Photo du film CHALLENGERS
Crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc.

CHALLENGERS, les Apollons de la balle jaune s’affrontent sur le court des sentiments – Critique

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Le corps, cette enveloppe charnelle que nous devons chérir tout le long de notre vie. De celui-ci, Luca Guadagnino en a fait une puissante source créatrice. Il l’a fait souffrir dans son remake de Suspiria, l’a illuminé dans A bigger splash et dans Call me by your name et l’a rendu beau à croquer dans Bones and all. Il ne manquait plus que pour le réalisateur italien de porter le corps sur le terrain du sport, ce qui est chose faîte avec CHALLENGERS et ce avec les sujets les plus divins.

Match à trois

CHALLENGERS place sa discipline au centre des intrigues sportives et personnelles. La métaphore filée du tennis est excessivement appuyée, toutefois le métrage a le mérite d’y tenir jusqu’au bout. Dans ce court cinématographique, Patrick (Josh O’Connor), Art (Mike Faist) et Tashi (Zendaya) se renvoient la balle dans des joutes verbales, bien que la femme soit aussi un filet entre les deux hommes. Eux qui avaient une relation fusionnelle visible par leurs mimiques identiques, les raccords mouvements quand ils jouent ensemble ou tout simplement lorsqu’ils faisaient du double, se voient séparés par la présence de l’ex tenniswoman. Bien qu’elle ne joue plus, elle reste un adversaire à battre pour les deux tennismen. Pour gagner, chacun use de son propre style de jeu. Patrick est agressif, se plaçant toujours contre Tashi, à l’inverse d’Art qui est davantage docile. Ces techniques fonctionnent mais peinent à trouver un juste milieu qui donnerait la victoire à l’un plutôt qu’à l’autre. En effet, la femme est tiraillée entre les deux styles, les appréciant sans préférence. Ceci est parfaitement représenté lors de la finale du challenger par un split-screen où elle se trouve au milieu des deux hommes. La balle s’échange d’un côté du court à un autre, mais les cœurs ne réussissent pas à passer le filet.

Jouer contre soi-même

Au sein de ce match à trois qui ne finit jamais, en subsiste un encore plus personnel. Tashi affronte sa propre frustration de ne plus pouvoir jouer au tennis. Coacher est un moyen pour elle de rester dans le coup. Art lui permet de remporter des titres qu’elle ne pourra jamais gagner et de regoûter à la gloire de l’US Open Junior de 2006. Elle souhaite être reconnue pour son travail, en témoigne la première fois que nous voyions la nouvelle affiche promotionnelle avec son mari où il n’y a qu’elle de visible. Tashi n’arrive cependant pas à comprendre que les rôles se sont inversés. Ce n’est plus elle que nous admirons sur le court, mais dorénavant c’est elle qui observe en tribune. Elle est une idole déchue qui, fut un temps, était le centre de l’attention. Lorsqu’elle jouait, Patrick et Art n’avaient d’yeux que pour elle, la caméra décortiquant tous ses mouvements. Sur la plage, elle avait même une aura de nymphe sortie des eaux pour les deux adolescents. Au-delà même d’être un objet de convoitise, elle était surtout un modèle pour eux. Ils étaient fascinés par elle juste en regardant une affiche publicitaire où elle s’y trouvait. La convoitise s’échappait de leurs yeux. Prendre son corps est alors un moyen détourné de s’accaparer un peu de sa réussite. Lorsque Tashi se blesse, cela advient après que Patrick lui ait pris son t-shirt, un acte identique à celui ayant coupé les cheveux à Samson. Toutefois, ce n’est qu’une partie d’elle qu’il a pris, contrairement à Art. Celui-ci, grâce à la femme, est devenu un champion. Malgré tout, même si sportivement elle n’est plus active, elle reste une joueuse de premier rang dans ce triangle amoureux. Sans elle, ce trio ne pourrait se renvoyer la balle jusqu’à la fin car elle est à la fois un élément perturbateur et un moteur pour les autres joueurs.

Le duo du trio

Dans les tumultes amoureux et combats intérieurs, il serait dommage de passer à côté du seul match véritablement établi. CHALLENGERS s’articule sur l’affrontement entre Patrick et Art, eux qui jouent pour gagner, que ce soit dans la vie ou dans le court. C’est une rencontre compétitive mais qui cache derrière une forte sensualité qui n’est pas due exclusivement à Tashi. Le métrage nous glisse par-ci par-là des indices peu subtils sur une possible relation homo-érotique entre les deux hommes. C’est d’ailleurs Patrick qui fait souvent le premier pas, par une main sur une cuisse ou un rapprochement de chaise. La tension sexuelle entre les deux s’embrase à la cafétéria de l’université où nous voyions clairement le désir de l’un pour l’autre. Dans cette séquence, Art tente de casser le couple de Patrick et Tashi, toutefois son ami le remarque ce qui est représenté par un cadre plus serré sur les deux. Plus proches, Patrick montre qu’il aime cette fourberie tout en mangeant goulûment un churro, ce qui ne déplaît pas non plus à Art. Cet échange très apparent sur leurs envies se décline autrement que par les mots ou par leurs visages : il se fait surtout par leurs corps. Ces derniers, qu’ils se trouvent sur le court ou dans un sauna, suintent et se confrontent à coup de ralentis très lascifs. L’alchimie entre les deux est indéniable comme s’ils formaient officieusement un couple. Tashi le dit d’ailleurs : elle a cassé un ménage.

John, Zen et Mike

CHALLENGERS est ce que nous pouvons communément appeler un film de poseurs. Zendaya, Josh O’Connor et Mike Faist sont des Apollons de la balle jaune, se mouvant au ralenti, la sueur dégoulinant sensuellement de leurs corps tout en lançant des regards de plus en plus perçants. Ce sont des dieux s’affrontant dans une guerre où chacun est un Achille et une Hélène. Le problème de cette plastique olympienne est qu’elle est appuyée à l’excès au point de faire presque publicité de parfum lors de certaines séquences. Néanmoins, ces acteurs sublimes ne sont pas que des beaux corps bien mis en valeur. Tout trois proposent des performances convaincantes qui permettent d’aller au-delà d’une guerre d’ego pour savoir qui a la raquette la plus grosse. Dans ces modèles se terrent des sentiments bien humains marqués par l’hybris. Cependant, s’il fallait donner un vainqueur dans ce match de performance, ce serait Josh O’Connor. Sans rien enlever à la proposition de Zendaya qui est très impliquée dans le rôle, l’interprète de Patrick touche du doigt les Champs-Élysées. Ses sourires malicieux et sa prestance font qu’il est le personnage qu’il interprète. Il dégage quelque chose de fort ce qui offre un bon contrepoint à un Mike Faist davantage réservé, voire en deçà des autres lorsqu’il ne met pas d’intensité.

The First Challenger

La vie est un match de tennis, un credo auquel le film prend au pied de la lettre. À l’instar de The First Slam Dunk, CHALLENGERS utilise le contexte d’une finale pour alterner dans son montage entre le passé et le présent, l’un influant sur l’autre et ce de plus en plus rapidement. Cette alternance, ou plutôt ce passage d’un « court » à un autre, se propage même dans les discussions. Chaque échange de dialogue est un jeu où les personnages se lancent des phrases jusqu’à ce qu’il y en est un qui lâche. Dans la chambre d’hôtel, avant le fameux passage dans le lit, la caméra passe d’une tête à une autre avec la même échelle de plan, mettant au même niveau les protagonistes. Toutefois, Tashi prend vite l’ascendant, ce qui est représenté par des plans où elle les surplombe. Le métrage est rempli de ce genre de séquence d’échange bien qu’ils différent souvent. Celle entre Tashi et Patrick à l’université est particulière car elle est en plan séquence. Tout deux restent initialement ensemble dans le champ jusqu’à ce qu’il y ait une discorde. Les deux s’éloignent alors et se renvoient la balle par de vifs panoramiques jusqu’à ce que Patrick gagne le point en sortant de la pièce. Luca Guadagnino aime varier la réalisation de ces discussions même si parfois cela manque de cohérence. L’utilisation de la musique de Trent Reznor et Atticus Ross en est la preuve. Cette house percutante souligne les moments de tensions, que soit en plein dialogue ou non, arrivant même lorsque nous ne nous y attendons pas. Si ce n’est pas assourdissant, c’est aléatoire, toutefois subsiste un véritable but derrière ce choix. Le métrage est sur le tennis, toutefois nous n’en voyions pas l’essence.

Un moment de grâce

Tout le long de CHALLENGERS, il est question de « vrai » tennis. Celui-ci est décrit par Tashi comme l’osmose total entre les joueurs. Dans le film, nous ne le voyions qu’à de rares occasions ce qui fait que nous assistons globalement à un chaos teinté de sublime. La synergie est visible en particulier lorsque nous contemplons le jeu en plan large, c’est-à-dire avec une vision claire du court. Ce genre de plan n’est pas fréquent, les corps et les mouvements étant pour la plupart du temps morcelés. Néanmoins, la présence des deux joueurs dans le champ n’est pas forcément synonyme de « tennis » et inversement. Lors du jeu en double, nous voyions successivement les deux côtés, un moyen malin de montrer la symbiose entre Patrick et Art. Cela prouve qu’il n’est pas obligatoire d’être deux sur le court pour trouver une osmose. Lors du dernier match de Tashi, il n’y a qu’Art qui est présent. Celui-ci est face à elle et non sur le côté, ce qui crée un champ contrechamp entre les deux comme s’ils se renvoyaient la balle. Toutefois, la joueuse fait face à un mur qu’elle va se prendre à pleine vitesse et ce principalement parce que l’échange était déséquilibré. Le vrai tennis, celui qui nous est vendu depuis le début, n’est entièrement visible qu’à la toute fin. Jamais ce sport n’aura été filmé et monté de cette façon. Le jeu montré est d’une fluidité divine où tout s’imbrique parfaitement, dont la musique qui trouve ici un vrai sens. Par ses effets particuliers, allant de la vision de sous le court au point de vue de la balle, nous assistons à une danse magnifique entre les trois protagonistes, orchestrée d’une main de maître par le coach Luca Guadagnino.

Des corps et des esprits éprouvés

La balle jaune passe d’une personne à une autre dans ce triangle amoureux, mais il revient aussi de façon prépondérante dans le rectangle du court. Le parcours amoureux des personnages est aussi un parcours sportif dont CHALLENGERS se fait le témoin. Les trois protagonistes offrent chacun une direction possible pour un tennisman : la jeune prodige dont la carrière est brisée par une blessure, le champion en perte de vite, et le tennisman moyen, ne pouvant vivre de sa passion. Le film s’engage à ne pas faire de jugement de valeur, ces trois réalités étant mises au même niveau. Pratique une telle discipline est difficile et nous pouvons nous en apercevoir dans les trois cas de figure. Art a certes la vie plus facile car il a réussi, sauf que le métrage nous montre directement ses blessures et son train de vie fait de produits transformés et diététique. Ce n’est pas une vie aisée car elle est faite de sacrifices, que ce soit pour le champion, le joueur moyen ou le blessé.

Film de sport aux allures de publicité de cosmétique, CHALLENGERS n’en reste pas moins une œuvre complète sur la discipline qu’il porte à l’écran. Le tennis est tout autant sport que corps, le film ajoutant à ce mélange une bonne dose de sensualité. CHALLENGERS est un nectar suintant de beauté jusqu’à l’excès, mais dégoulinant de passion.

Flavien CARRÉ

Auteur·rice

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