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© Paramount Pictures France

[CRITIQUE] 13 HOURS

MISE EN SCENE ET NARRATION
6
SCENARIO ET RECIT
6
REFLEXION POETIQUE
2
POLITIQUE ET SOCIALE
2
Note des lecteurs2 Notes
4.7
4

Aujourd’hui il est difficile d’imaginer un film de Michael Bay sans la présence de l’armée américaine tant celle-ci incarne le premier fleuron de son cinéma. Au regard des précédents films (The Rock, Armageddon, Pearl Harbor et les Transformers), il était légitime de penser que l’ultime rencontre n’avait pas encore eu lieu entre cette hydre à deux têtes ; une œuvre totale qui, à elle seule, serait à même de porter aux nues une institution sacralisée et toute-puissante en son pays. Avec 13 HOURS, Bay trouve enfin le sujet adéquat pour réaliser son fantasme, celui de livrer un film de guerre qui ne se prend pas pour autre chose ; une véritable démonstration de force en bonne et due forme. En effet, 13 HOURS est adapté d’un ouvrage de Mitchell Zukoff tiré d’une histoire vraie (et qui plus est récente), racontant l’indéfectible courage de six irréductibles soldats américains. A l’instar de La chute du faucon noir (2001) de Ridley Scott, 13 HOURS n’a pas la prétention de redéfinir le genre du film de guerre mais de nous immerger dans le climat nerveux d’une Lybie toute juste libérée de la dictature de Kadhafi. En cela, le film s’inscrit dans un régime représentatif classique des images qui organisent le réel pour en construire un monde vraisemblable.

Photo du film 13 HOURS
© Paramount Pictures France

Néanmoins, la sensibilité de Bay va l’amener sur l’un des terrains propres à ses fantasmes : le huis clos en terrain hostile (cf. la scène des douches dans The Rock). Cette sensibilité va modifier la teneur réaliste du film, lui donnant ainsi des allures de film d’horreur chargeant chaque plan d’une dose de suspense et de tension pour le moins efficace. À ce titre, la mise en scène est emprunte d’un certain classicisme. Moins expérimental qu’à l’accoutumé, Bay s’évertue à rendre lisibles au maximum les séquences d’action, preuve que la dimension historique du sujet change foncièrement la donne. Toujours aussi peu à l’aise dans les variations de rythme entre scènes d’action et scènes de pause, souvent d’un ridicule embarrassant, la mise en scène de Bay ravira néanmoins les aficionados de jeu vidéo type Call of duty, les pratiquants de paintball et de jeux tels que Capture the flag ; heureux de voir que le réalisateur de Transformers est tout aussi enthousiaste et ludique lorsqu’il s’agit de tirer sur des extrémistes radicaux que sur des robots géants. Les scènes d’actions sont d’ailleurs livrées à un rythme effréné permettant au film de se maintenir à un niveau d’efficacité tolérable. Alors que 13 HOURS distille à qui veut l’entendre ses signes et ses messages de manière ostentatoire, voire provocatrice, l’idéologie qu’incarne le film pose un autre type de problème.

En effet, le film évite scrupuleusement tous les sujets pertinents que peut proposer un film de guerre contemporain (Zero Dark Thirty, American Sniper), à savoir les retours compliqués au pays de soldats traumatisés ; les liens indescriptibles qui unissent le soldat avec ses deux familles (la sienne et l’armée), leur mal-être et besoin, une fois rentrée au pays, de retourner au plus vite là-bas et une incompréhension des enjeux de cette guerre, etc. Malgré une absence totale de réflexion, 13 HOURS n’en demeure pas moins politiquement engagé. Faisant le choix du film hommage, de l’hagiographie exaltée d’un événement historique, Bay pense peut-être éviter toute forme de polémique. Cependant, filmer un fait réel – six hommes du G.R.S (Global Response Staff) vont combattre pendant 13 heures des assaillants dans l’ambassade de Benghazi (Lybie) puis dans un complexe de la CIA gardé secret sauvant ainsi bons nombres de vies américaines – engage déjà une prise de position politique. En resserrant l’espace de visibilité sur ces hommes et sur des lieux précis, en prenant le soin de ne pas montrer le « dehors », Bay se focalise uniquement sur l’exploit de ces hommes en valorisant leur sens du sacrifice et leur bravoure. Ils vont d’ailleurs jusqu’à s’opposer aux ordres de leur supérieur direct pour sauver des vies. Le monde révélé par Bay est ainsi univoque ; les tensions ou contradictions inhérentes à la représentation des situations semblent évacuer au profit de la seule emphase propre au modèle narratif classique. Et lorsque celle-ci s’arrête à la reconstitution du massacre d’assaillants arabes, la propagande de Bay ne persuade que les convaincus.

« 13 HOURS évite scrupuleusement tous les sujets pertinents que peut proposer un film de guerre contemporain. »

Il semble alors impossible d’être ému ou bien de s’identifier à l’un des six hommes tant ils sont décrits comme de gros bourrins, tout juste capables de soulever des pneus, conduire des voitures de luxe, jouer aux jeux vidéo, le tout entre deux blagues graveleuses. Et ce ne sont pas les scènes de flashbacks ou de discussions ridicules avec leurs familles respectives qui attendrirons davantage notre regard (cf. la scène du driving au McDo avec la famille de Silva). Reste alors cette fameuse attaque du 11 septembre 2012, tout un symbole (date du onzième anniversaire du 11 septembre 2001), où les extrémistes libyens, drapés de la bannière de l’État Islamique, attaque par vagues successives tel un remake de la bataille d’Alamo (après le film d’horreur, c’est au tour du western de se montrer). Au final, le « score » est sans appel : quatre morts côtés américains pour plus d’une centaine du côté des extrémistes. Au-delà de l’ornementation spectaculaire de la reconstitution, les « discours » idéologiques s’enchaînent aussi vite que les balles fusent.

Ainsi, le mauvais goût propre à l’esthétique de Bay refait surface par l’intermédiaire de contrastes absurdes à l’image de ce soldat en sang et pratiquement démembré en train de monter dans un avion sous le regard outré d’hôtesses de l’air qui prennent néanmoins le temps de poser une petite serviette sur la passerelle. Ou encore, l’archétype du gentil et servile arabe qui sert d’interprète à l’unité et qui finit tout de même par s’entendre dire par l’un des soldats une phrase comme : « il faut que vous régliez ça maintenant, c’est le bordel ici » (sic). De même que les incessantes moqueries des soldats américains sur l’amateurisme des forces étrangères, alliées ou ennemies, le tout accentué par la mise en scène de Bay qui les réduit à une masse informe ou à de vulgaires gamins, lâches et/ou voleurs. Mais le pire est à venir lorsqu’il décide de filmer, au ralenti bien sûr, toutes ces mères voilées qui se précipitent au chevet du corps de leur défunt fils. Un plan qui apparaît disproportionné et gratuit tant le film n’a cessé de répéter que des vies américaines, ô combien plus importantes, étaient en périls. Après avoir montré une heure de « tirs aux pigeons », sans pratiquement jamais filmer un visage de l’opposant, Bay ose s’arrêter subitement sur les conséquences et retombées funestes de cette nuit atroce, preuve s’il en est que son manque de clairvoyance et de sincérité est par moments impardonnable. L’équivalence des émotions est une chose, leur confusion en est une autre.

Photo du film 13 HOURS
© Paramount Pictures France

Finalement 13 HOURS n’est rien d’autre qu’une version extended du film, Du sang et des larmes (2013) de Peter Berg. C’est-à-dire un enchaînement d’action qui sert à grandir le courage de ces hommes qui, au péril de leur vie, ont tenu face à la menace étrangère. Ce n’est pas tant le Michael Bay cinéaste d’action qui dérange ici – The Rock (1996) est par exemple un très bon film d’action qui ne lésine pas en termes d’idéologies patriotiques et militaristes – mais plutôt l’homme républicain, sûre de ses valeurs et de ses convictions, qui s’appuie sur un fait réel pour asséner son message belliciste. Tout autant républicain, Clint Eastwood avait l’intelligence de ne pas réduire le héros d’American Sniper, Chris Kyle, à une simple machine à tuer, et l’ironie du sort propre à toute condition humaine faisait qu’il allait mourir dans son propre pays par la main d’un ancien militaire. De même, lorsqu’il réalise un film sur la bataille d’Iwo Jima, Eastwood prend le temps d’en donner les deux points de vue. Avec 13 HOURS, il semblerait que Bay serve davantage son propre projet de carrière, la propagande de l’armée ne servant finalement qu’à prolonger son contrat avec celle-ci afin de bénéficier d’avions de chasse dernier cri pour le prochain Transformers. S’il a évidemment le droit de vouloir faire un divertissement efficace (les émotions) tout en étant engagé politiquement (le sujet) à l’instar du très bon Démineurs (2009) de Kathryn Bigelow, il ne doit pas, sous couvert de rechercher le spectacle total, supprimer les singularités et les nuances propres aux genres, aux sujets et aux émotions, sinon quoi, il tombera toujours dans la caricature bête et méchante.

Antoine Gaudé

D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?

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Affiche du film 13 HOURS

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Titre original : 13 Hours : The Secret Soldiers of Benghazi
Réalisation : Michael Bay
Scénario : Chuck Hogan
Acteurs principaux : John Krasinski, James Badge Dale, Max Martini, Pablo Schreiber, Toby Stephens, David Denman…
Pays d’origine : Etats-Unis
Sortie : 30 mars 2016
Durée : 2heures 24 minutes
Distributeur : Paramount Pictures France
Synopsis : Benghazi (Libye), 11 septembre 2012. Face à des assaillants sur-armés et bien supérieurs en nombre, six hommes ont eu le courage de tenter l’impossible. Leur combat a duré 13 heures. Ceci est une histoire vraie.

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Drouillat
Drouillat
Invité.e
28 mars 2016 9 h 37 min

Merci je trouve l’analyse pertinente, bien argumenté, un bon travail 🙂

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