Céline Sciamma revient après Tomboy , pour un nouveau film, qui cette fois place sa caméra au cœur d’une banlieue Parisienne, et observe Marienne (Karidja Touré, fabuleuse), et sa bande de filles.
Quel plaisir de retrouver Céline Sciamma ! Naissance des filles puis surtout Tomboy m’avaient beaucoup marqué : ce dernier, décrivait la recherche d’identité d’une petite fille, pré adolescente, qui se travestissait en garçon pour créer un lien social, et surtout pour se rapprocher d’une certaine fille, source de troubles et d’émois.
TOMBOY, au delà de ce postulat déjà intéressant puisque prônant en filigrane une forme de libération sexuelle – d’ailleurs repris en étendard par la communauté gay, Céline Sciamma, la réalisatrice, s’affirmait en tant que vraie cinéaste.
Elle revenait aux fondamentaux en construisant pas à pas et avec précision, une connexion entre les émotions de son héroïne, et le spectateur, créait un vrai suspens qui donnait encore plus de force à chaque changement d’humeur, chaque mouvement, chaque regard, jusqu’a l’inévitable bouleversement / révélation finale, et qui nous laissait sur le carreau.
Un cinéma qui rappelait celui du Spielberg pré 11/09, et plus récemment celui de Kechiche dans LA VIE D’ADELE (Palme D’or 2013, remise par… S. Spielberg) dans sa gestion de la narration, la création d’empathie envers les personnages, dont le résultat est une immersion absolue et un suspens insoutenable, donc marquant.
BANDE DE FILLES, reprend ce schéma, mais va plus loin.
Déjà, formellement, il y a une évolution. Beaucoup plus de ses plans se construisent en adéquation avec à la fois les mouvements des actrices, la musique, les décors singuliers de cette banlieue. Une précision dans le cadrage qui indirectement magnifie l’ensemble. Sa mise en scène n’est plus seulement observatrice, elle participe, accompagne (ce que d’ailleurs, n’avait pas réussi Dahan avec son Grace De Monaco, vu juste avant).
Cela se ressent dès l’intro magnifique du film. Céline Sciamma nous calme immédiatement lors de ce travelling horizontal qui montre une à une ces filles en tenue de football américain, ni belles ni moches puisqu’en partie cachées, mais magnifiques, femmes bien qu’ados, heureuses pour l’instant car unies et libres. Le tout sur la musique toute faite de nappes électro, de Light Asylum.
On est en présence d’une histoire de Femmes, elles seront le sujet, elle boufferont l’écran, elle seront fortes, elles gagneront, sinon dans leur vie cinématographique, au moins dans nos consciences et dans nos coeurs.
Cette introduction hors du temps se termine lorsque les filles, groupe uni et heureux, rentrent chez elles après extinction des feux de leur terrain (qui correspond au fondu noir du générique). Ce moment est également important car l’arrivée dans ce lieu marque également la présence du contexte. Ces filles se savent femmes, ont une présence extraordinaire, mais doivent respecter leur environnement. A l’instant précis de leur entrée en cité, le silence DOIT se faire, le groupe se délite, l’histoire peut commencer.
Sciamma donc, réussit ensuite à nous faire rentrer dans l’intime de Marienne,
et par là dans l’intime d’un collectif inédit au cinéma, un groupe de filles, noires, banlieusardes,
et par là dans l’intime de la vie en tant que femme dans un contexte patriarcal.
Cela se fait à la fois progressivement et simultanément puisque la narration du film amènera les personnages à se confronter, tandis que parallèlement, le contexte est décrit avec suffisamment de précision (détails du quotidien, lieux emblématiques mais aussi, singuliers de la cité, rituels typiques de l’adolescence rebelle…) pour parler de lui même. Et ce, sans forcer aucun trait.
La mise en scène de Sciamma réussit à être à la fois observatrice extérieure ET accolée à l’intime de ses personnages. le tout avec lisibilité et efficacité, naturel et de façon progressive.
Cela tient à la précision et la rigueur avec laquelle la réalisatrice traite chaque aspect technique du film ainsi que ses actrices.
Il ne s’agit pas à ce niveau de qualité d’interprétation. Si elles sont géniales, c’est parce qu’elle abolissent la notion de jeu. C’est du cinéma, mais Sciamma dirige ses filles de façon à ce que l’on ne ressente plus cette limite. Elle cherche plus à capter une énergie qu’une interprétation. Elle réussit par là à toucher quelque chose d’intime et de parfait dans cette relation entre meufs, quelque chose qui paraît indubitablement vrai. Voila une autre vraie force de mise en scène. Réussir à créer un lien si fort entre le spectateur et les personnages d’un film qu’après, tu peux emmener chacun ou tu veux.
Au début de l’histoire, Marienne est seule, se cherche, découvre, trouve son identité au sein d’un groupe, s’affirme. Marienne est LE personnage central du film, puisqu’elle est d’absolument tous les plans du film, mais aussi celle qui autorise les transferts d’émotion entre le film et le spectateur : cette bande de filles ne serait q’un lointain écho du réel sans sa présence à la fois observatrice et actrice.
Ce qui est passionnant à observer, est la façon dont son personnage, pourtant effacé au début du film, apparaît comme initiatrice d’évènements.
Puis lorsque l’on y repense en milieu de film, on réalise que cette force de caractère a toujours été présente mais avait besoin d’être catalysée. Ce parcours est lié à la bande de filles du titre, et malgré l’importance moindre, scénaristiquement parlant, de ces personnages, leur rôle est tout aussi touchant, nécessaire.
Cette connexion se crée petit à petit au travers d’épreuves, mais surtout de longs moment de découverte, pour Marienne, du monde et des autres. A l’écran, cela se traduit par des filles qui zonent, qui rouillent, discutent de rien, participent à « la vie de quartier », d’un point de vue d’adolescentes.
La scène climax, sera ce moment où les filles, comme dans un rêve bleu, une bulle intouchable, interprètent « Diamonds » de Rihanna. Magnifique scène, visuellement, certes mais aussi, inoubliable car constituant un instant qui restera comme unique, inscrit dans le temps, un sacre instantané de ces actrices inoubliable.
Un film maîtrisé, qui réussit progressivement à créer empathie, suspens, description d’un contexte social inédit. Un retour en force du Girl Power ainsi que l’affirmation d’une réalisatrice, Céline Sciamma.
C’est lors de cette scène que la connexion avec le spectateur arrive à son paroxysme, et que commence une seconde phase dans le film, celle de l’histoire. Progressivement encore, un récit plus lourd et sérieux se construit, celui de Marienne quant à sa place dans la vie, sa recherche d’identité.
Un parcours imprévisible débute, puisque Marienne choisit avec liberté son chemin au milieu d’embranchements pourtant multiples, un parcours logique pour elle, mais imprévisible pour nous.
L’occasion de décrire une autre facette d’un univers décidément riche et complexe. Une fois de plus l’occasion pour Céline Sciamma de nous sécher avec son acuité puisque ce nouvel univers inédit (pour garder la découverte de l’histoire intacte, je ne peux rien en révéler) que Marienne choisit finalement aurait pu être sujet à de multiples clichés et illustrations faciles, mais Céline Sciamma choisit l’anti-spectaculaire en se recentrant sur les ressentis de Marienne plutôt que sur tout jugement ou appréciation.
L’occasion également de nous assommer deux ou trois fois supplémentaires avec des scènes incroyables de délicatesse et de maîtrise formelle (Marienne et Ismaël, la première « course », La danse entre Marienne et Bébé…)
Et si malheureusement cela veut dire que le charme qui nous à conquis doit s’effacer pour aborder un thème différent, cela prouve en tous cas le talent de conteuse de la réalisatrice.
Au final, BANDE DE FILLES est le premier chef-d’oeuvre de cette édition 2014 du festival de Cannes (présenté « seulement » en Quinzaine des Réalisateurs, allez savoir pourquoi).
C’est un film d’une rare maîtrise qui réussit, en passant par le soin apporté à créer une vraie connexion avec ses personnages, à nous raconter une histoire touchante sur un parcours individuel de femme, écho à la place féminine dans notre société.
Georgeslechameau
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