Depuis sa présentation au Festival de Cannes en 2000, IN THE MOOD FOR LOVE, le chef-d’œuvre de Wong Kar-wai, a envouté nombre de spectateurs. Un film unique et signifiant où chaque objet, décor ou costume sert un propos : l’amour est insondable. Mais IN THE MOOD FOR LOVE est aussi une épopée sensorielle, un conte sur la complexité et l’évanescence de l’amour. Un film en forme de jeu de piste joué par des héros désireux de comprendre les variations de l’amour. Et ses humeurs. Cependant, Mme Chan et M. Chow, nos protagonistes, échouent. Ils ont beau imiter leurs époux infidèles, les singer, ce qui les a amenés à se fréquenter demeure énigmatique. À l’image de la relation entre les deux héros interprétés par Maggie Cheung et Tony Leung. Ainsi, le spectateur est convié à décrypter les mille facettes d’une histoire d’amour et son insaisissable commencement.
L’insondabilité de l’amour dans le chef-d’œuvre de Wong Kar-wai
La volonté de percer les mystères de l’amour
L’amour est insondable et demeure une énigme du début à la fin du film. M. Chow et Mme Chan cherchent à comprendre comment leurs époux sont tombés amoureux ; or personne ne peut savoir. Et le film, à l’image de la vie, n’apporte aucune réponse. Il donne simplement au spectateur les preuves de ces manifestations. Cette énigme devient donc une quête pour les protagonistes. Commence alors une investigation pour en éclairer les parts d’ombre : qui a fait le premier pas ? Ont-ils dit ceci ou cela ? Par ailleurs, la relation entre Maggie Cheung et Tony Leung débute par la résolution d’une première énigme : la cravate et le sac à main offerts par leurs époux confirment leur aventure. En cherchant les raisons de l’amour extraconjugal entre leurs partenaires, les personnages principaux tentent d’élucider l’inexplicable : la naissance de l’amour.
Des amants interchangeables et indéchiffrables
Le film de Wong Kar-wai insère des passerelles subtiles entre les différentes relations adultérines. Chacun de ces amours interdits s’enchevêtre et se raconte par le biais d’objets. Notamment, les cravates et les sacs à main offerts par les époux et les amants. Il y a le couple principal, leurs compagnons qui entretiennent une liaison, mais aussi le patron de Mme Chan et sa maîtresse. De cette manière, les amants se reflètent et se télescopent. Un jeu de miroir où les amants sont interchangeables et pour autant, le réceptacle d’un sentiment insaisissable.
Cette dimension apparaît également quand les protagonistes singent leurs époux afin de comprendre comment leur histoire a débuté. Ainsi, les différentes relations communiquent entre elles et se mélangent subtilement. Ce jeu de rôles a pour but de déchiffrer la clé du mystère amoureux. D’ailleurs, lorsqu’ils sont eux-mêmes suspectés d’avoir une liaison, les rôles se confondent à nouveau. L’effet de miroir démontre à la fois la complexité de l’amour, mais aussi son inconstance.
Les sens, révélateur des manifestations amoureuses dans IN THE MOOD FOR LOVE
Les manifestations de l’amour visible à l’œil nu
Si le surgissement de l’amour est insaisissable, ses manifestations sont compréhensibles. Notamment grâce aux cinq sens. En témoigne la superbe cinématographie de Wong Kar-wai qui en révèle les soubresauts. Les sens jouent un rôle crucial. Ils dévoilent avec finesse les différentes expressions d’un amour à la fois interdit et innocent. L’odorat, l’ouïe, le toucher, la vue et le goût invitent le spectateur à une véritable traversée sensorielle. Les sens du spectateur sont sollicités de toute part pour capter les vibrations de l’amour et du désir.
Et en premier lieu, la vue. Les gros plans sur les regards de Maggie Cheung et Tony Leung permettent de révéler les manifestations du désir amoureux ; mais aussi leurs frustrations et leurs hésitations. Notamment au travers de regards baissés, timorés ou tristes. Les spectateurs sont en première loge pour observer l’amour qui les agite. Par ailleurs, la profusion de couleurs, de formes et de motifs valorise l’amour naissant entre Mme Chan et M. Chow. Le visuel narre un récit à lui tout seul ; le récit de sentiments inexprimés, mais perceptibles aux témoins attentifs.
Les preuves des crispations et des passions contenues
L’odorat et le goût témoignent également du rapprochement entre les deux amants. La nourriture symbolise la sensualité latente entre les personnages. Cette dimension charnelle se manifeste sous des formes variées : le contact des aliments avec les doigts et la bouche, l’imaginaire des odeurs et des saveurs, mais aussi, les fumées et les vapeurs ondulantes. D’ailleurs, lorsqu’ils sortent acheter des nouilles, le couple se frôle dans les rues étroites de Hong-kong ; les repas convoquent la promiscuité et les effleurements. Ces sens témoignent de la naissance du désir et le rapprochement des protagonistes.
Par ailleurs, le toucher et l’ouïe révèlent également leur passion, mais aussi leurs crispations. La caméra s’attarde plusieurs fois sur les mains de Mme Chan ; elles montrent ses craintes, et surtout son incapacité à exprimer ses émotions. Ces gros plans démontrent les sentiments des personnages. Notamment lors de la fausse scène d’adieu ; zoom sur leurs mains qui se serrent, ou qui caressent leurs dos et leurs épaules. Ou encore lorsque leurs mains s’entrelacent dans le taxi pour la première fois. Si les mots ne disent rien, leurs gestes parlent pour eux.
Enfin, les sons participent à délimiter une frontière entre le couple et l’extérieur. Leurs interactions révèlent un monde en soi, un monde dominé par le silence et les secrets. À contrario, l’extérieur s’avère une somme de sons : bruits de pas, averses, discussions animées du voisinage, etc. Ce contraste signale la relation privilégiée qui se tisse entre M. Chow et Mme Chan.
Les contrastes et la musique au service du récit amoureux de Wong Kar-wai
Le recours aux contrastes pour dévoiler les émotions des personnages
Le recours au clair-obscur intensifie les émotions qui parcourent le visage des personnages. Leurs contrastes éclairent les regards et les gestuelles et soulignent les sentiments qui les tiraillent. Ce jeu de lumière s’exprime dans les couleurs des costumes et des décors et délimite une scène précise. Par ailleurs, le contraste s’étend au domaine sonore ; en effet, la relation du couple principal se définit également dans sa dualité entre silence et bruit. L’histoire de M. Chow et Mme Chan rivalise de retenues et d’hésitations visibles. Au contraire, leur entourage est bruyant, imposant. Cependant, l’engagement nécessite la parole. Cette dualité sonore met en exergue les non-dits des personnages, la difficulté qu’ils éprouvent à s’engager, à céder à la tentation et finalement, à l’amour. Le silence permet, enfin, de garder le mystère sur les intentions du couple ; l’insondabilité des relations amoureuses sous toutes ses formes.
La bande originale, l’autre acteur de IN THE MOOD FOR LOVE
La bande originale de IN THE MOOD FOR LOVE magnifie le récit de cet amour contrarié. Les notes langoureuses et mélancoliques du titre emblématique « Yumeji’s Theme » de Shigeru Umebayashi entrecoupent le film de séquences où les émotions des personnages sont accentuées : leur solitude, leur attirance ou bien leur désespoir. Par ailleurs, les tubes du chanteur Nat King Cole et notamment « Quizas, Quizas, Quizas », expriment à merveille les aléas amoureux. La musique se mélange aux jeux des acteurs et offre une expérience immersive et totale des arcanes d’une relation impossible.
Une multitude de visionnages ne suffirait pas à déceler les divers niveaux de lecture du chef-d’œuvre réalisé par Wong Kar-wai. À l’image de son sujet, l’amour, IN THE MOOD FOR LOVE se veut insondable. Le spectateur est témoin du début à la fin, il observe et cherche à percer les mystères des passions. Pour autant, ses observations lui apportent plus de questions que de réponses. Le constat est sans appel : le spectateur, caché derrière les portes, est borné aux données extérieures ; il relève tel ou tel symptôme amoureux, cependant, les pensées de M. Chow et Mme Chan demeurent impénétrables. Ce qui a conduit ces deux individus à tomber amoureux reste et restera une énigme.
Laetitia GUICHARD
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
Si vous souhaitez écrire une actualité, une critique ou une analyse pour le site, n’hésitez pas à nous envoyer votre papier !