Thomas a été membre du jury SyFy en partenariat avec Syfy et Canalsat.
Les milliers de cinéphiles amateurs de fantastique ont désormais déserté la station vosgienne de Gérardmer et toutes les créatures étranges sont retournées dormir au fond du lac, du moins jusqu’à l’année prochaine. Il est temps de dresser le bilan de cette 23ème édition du festival international du film fantastique de Gérardmer. Les 10 films présents en compétions ont dessiné les contours d’un paysage torturé entre deux tendances : le conformisme et l’hybridation.
Le terme de « genre » est par définition associé à une reproductibilité, c’est une catégorie qui rassemble personnages, noyaux d’intrigues ou gimmicks visuels. Toutefois, il n’est jamais plaisant de regarder deux fois de suite exactement le même film, du coup on attend tout de même dans chaque œuvre une forme d’originalité. Le court métrage Quenottes de Pascal Thiebaux et Gil Pinheiro réussit ce pari par la relecture du mythe de la petite souris sous l’angle fantastique. Sa réalisation ambitieuse et soignée ainsi que ses effets spéciaux lui permettent de remporter le grand prix du court métrage, même si les deux réalisateurs doivent encore travailler sur leur direction d’acteurs.
Dans la sélection officielle des longs métrages, des films comme What we become, Frankenstein, Jeruzalem, Southbound, The Devil’s candy et Howl n’offrent pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n’est leur lot de gags gores plus ou moins jouissifs. Le premier de cette liste est même quasiment un plagiat de l’excellent film 28 Jours plus tard sans réussir à reproduire l’originalité de la mise en scène. Jeruzalem emprunte tellement au sous-genre du found-footage, sans sortir des rails des règles classiques sur la contamination par les zombis, qu’il peine à divertir dans sa dernière demi-heure grotesque. Southbound ne parvient absolument pas à convaincre d’une quelconque intelligence : malgré son montage alambiqué de courts-métrages connectés par des raccords techniques, on ne nous fera pas croire qu’il s’agit d’autre chose que des Contes de la crypte remis au goût du jour. Parfaitement adapté à son public adolescent, Southbound récolte le prix du Jury Jeunes.
Howl sort du lot de cette partie de la sélection « remake » grâce à une mise en scène efficace en dépit d’un scénario aussi très décevant. Qu’on nous parle de loups-garous, zombies, tueurs possédés ou esprits vengeurs, à chaque fois on est déçu de constater à quel point les auteurs de ces films ont cédé à la facilité. The Devil’s candy malgré une fin ridicule, offre un spectacle réjouissant aux personnages attachants, plus complexes que ceux montrés dans le reste de cette première liste. Le prix du public revient naturellement à The Devil’s candy autant pour ses qualités que par absence de véritables concurrents.
Frankenstein est clairement le pire film de cette sélection. En plus d’être totalement inintéressant sur le plan du scénario, il est alourdi par des dialogues aux sous-entendus psychanalytiques ou sociaux dépourvus de subtilité.
Sans réussir à trouver véritablement de grand film à la fois populaire et original, (tel que It Follows l’année d’avant) le prix du jury de Gérardmer a été décerné ex-æquo à Jeruzalem et Évolution. Dans son discours, le président du jury Claude Lelouche a tenu à préciser que s’il était nécessaire d’aller au-delà du divertissement, il fallait aussi prendre en compte les attentes des spectateurs. Si la réalisatrice Lucile Hadzihalilovic a pris la précaution avant son film de nous inviter « au voyage » plutôt qu’à suivre « un récit », on doit avouer que beaucoup sont restés sur le quai : Évolution est une œuvre descriptive qui se contente d’expliquer les règles totalitaires d’une communauté fictive sur une île isolée du reste de la civilisation. A chacun d’y chercher les résonances avec sa propre imagination, mais sans histoire pour nous guider dans cet univers peuplé d’étoiles de mer anxiogènes, on aura plutôt vu la projection mentale d’une personne autiste. Évolution est un dialogue de sourds dont certains borborygmes ne sont pas dénués de poésie. Lucile Hadzihalilovic commence sa carrière comme semble la terminer un Terrence Malick avec Knight of cups : les incohérences de scénarios sont cachées sous des ellipses poétiques et la complexité gratuite du film est censée renvoyer à une supposée intelligence du propos. Pas étonnant que Claude Lelouche ait voulu contrebalancer une telle prise de risque « d’auteur » par un film plus divertissant. Le président du Jury a salué les réalisateurs de Jeruzalem pour leur inventivité formelle. Lelouche a reconnu dans les différentes interviews qu’il a accordées durant le festival, ne pas être très connaisseur du genre fantastique. On peut donc supposer qu’il n’aura pas vu Blair Witch, Cloverfield ou Chronicle, auxquels Jeruzalem n’apporte pas grand chose si ce n’est l’aspect « interactif » des smart-glass. Le concept est ludique la première demi-heure, paradoxalement dans un ton assez comique alors que l’horreur n’a pas véritablement commencé. Plus les héros du film s’enfoncent dans les abysses, et plus Jeruzalem sombre dans le kitch et la prévisibilité.
« THE WITCH est un grand film sur la suggestion, y compris celle que le film crée à l’intention du spectateur. »
Évolution est clairement la figure de proue de cette deuxième partie de la sélection officielle de Gérardmer, constituée de films âpres, originaux mais pour certains impénétrables. Cette complexité à appréhender Evolution, February, The Witch et Bone Tomahawk tient pour beaucoup dans l’hybridation avec d’autres genres ou styles de films. Évolution tire son irrévérence au genre fantastique par une approche digne de la nouvelle vague (imaginez Pauline à la plage sous champignons hallucinogènes), February tient plus de la tragédie grecque que du film d’horreur, The Witch emprunte au théâtre élisabéthain et au drame familial, quant à Bone Tomahawk le western ne bascule qu’en tout dernier lieu dans le fantastique gore (mais quel retournement !).
Derrière un montage alambiqué offrant au spectateur un sérieux puzzle à résoudre, February tire sa mécanique des tragédies classiques. Un élément déclencheur bouleverse la destinée d’une héroïne, la poussant à une série de choix dont l’issue est connue par le spectateur à l’avance. Peu importe la complexité de la narration du film, on est certain dès les premières minutes de savoir où tout cela mène. La déception est de mise, car ce procédé artificiel de flash-back/prémonitions n’offre pas beaucoup d’espace à l’installation d’un véritable suspense. Il y a une différence notable entre évoquer la possibilité d’un danger et littéralement montrer ce qui va advenir. Je rangerai February dans la même catégorie qu’Évolution, une œuvre artistique sans concession qui n’offre aucune porte d’entrée au spectateur, à part l’analyse froide et cérébrale d’un psychologue. February comme Évolution avec quelques éléments supplémentaires auraient pu être de grands films à twists tels que Sixième Sens, mais jamais on ne traverse le miroir pour découvrir l’envers du décors, bien que tous les indices dissimulés dans le film essayent de nous faire croire à cette possibilité. Récoltant également le prix de la critique, Évolution peut éventuellement être vu comme l’expression la plus élitiste du cinéma : une œuvre produite pour être accrochée d’emblée dans un grand musée, afin que les masses admettent enfin le fossé qui les séparent des « sachants ». Œuvres d’art pour l’Art, je considère personnellement Évolution et February comme ratées pour leur incapacité à transmettre une émotion à un public plus large que celui du milieu dont sont issus les artistes qui les ont imaginées. Si le poète convoque sa muse, ce n’est pas seulement pour chercher l’inspiration, mais aussi pour initier un dialogue avec un premier spectateur imaginaire. Évolution et February sont des films qui tentent d’avancer sur une seule jambe, sans prendre en compte l’autre acteur essentiel du spectacle : le public.
Si on veut bien se laisser porter par une langue anglaise aux accents shakespeariens, The Witch est le véritable « voyage » de cette sélection 2016. Outre ses qualités esthétiques, le film plonge le spectateur dans un huis-clos familial ou l’accusation en sorcellerie peut s’abattre n’importe quand. The Witch se rallie totalement au genre fantastique grâce à un imaginaire fidèle aux contes horrifiques, transcendé par une direction artistique hors-norme. Ce qui fait pourtant de The Witch une réussite totale réside dans l’étrangeté du quotidien de cette famille exilée à la frontière de la civilisation. De toute la sélection, The Witch est le seul film qui permet à la réalité et au surnaturel de se confondre. L’ambivalence de ces deux aspects pousse les personnages comme les spectateurs à « accuser » tour à tour les éléments perturbateurs censés prouver l’existence matérielle de la sorcellerie. The Witch offre un spectacle haletant au suspense permanent, mais décortique également la psychologie de toute une époque, aux frontières d’œuvres littéraires, historiques et anthropologiques. Au-delà de la reconstitution historique, The Witch offre un divertissement qui résonnera chez le spectateur pour la modernité du propos : une réflexion sur la domination de la femme pour certains ou sur le pouvoir totalitaire du fanatisme religieux pour d’autres. Dans tous les cas, The Witch est un grand film sur la suggestion, y compris celle que le film crée à l’intention du spectateur. Mise en abyme déguisée sous les habits du divertissement populaire (« il était une fois… ») ou récit halluciné d’un scénariste brillant, The Witch est un coup de maître qu’il nous a paru évident de saluer par le prix Syfy dont j’avais l’honneur de faire partie au nom du Blog du Cinéma (en partenariat avec Syfy/Canalsat).
La critique complète de The Witch se trouve ici.
Bone Tomahawk récolte quant à lui le Grand prix de Gérardmer, et c’est une excellente nouvelle pour ce premier film de très bonne facture. Parfaite direction d’acteurs, dialogues ciselés et drôles, univers visuel riche et oppressant dans son dernier tiers, suspense jusqu’au dernier plan, Bone Tomahawk mérite le Grand prix bien que je lui préfèreThe Witch. La principale force de ce western réside dans les créatures troglodytiques, d’abord évoquées pendant les 2/3 du film comme le reflet négatif de notre humanité, puis montrées frontalement dans une dernière partie extrêmement gore. Loin d’être un film scindé en 2, Bone Tomahawk trouve une cohérence en se focalisant sur le destin du petit groupe de héros partis à la rescousse des otages des créatures. S. Craig Zahler prend le temps de poser son intrigue et ses personnages, mais c’est pour mieux servir le suspense explosif de la dernière partie. Beaucoup trouveront dans Bone Tomahawk les qualités qui ont fait défaut au dernier Tarantino (Les huit salopards m’apparaît très sur-côté niveau suspense). Là où Bone Tomahawk pourra décevoir c’est dans la superficialité de son propos : mis face à l’horreur de ces créatures pas si éloignées de nous, que nous reste-t-il à faire à part en éradiquer jusqu’au souvenir ? Le réalisateur préfère botter en touche au moment de conclure, me laissant personnellement sur ma faim, bien que le voyage jusqu’à cette dernière image fut très plaisant. Au contraire de Bone Tomahawk, les images de The Witch continuent de me hanter et de créer en moi de nouvelles résonances.
La critique complète de Bone Tomahawk se trouve ici
Le panorama de cette sélection officielle de Gérardmer, me paraît révéler la difficulté des auteurs à innover au sein du genre fantastique, tout en restant intelligibles et divertissants. La notion de « genre » a été crée pour délimiter les frontières entre différents registres d’émotions, mais aussi pour faciliter la compréhension et les choix du plus grand public. Un genre est une « marque » destinée à indiquer ce à quoi s’expose le spectateur s’il regarde le film étiqueté de la sorte. L’implication dans le film est donc paradoxale, on cherche à la fois à retrouver des sensations connues au travers de situations déjà vécues dans des précédents films, et en même temps on voudrait être surpris par un nouvel agencement des éléments qui constituent le genre. Or, cette sélection officielle de Gérardmer a montré soit des œuvres consensuelles contrebalancées par une forme d’auto-dérision (What we become, Jeruzalem, South Bound, The Devil’s candy, Frankenstein et Howl) soit des tentatives pour déconstruire le genre fantastique par l’hybridation à un autre style de film. Je considère personnellement que la greffe n’a pris que chez The Witch et Bone Tomahawk, les deux autres films (February et Évolution) m’excluant par leur prétention à paraitre « intelligent » sous le vernis de leur complexité inutile. Les intrigues de ces deux films auraient fait d’excellents courts métrages, mais étalées sur 1h30, elles créent un ennui vide de sens.
La sélection 2016 de Gérardmer pose donc clairement une question : est-il encore possible d’inventer au sein du genre fantastique sans tomber dans l’élitisme ?
Thomas Coispel
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
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• Grand prix: Bone Tomahawk• Prix du jury: Evolution ex-aequo avec Jeruzalem
• Prix du public: The Devil’s candy
• Prix de la critique: Evolution
• Prix du jury Syfy: The Witch
• Prix Jury Jeunes: South Bound
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[divider]RÉSUMÉ DE LA CÉRÉMONIE[/divider]
[divider]INTERVIEW DU JURY SYFY[/divider]