Photo du film LES FEMMES AU BALCON
Crédits : Nord-Ouest Films, France 2 Cinéma

LES FEMMES AU BALCON, l’esprit de sororité face aux esprits frappeurs masculins – Analyse

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Si dans Mi iubita mon amour, Noémie Merlant y mettait du sien, dans LES FEMMES AU BALCON, elle y met des autres. Ce second long-métrage fait part de l’expérience partagée par nombre de femmes : celle de la violence patriarcale. La réalisatrice fait ainsi appel au cinéma de genre dans un acte défensif, aussi bien utile aux personnages féminins de son film qu’aux spectatrices.

Balcon sur cour

Sur un balcon portant sur une cour d’immeuble marseillaise, ce n’est pas un reporter-photographe qui observe les voisins mais bien trois femmes. LES FEMMES AU BALCON se présente comme un Fenêtre sur cour inversé où nous suivons trois Grace Kelly espionnant un voisin photographe avant qu’il ne décède. L’agresseur du film de Noémie Merlant ressemble davantage au protagoniste d’Alfred Hitchcock bien qu’il rejoigne dans ses actes le tueur dans sa violence envers les femmes. Ce rapprochement avec Hitchcock sur la question des violences sexuelles fait d’autant plus sens en ayant connaissance des affres qu’il a fait subir à Tippi Hedren.

Contrairement à la réalité et au film précédemment cité, ces trois femmes ne sont pas seules et esseulées. La caméra n’est pas bloquée dans un seul espace et est davantage libre. Par ailleurs, ce sont les hommes qui sont enfermés dans l’appartement du voisin tandis que les femmes bougent constamment. Le film tire sa force de ce mouvement opéré par ces trois personnages dont la dynamique entre elles est essentielle à la réussite filmique et féministe de l’ensemble.

Trois femmes sur un bateau

« Découper le patriarcat » est l’objectif de Merlant, et elle le fait en trois. Élise, Ruby et Nicole sont trois personnages distincts que rien ne devrait lier. Élise est un véritable personnage de cinéma, elle est l’image de ce que le public se fait de Marilyn Monroe ; Ruby, quant à elle, est une camgirl extravagante, libre, aussi bien mentalement que sexuellement. Au milieu d’elles, se trouve Nicole, la plus « normale » du trio. Elle a le rôle de la rêveuse, celle dont la vie est terre-à-terre et qui fantasme sur les autres, dont le voisin. Elle s’imbrique néanmoins parfaitement dans cet étrange duo, car en tant qu’écrivaine elle est en recherche d’inspiration et avec des personnages aussi haut en couleur elle a énormément de matière. Merlant, justement, souligne parfaitement au début ces différences qui subsistent entre elles par la réalisation et le montage. Avec Nicole, c’est plus académique, tandis qu’avec Ruby, c’est davantage frontal – notamment dans un acte de désexualisation de certaines parties du corps – alors qu’avec Élise, c’est totalement cinématographique, certains plans rappelant même Niagara de Henry Hathaway. Malgré ces directions stylistiques variées, se dégage une certaine unicité en les mettant par la suite au même niveau. Tout est cependant chamboulé lorsqu’elles vont chez le voisin.

La réalisatrice va sur le terrain du réalisme avec une caméra épaule en mouvement constant et avec une utilisation fréquente de zoom. Quelque chose cloche, cette présence masculine rompant l’équilibre entre les trois personnages. Cela se confirme lorsqu’elles vont se séparer et quand le drame advient. Le métrage s’emporte alors dans un festival d’effets avec en particulier beaucoup de plans débullés. Ces effets marquent le traumatisme, toutefois, ils sont excessifs par le fait que nous passons d’un extrême à un autre. Ça tangue comme si nous étions dans un bateau. Heureusement, la résolution finale redonne de l’équilibre, aussi bien symboliquement que filmiquement, mais il est probablement trop tard. Nonobstant le côté vomitif, cela peut être justifié par le fait que nous observons ce qui est « écrit » par Nicole. Son éditeur souhaite un récit linéaire classique. Dans le cas de LES FEMMES AU BALCON, nous sommes à l’opposé de ce désir avec une œuvre mélangeant les genres en passant de la comédie à l’horreur. Ce qui nous tient finalement à flot, ce sont une nouvelle fois les personnages qui sont très attachants et inspirants dans leur esprit de sororité.

Un équipage soudé

L’entraide entre ces trois personnages face aux violences faites aux femmes est ce qui nous permet de ne pas tomber du bateau. LES FEMMES AU BALCON montre ses intentions dès son ouverture en jouant avec nos attentes – une nouvelle fois avec Fenêtre sur cour – en montrant Denise inerte avant de la voir tuer son mari. Néanmoins, même mort un homme reste un danger pour une femme, en témoigne le cadavre du voisin qui surplombe les trois héroïnes. Face à cette dangereuse présence, elles doivent se serrer les coudes bien que cela se fasse trop tardivement. Effectivement, chacun affronte ce traumatisme de son côté et à sa façon. Ruby, elle qui a subi l’agression du photographe et qui était à l’écoute des hommes participant à ses cam, se confie à ses clients, mais personne ne l’écoute. Elle est celle qui possède le destin le plus tragique, car elle est complètement déshumanisée. Elle est réduite à un simple objet sexuel alors que son seul crime est d’être ouverte d’esprit. Comme toute autre femme, elle est libre de dire « oui », mais aussi de dire « non ».

C’est ainsi le cas d’Élise qui est tout aussi touchante que son amie à la différence qu’elle est en couple. À l’image de Marilyn, elle fait face à un homme pesant la contraignant à avoir des relations sexuelles. La séquence à l’hôtel est en ce sens vraiment criante de vérité et est extrêmement douloureuse. Lorsqu’Élise prend rendez-vous chez la gynécologue, nous pouvons toujours y retrouver de la Marilyn dedans, toutefois, elle s’émancipe de cette image en prenant la décision d’avorter. Avec elle, le côté irréel et cinématographique disparaît pour entrer pleinement dans le réel. À l’inverse, Nicole, elle qui était pourtant la plus terre-à-terre, se retrouve à voir des fantômes comme l’enfant de Sixième sens. Elle, qui n’a jamais vécu de traumatisme, va prendre toute l’irréalité de ses amies pour faire le deuil de son amour pour le photographe. En s’aventurant dans le monde de ses colocataires, elle devient la plus à même à écrire la fin de cette histoire et à aider le groupe à avancer. À la fin, elle est d’ailleurs au centre, équilibrant cette barque émotive qui ne cessait de tanguer et qui se dirige dorénavant vers une existence non dictée par les hommes.

LES FEMMES AU BALCON est un flot d’émotions aussi décapant que réaliste. Le métrage déborde d’une rage folle qu’il peine à contenir. C’est néanmoins en nous submergeant aussi bien cinématographiquement qu’émotionnellement que le film parvient à nous faire rendre compte du quotidien que vivent de nombreuses femmes.

Flavien CARRÉ

Auteur·rice

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