Boîte noire

BOÎTE NOIRE, tends l’oreille et écoute le complot chanter – Critique

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Ground Control to Pierre Niney ? Avec BOÎTE NOIRE, Yann Gozlan fait enquête de la vérité dans les tréfonds de l’industrie aéronautique : complot qui menace dans l’ombre, investigation trouble, suspense permanent, son film aiguise les sens – avec une habilité rare – pour mieux jouer avec nos nerfs. C’est fort, c’est prenant, c’est palpitant : un thriller de haute volée ? Assurément.

Le complot se cache-t-il dans les détails ? Sans aucun doute. Oliver Stone, d’ailleurs, ne s’opposerait pas à une telle affirmation. Dans son JFK Revisited – qu’il présentait cette année à Cannes et à Deauville – le cinéaste démystifiait une nouvelle fois les dessous retors et complexes de l’assassinat du président Kennedy : si le complot nous paraît plus que probable, c’est aussi parce que le documentaire s’attache à remettre dans l’ordre les pièces du puzzle pour mieux nous orienter vers les possibilités d’une machination. Tout reposait alors sur ce phénoménal réseau d’informations, sur cette plongée dans des milliers de documents déclassifiés et sur ce pouvoir en place qui étouffa la vérité pour y appliquer un voile de mensonges. La vérité n’est jamais facile d’accès : elle est bien souvent une chimère que l’on traque mais que l’on n’attrape pas. Alors, une enquête, à quoi bon ? Eh bien à s’interroger sur les ficelles du monde, à ne jamais laisser les zones d’ombres inexplorées, à faire qu’un détail ne reste jamais dans les mains du diable.

Avec BOÎTE NOIRE, Yann Gozlan semble ainsi emprunter un chemin similaire : celui sinueux et labyrinthique d’une traque de vérité dans un monde de dissimulations. Un crash d’avion ? Accident, attentat ou complot ? Que s’est-il passé ? La vérité est-elle dans la « boîte noire » ? Drôle de formulation, n’est-ce pas ? Comme si la boîte n’appelait qu’à l’obscurité, qu’à l’imperceptible et qu’à l’engloutissement. L’analyser, c’est aussi se perdre dans ses données. L’analyser, c’est revenir aux mots de Jim Garrison (Kevin Costner) dans JFK : la vérité ? « Cela ne tient qu’à vous ». Oui, et dans BOÎTE NOIRE, cela ne tient qu’à Mathieu Vasseur (Pierre Niney) et à ses intuitions. Il faut apprendre à écouter, à tendre l’oreille pour entendre ce que l’on ne peut entendre. Tel un fichier sonore détérioré où la vérité se cacherait dans les bruits parasites. Le film de Yann Gozlan se nourrit ainsi continuellement de cette fièvre de vérité : une fièvre de fiction – pure et dure – qui nous invite constamment à regarder au-delà des simples informations / affirmations. Et si le vol est menacé par les turbulences, la tension, elle, ne redescend jamais.

Boîte noire
Crédits : StudioCanal / WY Productions 24 25 Films

Dès l’ouverture, BOÎTE NOIRE s’amuse à jouer sur deux tableaux : l’immersion et la divulgation. Dans un formidable plan-séquence trafiqué, Yann Gozlan invite le spectateur à prendre place dans l’avion sans jamais lui attribuer un siège attitré : refusant la fixité du point de vue, la caméra opère une imposante prise de recul ; passant du cockpit à l’allée centrale, de la classe business à la classe économique, de la zone arrière à la soute de l’appareil avant de s’arrêter sur l’enregistreur de vol qui donnera le titre au film. Au travers de cet harmonieux mouvement arrière, c’est toute la mécanique du film qui est mise à nue : c’est tout voir de l’appareil sans voir tout de son histoire, c’est suivre la logique du mouvement quand celui-ci nous éloigne des faits. Un homme qui se lève devient alors nécessairement suspect. En entretenant cette illusion d’omniscience (une vue globale mais limitée à un point de vue en mouvement), le prologue amène aussi des doutes, des questionnements, des hypothèses, des frustrations. Il nous met d’avance dans le corps de cet analyste qui se doit de trouver des réponses. Les éléments sont là ; mais rien ne nous donne la vérité sur le crash. Il faut alors rassembler les morceaux, s’attacher à chaque détail et recoller les bouts. Oui, le fuselage de BOÎTE NOIRE s’avère solide. Tout est dit dans le prologue, et dans cet effet de suspension en temps réel qui présage une turbulence à venir.

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Crédits : StudioCanal / WY Productions 24 25 Films

N’est-ce pas Brian De Palma qui affirmait que « plus vous avez d’informations, plus la situation devient paradoxalement ambiguë » ? BOÎTE NOIRE plonge ainsi son héros dans une situation similaire où l’examen approfondi d’une bande sonore finit par le mener à un trouble de la perception. Sons « fantômes » ou véritables informations ? Telle est la question. Il est vrai que la prolifération de l’information, typique du monde postmoderne et contemporain, conduit inévitablement à rendre plus trouble l’énigme de toute situation. Le cinéma, paradoxalement, utilise cette prolifération pour résoudre des enquêtes ; comme autant de pièces d’un puzzle. Mais BOÎTE NOIRE s’intéresse moins à traiter ces informations qu’à requestionner l’évidence, à aller à contre-courant du discours officiel et à chercher le complot là où il ne semble pas être. De Palma et Coppola nous l’ont appris : si l’image peut trahir, le son aussi. Ici, comme dans la plupart des films du genre, la reconstitution de la « vérité » passe inévitablement par un enregistrement : la technologie, au cœur du film, et tous les outils mis à disposition pour disséquer le son contribuent ainsi non seulement au réalisme palpable du film mais sont aussi des instruments au service de la tension. Il s’agit toujours de rendre actif le spectateur dans cette expérience sensorielle faite de coupes, de brouillages, de manques, d’incapacités à affirmer, de connaissances partielles et de remises en question auditives. Tout repose sur l’imperfection dans le détail, l’erreur à traquer, le message derrière le message à trouver : et oui, c’est quand plus rien ne semble avoir de sens que le détail révèle une face cachée du puzzle.

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Crédits : StudioCanal / WY Productions 24 25 Films

Quand Yann Gozlan nous dit-il la vérité ? Jamais ? Toujours ? Elle sommeille constamment dans les plans, se donne à voir parfois et disparaît bien souvent au profit d’une illusion ; celle du fichier sonore. Effectivement, le traitement du son dans BOÎTE NOIRE accroche constamment notre attention. On retrouve toute cette fascination pour l’enregistreur de vol – et pour cet environnement sonore extrêmement bruyant, dégradé, parasité et incomplet – qu’il faut décortiquer rigoureusement : c’est alors chercher l’information au-delà du visible, au-delà de l’audible, quitte à avoir l’impression de créer des sons à force de les filtrer. Fascination aussi pour toute cette spatialisation sonore et cette manière avec laquelle Gozlan joue avec l’ouïe de son spectateur : donner le son brut, spatialisé, c’est immerger le spectateur dans cette « boîte noire » pour qu’il puisse s’imaginer les images ; c’est pour ainsi dire le film que l’on ne voit pas dans le film. Face à cette exigence d’écoute, Yann Gozlan poursuit au final les expérimentations sonores qu’il avait entrepris dans Burn Out où tout reposait déjà sur le souci du détail, sur ce sentiment d’étouffement et de proximité avec le motard (François Civil), sur cette idée d’une « bulle » pour mieux épouser un point de vue sonore. En résulte alors de l’épuisement, des palpitations, une intensité maximale : BOÎTE NOIRE en a aussi sous le capot et sait vrombir quand il le faut. La mise en scène visuelle effleure toute cette construction sonore en l’appuyant par de subtils jeux de composition : gros plans d’écoute, organicité des fichiers sonores et des logiciels de traitement du son, cadres serrés sur l’auditeur, etc. Les écrans d’analyse constituent aussi bien souvent les seuls éléments lumineux dans des environnements sombres et froid ; comme s’ils étaient les seuls à pouvoir « faire la lumière » sur l’affaire.

Tout est mis en œuvre pour faire ressortir de BOÎTE NOIRE une énergie sensorielle qui pousse l’intrigue vers le haut.

Ce qui est donc au cœur de BOÎTE NOIRE, c’est le son, sa portée, son frisson. Difficile de ne pas penser au Chant du Loup d’Antonin Baudry qui développait déjà des thématiques similaires dans un environnement oppressant : même personnage à l’ouïe surdéveloppée, même remise en question de l’analyse acoustique, même traque de l’invisible. Si BOÎTE NOIRE troque le sous-marin pour un cadre plus institutionnel, il n’en demeure pas moins impressionnant de savoir-faire. On pense aussi parfois aux dernières saisons du Bureau des Légendes, pour ces jeux de faux-semblants, pour cette mise en avant de départements techniques du renseignement, pour ce portrait d’un milieu « secret » et ordinairement inaccessible ; et pour cette vulnérabilité humaine qui pousse à cacher la vérité ou à la traquer.

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Crédits : StudioCanal / WY Productions 24 25 Films

Puisque BOÎTE NOIRE se révèle aussi passionnant pour cette plongée dans un monde cloisonné – celui de l’industrie aéronautique et du BEA – où la vérité ne sort jamais des bureaux et où chaque information est traitée avec une froideur à faire frémir un robot. C’est dans cet univers de cadres et de monopole aérien que naissent les questions et la tension : le complot ? Un délire ? Ou est-ce simplement la loi du marché, de la compétition et du commerce qui pousse certains cadres à truquer les informations officielles au détriment de la sécurité ? Évidemment, toutes les questions que posent BOÎTE NOIRE sont d’autant plus pertinentes qu’elles s’inscrivent dans une époque où l’information circule, se créé, se dissimule et se manipule. Sans doute moins asphyxiant que l’univers pollué du Dark Waters de Todd Haynes, celui de BOÎTE NOIRE s’avère aussi bourré de bureaucrates et de bruits de couloir, de dissimulations et d’intérêts économiques, de PDG douteux et de conspirations d’entreprises. Film paranoïaque oblige, il sera aussi question de refléter une société qui doute d’elle-même, de ses dirigeants et des informations « officielles ». Néanmoins, BOÎTE NOIRE s’évertue moins à interroger ces mécanismes de société qu’à créer et produire un pur film de genre sous tension.

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Crédits : StudioCanal / WY Productions 24 25 Films

Le scénario s’avère ainsi programmatique – investigation, obsession, trouble, paranoïa, révélation – mais suffisamment maîtrisé et précis pour ne jamais dévier de son objectif principal : jouer avec nos nerfs, créer un suspense permanent et nous immerger dans cette course à la vérité. La tension est là ; que demander de plus ? Peut-être davantage de prises de risque face à un déroulé souvent académique – mais convaincant – où les enjeux dramatiques peinent parfois à s’incarner totalement. Et en se débarrassant de toute zone d’ombre, la résolution finit par souffrir aussi de ce manque de « clair-obscur ». Au moins, on ne sort pas de table en ayant faim : l’enquête rassasie suffisamment pour passer outre les quelques imperfections. Ce qu’il manque à BOÎTE NOIRE, c’est sans doute cette profondeur postmoderne, cette subtilité, cette ambiguïté, ce questionnement théorique qui élèverait le film vers autre chose qu’un simple et efficace film de genre. Mais difficile de bouder notre plaisir face à un spectacle si prenant, surtout dans le paysage cinématographique français contemporain.

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Crédits : StudioCanal / WY Productions 24 25 Films

BOÎTE NOIRE, c’est aussi regarder les interrogations naitre dans le regard – ou plutôt l’ouïe surdéveloppée – d’un homme ordinaire. Pierre Niney, fabuleux, parvient à communiquer avec une rare aisance ces états d’âme changeants, cette angoisse mêlée de fascination qui suinte en permanence sur le visage de son double de fiction. Si son personnage d’Un Homme Idéal cherchait par tous les moyens à dissimuler le lourd secret qui pesait sur ses épaules, le personnage d’analyste introverti qu’il incarne dans BOÎTE NOIRE demeure obsédé par la démarche inverse : la quête de vérité et sa révélation. Deux démarches aux antipodes, et pourtant, deux œuvres sous tension. La menace reste ici omniprésente ; et Niney, avec sa figure frêle, ordinaire et déterminée, nous fait ressentir cette pression à tout moment ; cette peur de s’éloigner du réel et de sombrer dans un monde de méfiance puis un gouffre de folie. Un personnage certes moins finement écrit que le Harry Caul (Gene Hackman) mutique et tourmenté de Conversation Secrète ; mais un personnage suffisamment humain pour créer de l’attachement et de l’empathie. Ou tout du moins, une identification, à défaut de savoir jouer du saxophone. On pense aussi parfois au parcours dramatique du personnage de John Travolta dans Blow Out : une même quête de la preuve, cette même obsession pour la vérité, ce besoin de clarté dans tant de noirceur. Et Niney peut compter sur le jeu parfait de ses camarades André Dussollier, Olivier Rabourdin, Lou de Laâge (qui assure le tiraillement intime au cœur de l’intrigue) et Sébastien Pouderoux pour nous immerger dans l’atmosphère tendue de ce thriller qui va à l’essentiel.

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Crédits : StudioCanal / WY Productions 24 25 Films

C’est aussi au détour d’une scène nocturne – celle du lac – que Gozlan semble renouer avec le chef d’œuvre de De Palma : s’il ne s’agit plus d’enregistrer les sons ambiants, la scène invite tout de même à une « prise de son », à sa traque, à sa capture pour que la vérité puisse refaire surface. BOITE NOIRE digère donc plutôt bien ses références, jamais envahissantes, toujours pertinentes. Loin d’être aussi pessimiste et cynique que Conversation Secrète ou À cause d’un assassinat, le film de Yann Gozlan réussit néanmoins à imposer son ambiance, son suspense, ses idées de mise en scène. Car BOÎTE NOIRE est une œuvre qui s’inscrit toujours dans les angles morts. Et même si Gozlan n’a pas la virtuosité d’un De Palma, sa mise en scène, dynamique et sensitive, amène l’essentiel ; à savoir de la tension, de l’émotion et du spectacle. Montage rigoureux, cadrages serrés, plans secs : tout est mis en œuvre pour faire ressortir de BOITE NOIRE une énergie sensorielle qui pousse l’intrigue vers le haut. Le découpage s’avère ainsi toujours précis, nerveux et jubilatoire.

Ce n’est certes pas du calibre d’un Pakula, mais Gozlan ne démérite pas pour autant : l’effort esthétique de Klute ou l’ambiance anxiogène d’A cause d’un assassinat laisse ici place à un drame plus classique où il est aussi question de traversées de zones obscures et d’entités supérieures malveillantes. Balisé mais maîtrisé, BOÎTE NOIRE ménage sans relâche ses effets et parvient ainsi à imposer du souffle, de l’emphase et de l’huile de coude à sa quête de vérité. Collé à son siège, le spectateur n’a d’autre choix que de se laisser souffler par le réacteur de ce thriller maîtrisé de bout en bout. Un air de Jackass, non ? Peut-être, car se frotter à BOÎTE NOIRE, c’est aussi se prendre le spectacle dans la gueule ; un spectacle où « le vrai devient un moment du faux » (Guy Debord dans La Société du spectacle) et où le faux devient au final un moment de vérité. Fin de transmission ? Oui, avant qu’un autre crash n’ait lieu.

Fabian JESTIN

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Titre original : Boîte Noire
Réalisation : Yann Gozlan
Scénario : Nicolas Bouvet, Yann Gozlan, Jérémie Guez et Simon Moutairou
Acteurs principaux : Pierre Niney, Lou de Laâge, André Dussollier, Sébastien Pouderoux, Olivier Rabourdin, Guillaume Marquet, Mehdi Djaadi, Anne Azoulay, Aurélien Recoing, André Marcon
Date de sortie : 8 septembre 2021
Durée : 2h09
4
Palpitant

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Note finale

  1. Bonne critique ! Un film bluffant tant on reste accroché à la première hypothèse d’écoute de Mathieu (Pierre Niney) et puis, et puis, on s’aperçoit d’une supercherie aussi grosse qu’un building . Un film bluffant qui m’a laissé scotché à mon siège jusqu’à la fin . Bon, quelques invraisemblances, mais tout est bien joué et la réalisation est impeccable . Chapeau bas à Yann Gozlan . Pierre Niney est incroyable de justesse , on le suit et l’on tremble pour lui , on admire son zèle et son courage. De son coté, Lou de Laâge est remarquable dans son rôle d’épouse trahie dont les ambitions s’émoussent au fil du récit.