Début de notre rétrospective sur Clint Eastwood réalisateur avec ses films durant les années 1970 !
1970. Clint Eastwood n’est pas encore une star reconnue. Sa filmographie reste assez maigre même s’il a eu quelques beaux succès avec Sergio Leone et Don Siegel (Un Shérif à New York, Sierra Torride). Rien d’exceptionnel non plus. Pourtant, il est attiré par la réalisation et se sent capable de sauter le pas grâce à sa société de production Malpaso et une poignée de collaborateurs en qui il a entière confiance. Universal accepte pourvu que le budget soit dérisoire. Banco. Un Frisson dans la Nuit signera l’émergence d’un cinéaste atypique, qui ne sera pas véritablement pris au sérieux, enfermé dans l’image du flic violent qu’il donnera avec son personnage de l’Inspecteur Harry (1972). Les critiques restent polies mais circonspectes devant ses ambitions, voire hostiles comme Pauline Kael dont il demandera une analyse psychiatrique, après qu’elle l’eut traité de fasciste, pour en déduire publiquement qu’elle voulait juste coucher avec lui. Mais le public le suit à partir du moment où il est à l’écran. De fait, seul Breezy, mal vendu, s’avérera un naufrage au box office et le poussera à commencer à envisager un divorce avec Universal (consommé apres La Sanction au profit de la Warner).
Productif, Clint Eastwood enchaînera six films pendant cette période. Il jouera les icônes du western (L’Homme des Hautes Plaines, Josey Wales Hors la Loi), s’essayera au drame sentimental (Breezy), au film d’espionnage (La Sanction), au thriller (Un Frisson dans la Nuit) et au film d’action pur et dur (L’Épreuve de Force). Pour tourner ses propres films, Clint Eastwood s’investie dans quelques productions moins rigoureuses dont le but est de lui garantir une indépendance artistique. S’il poursuit sa fructueuse collaboration avec Donald Siegel (4 films ensemble), il fait jouer son instinct et découvre de nouveaux talents comme Michael Cimino à qui il demande la réécriture de Magnum Force (après que Terrence Malick et John Milius aient travaillé dessus) avant de produire sa première réalisation, Le Canardeur (1974). Mais cette décennie sera avant tout la mise en place du « système Eastwood » : les succès publics permettront de financer des œuvres plus ambitieuses pétries de quelques thématiques fondatrices : le héros isolé, les grands espaces, la frontière ténue entre le bien et le mal, la condamnation de la société et la corruption de ses institutions. La suite allait creuser un peu plus encore le sillon.
1971 – UN FRISSON DANS LA NUITTitre original : Play Misty for Me
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A peine sorti de la trilogie western de Sergio Leone et au-delà d’un simple caprice de star, Clint Eastwood posait dès son premier film les bases d’un cinéma économique (750.000 dollars de budget), à la fois classique et personnel. Il offrait également à Jessica Walter le rôle très moderne d’une femme fissurée et en pleine déréliction, obsédée par la chanson « Misty » de Herol Garner. Face à ce cas pathologique, le personnage de disc jokey à la fois insouciant et un poil dragueur interprété par Clint Eastwood s’avère assez fade mais lui permet de se glisser pour la première fois dans la peau d’une victime ambiguë. Liberté de ton, envolées jazzy au festival de Monterey, scènes de violence sadique, Clint réalisateur ne se refuse rien. Bien reçu par une critique un poil hautaine, UN FRISSON DANS LA NUIT rencontrera un relatif succès public (5 millions de dollars) qui permettra au réalisateur de poursuivre l’aventure et servira de modèle au futur Liaison Fatale (1987), version moralisatrice, tapageuse et accessoirement loupée signée Adrian Lyne avec Michael Douglas et Glenn Close. |
1972 – L’HOMME DES HAUTES PLAINESTitre original : High Plain Drifter
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Un an après un premier essai qui avait surpris sans redéfinir les contours de son personnage filmique, Clint Eastwood décida de revisiter le western qui l’avait vu naître à l’écran (Rawhide, Leone) sans y aller par le dos de la cuillère. En rendossant le costume de l’Homme sans nom, ange de la mort, vengeur et taiseux, l’acteur pousse le bouchon de l’anti-héros jusqu’au boutiste. Maltraitance, viol, assassinat, rien ni personne ne sera épargné. Une mise en scène maîtrisée, un budget respecté, Eastwood impose définitivement sa patte et devient synonyme d’efficacité. Même si L’HOMME DES HAUTES PLAINES le brouillera in fine pour un projet commun avec John Wayne, il lui permettra de payer ses dettes envers les mentors Sergio Leone et Don Siegel en faisant apparaître leur nom sur des pierres tombales. Fort logiquement, la ville sera quant à elle repeinte en rouge sang et renommée HELL. Pas de doute, pour Clint, l’enfer c’est les autres. |
1973 – BREEZYTitre original : Breezy
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Catalogué fasciste et réactionnaire depuis le déboulé de l’Inspecteur Harry (Donald Siegel), Clint Eastwood acteur s’efface pour la première fois de l’écran (hormis une apparition) au profit de William Holden qui avait cassé la baraque quelques années plus tôt avec le western crépusculaire et hyper violent La Horde Sauvage (Sam Peckinpah). Ici, ni arme, ni violence. Juste la romance entre un quinquagénaire fraichement divorcé et une jeune hippie idéaliste interprétée subtilement par Kay Lenz, aperçue dans American Graffiti (George Lucas). Le scénario est signé Jo Heims (Un Frisson dans la Nuit) et sur une musique de Michel Legrand, le film avance couvert, avec une extrême délicatesse, une pudeur qui préfigurait toute une série d’œuvres à venir (Kramer contre Kramer, Des Gens comme les Autres, Tendres Passions). Malheureusement, BREEZY verra sa sortie tronquée par Universal et sera un échec public sans appel qui poussera le réalisateur à quitter le studio (avec lequel il sent à l’étroit depuis longtemps, n’ayant contractuellement pas le dernier mot sur les décisions créatives) pour une association avec la Warner. Malgré tout, BREEZY restera longtemps un des films préférés de Clint. Ancré dans son époque, il soufflait un petit vent d’espoir et ouvrait des perspectives là où Sur la Route de Madison et Million Dollar Baby, des années plus tard, annonceront à leur manière un crépuscule inévitable. |
« Je me fous pas mal que vous soyez con, vous ne pouvez rien y faire. Mais ne me prenez pas pour un idiot. » (La Sanction)
1975 – LA SANCTIONTitre original : The Eiger Sanction
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Après l’échec de Breezy, la Warner voulait du Clint Eastwood rentable. Bankable. Ce dernier, malin, va donc commencer à gérer sa carrière en stratège, alternant les projets ambitieux et risqués avec les productions plus vendeuses. Cette histoire insolite et abracadabrantesque d’un professeur d’histoire de l’art, collectionneur de tableaux et tueur à gage pour une section secrète du gouvernement avait donc tout pour faire de l’œil au box office. Initialement prévu pour Paul Newman, il faut reconnaître que LA SANCTION ne surprend jamais, recèle quelques répliques cultes et un morceau de bravoure lors de l’ascension du mont Eiger. Du brio, du surréalisme assumé, de la misogynie galopante, de l’humour énième degré… on ne sait plus trop si nous avons à faire à une parodie assumée ou à un film de genre atypique. Sans jamais trancher, entre deux eaux, LA SANCTION ne convainc jamais vraiment. |
1976 – JOSEY WALES HORS LA LOITitre original : The Outlaw Josey Wales
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Très productif, JOSEY WALES HORS LA LOI est (déjà) le cinquième film de Clint Eatwood en cinq ans. Écrit par Michael Cimino (scénariste de Magnum Force, second volet de l’inspecteur Harry) et Philip Kaufman (futur réalisateur de l’Étoffe des Héros), ce dernier devait réaliser le film mais il sera débarqué par Eastwood après de nombreux désaccords : « C’est moi qui l’avait engagé pour réécrire le script et le réaliser. Son travail de scénariste était excellent, mais au tournage il s’avéra que nos points de vue différaient totalement. J’avais investi mon argent personnel pour acheter les droits du livre, passé beaucoup de temps à développer ce projet, conçu une vision précise de ce que devait être le film. L’approche de Phil était sans doute fondée, peut-être meilleure, mais ce n’était pas la mienne, et je m’en serais voulu si le résultat n’avait pas correspondu à ce que j’espérais. » À la façon d’un Little Big Man (Arthur Penn), JOSEY WALES HORS LA LOI est un western moderne, néo-classique, qui joue avec les codes du genre : indiens, prostituées, tueurs à gage, soldats, bandits, jeune femme en détresse, héros nonchalant, ivrognes… le cahier des charges est rempli du bestiaire habituel. Clint Eastwood assemble les pièces du puzzle à son rythme et avec un art consommé pour le mélange des genres (violence, humour, sentimentalisme). Bien que la fin laisse le spectateur se faire une idée des choses, comme souvent chez le cinéaste, JOSEY WALES HORS LA LOI s’enracine dans une forme d’optimisme affranchi des contraintes, lucide jusqu’au monologue final, avec les indiens, et cette vision fraternelle naïve mais pétrie d’une honnêteté qu’il serait malvenue de regarder en biais. Surtout, Clint Eastwood réalisait ici son premier chef d’œuvre, comme une respiration, une pulsion de vie. |
1978 – L’ÉPREUVE DE FORCETitre original : The Gauntlet
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Après le succès de L’inspecteur ne Renonce Jamais (réalisé par son ancien assistant James Fargo), Clint Eastwood est associé plus que jamais à l’image de Harry Callahan, flic retors et ingérable, considéré comme facho depuis les sorties de Pauline Kael. Le réalisateur décide donc de tordre son image, jusqu’au point de rupture, histoire de jouer avec son public et surtout sa propre légende en construction. Dans L’ÉPREUVE DE FORCE, il enfile les habits de Ben Shockley, un véritable anti-Inspecteur Harry. L’acteur s’amuse à jouer sur ses accents les plus masochistes : flic aux ordres, pas très malin, un peu alcoolo, au bout du rouleau, prompt à subir sans rechigner et à se jeter dans la gueule du loup. Bref, le parfait loser. Quand il s’agit d’escorter « Gus » Mally (Sondra Locke), une prostituée de Las Vegas, l’inversion des rôles est étonnante. La jeune femme lui tient tête, réfléchit à sa place, découvre ce qui se trame derrière toute cette histoire et garde toujours un coup d’avance sur le héros. Le film se veut alors ambigu, à contre courant. Féministe ? Peut-être bien. À l’origine, c’est Sam Peckinpah qui devait réaliser le film, avec Kris Kristofferson (qui jouera finalement dans Le Convoi du même réalisateur), Marlon Brando puis Steve McQueen (déjà présent sur Guet-Apens) et Barbra Streisand. Faute d’entente entre les deux stars, c’est donc Clint Eastwood qui hérita du projet et en fit un film sec, énergique, spectaculaire. En témoigne une scène finale délirante où un bus est mitraillé de 7000 cartouches… ce côté quasi burlesque démontrait déjà le recul d’un réalisateur qui parvient malgré tout à embarquer le spectateur avec son sens de la narration ultra-efficace. Dernier clin d’œil, l’affiche du film réalisée par le peintre Frank Frazetta, spécialisé dans les illustrations SF et Heroic Fantasy (l’affiche de Conan le Barbare en témoignera plus tard), montrant un Eastwood tout en muscle avec sa compagne blottie contre lui dans une pose totalement soumise à la protection de son chevalier servant. Autant dire que le spectateur sera surpris de découvrir un film moins binaire et nettement plus malin que ces a priori jetés en pâture avec un joli sens de l’ironie. |
Cyrille DELANLSSAYS
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