de nombreuses productions. Ici, chacun à sa propre personnalité, sa propre psychologie tordue et ne se ressemble que dans un seul et unique constat : ils sont plus paumés les uns que les autres. Ainsi, nous assistons à l’émergence de nouveau talent comme Reda Kateb alias Jordi Le Gitan ou Adel Bencherif (Ryad). Car Audiard est avant tout un réalisateur qui fait confiance et qui donne sa chance à de nouvelles « recrues » du cinéma français, ne se reposant pas sur les ultimes têtes d’affiches qui décrédibiliseraient ses films et ouvrant ainsi ses portes à un cinéma plus indépendant, plus assumé, plus authentique, un cinéma qui n’a rien à voir avec les « soupes », spectacles fast-food, dont on est envahi chaque mois.

Photo du film UN PROPHÈTE
Crédits : Roger Arpajou

En conclusion, en seulement cinq films, Jacques Audiard s’est imposé comme une figure incontournable du cinéma français, mais avec UN PROPHÈTE, il s’impose comme un monstre sacré du cinéma du genre, nous laissant sans voix devant un tel assemblage de maîtrise des règles et de capacité à les transgresser qui lui confère un goût très prononcé de chef-d’œuvre.

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Titre original : Un Prophète
Réalisation : Jacques Audiard
Scénario : Jacques Audiard, Abdel Raouf Dafri, Nicolas Peufaillit, Thomas Bidegain
Acteurs principaux : Tahar Rahim, Niels Arestrup, Adel Bencherif
Date de sortie : 26 août 2009
Durée : 2h35min

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Note finale

  1. Vu le film hier, sur la télé.
    Je suis très étonné de la critique dithyrambique de 2009: ce film est peut être un bon docufiction, mais le scénario n’a rien de crédible, et la fin confuse est incompréhensible, ce qui est toujours dommage.
    en gros, ce film est bon dans tous les compartiments, sauf dans le scénario, ce qui est un comble pour Audiard

  2. Très bien ce film et surtout très original,surtout le fait de voir des surveillants pénitentiaires ripoux,dominés par la pègre carcérale(Encore une fois)…Oui vraiment très original…Le jour où ces derniers seront un peu mieux traités n’est pas encore arrivé… »Ouh le méchant surveillant!!!Il est vraiment pas gentil avec les « bisounours » détenus!! »