[dropcap size=small]J[/dropcap]e n’étais pas inconnu du conte ancestral (10ème Siècle) de la princesse Kaguya.
Celui ci m’avait déjà été présenté, dans un jeu vidéo, le génial Okami. Ce jeu brassait un nombre incalculable de récits et légendes, dont celle de Kaguya, présents dans l’imaginaire collectif japonais, et œuvrait légèrement pour un rapprochement des cultures occidentales et japonaises, dans le fond comme dans la forme ; Le jeu adoptait également l’esthétique d’estampes japonaises, finalement très similaire au rendu du film d’Isao Takahata ; un régal visuel techniquement indémodable. Une œuvre d’art au même titre que les productions Ghibli.
Ce conte, raconte comment un vieux paysan trouve la princesse dans une jeune pousse de bambou. Celle ci n’est qu’un bébé, et le papi-bambou la recueille chez lui. Il décide avec sa femme de l’élever, d’abord en milieu rural, puis, comme la princesse qu’elle est, en noble bourgeoise.
Au risque de spoiler, il faut savoir que ce conte se termine dans un fantastique assez surprenant. C’était déjà très étrange dans le jeu vidéo, ça l’est tout autant dans le film : la princesse vient d’une autre planète et son retour vers celle-ci marque la fin de son histoire, visuellement signifiée par une fusée dans Okami, par un « nuage spatial habité par un peuple étrange » dans le film. Même si cela s’apparente à une faute de goût scénaristique, il s’agit tout de même du conte original. Puis de toutes façon, tout est affaire de symbolique : le spectateur doit se faire sa propre interprétation car aucune explication n’est fournie.
Ce conte symbolise le parcours entre vie et mort, les sentiments et les épreuves les plus communes.
Il tente de rendre compte de manière exhaustive de la dualité de l’existence en observant des composantes en apparence opposées mais complémentaires, dans ce conte. Nature et ville, hommes et femmes, tradition et modernité, Occident et orient.
Chacun des moments montrés à l’écran correspond à un apprentissage. D’abord celui de capacités physiques, puis, lorsque la princesse devient femme, celui de l’héritage culturel. Ces conventions et coutumes qui relèguent la femme, quelle que soit sa force de caractère, à un objet. Plus ou moins beau et intéressant, mais condamné à l’enfermement, condamnée à devenir la femme de quelqu’un.
La princesse se focalise alors sur une dualité bien triste : la liberté viendrait d’une connexion avec la nature, bien que synonyme de pauvreté, tandis que le confort, la culture et la richesse s’apparentent à une gynécée-prison.
Un constat simpliste mais d’autant plus puissant que Kaguya est une femme quasi parfaite sur tous les points, intelligence, beauté, charisme… Sa façon de prouver son amour des Hommes est de respecter ces traditions qu’elle abhorre. Cela fait d’elle une humaine bien plus qu’une extraterrestre.
Visuellement, l’animation utilisée se rapproche beaucoup de Mes Voisins les Yamadas, et de son trait épuré, caricatural, simpliste. Ce qui est troublant c’est que les décors, les personnages semblent dessinés non pas avec technique mais avec cœur. Cela donne un cachet d’emblée très touchant, très personnel. Paradoxal, lorsque l’on sait que Isao Takahata n’est pas dessinateur et se considère principalement comme metteur en scène.
La princesse Kaguya bénéficie d’un traitement visuel différent. Là ou tous les autres personnages semblent dessinés de façon caricaturale, la princesse adopte les traits nets, communs aux héroïnes d’animation japonaise. Cela accentue la perfection de ce personnage, la rend plus belle, plus forte. Un choix de character design judicieux et logique, qui permet une forme d’identification aux spectateur occidentaux que nous somment.
De plus, les moments ou la princesse perd le contrôle de ses émotions sont également transmis par l’animation, radicalement différente, beaucoup plus détaillée, mais aussi plus brouillonne, comme un éclat de rage retransmis sur « pellicule ». Un autre instant, plus onirique, met en avant un animation plus « 3D », également pertinente, puisqu’elle amène une fluidité visuelle synonyme de liberté. Un exemple d’osmose entre le réalisateur et son équipe technique.
Maintenant, si le film peut paraître long c’est parce que son rythme contient une forme de linéarité dans le placement trop logique, trop prévisible, des évènements.
De bébé à femme, les étapes naturelles de prise d’expérience, de changements physiques et de maturité, Puis en tant que femme, qu’il faut marier pour l’intégration à la société , en faire « une princesse respectable »…
Ces étapes sont présentées clairement, puis détaillées sans dévier du sommaire pré établi…
La surprise ne vient donc pas scénaristiquement mais à travers la savoureuse et précise description de cette culture si étrange et lointaine – comme souvent chez Isao Takahata, l’histoire se situe au cœur d’évènements du quotidien.
Très troublant car non-conventionnel, mais justement, aussi un des meilleurs moyens de provoquer l’immersion dans ce conte surnaturel. Isao Takahata, comme dans Souvenir Goutte à Goutte, ancre la réalité dans le trivial.
Un autre point positif est d’aborder le lien à la nature de manière détournée, contrairement à l’agressivité frontale d’un Pompoko. Cette nature est symbolisée par la simplicité instinctive de Sutemaru, amour officieux de Kaguya.
L’apothéose de cette relation interviendra lors du magnifique rêve éveillé qui verra ces deux êtres s’unir.
« Une plongée dans l’inconscient collectif Japonais, mais aussi un film somme du réalisateur Isao Takahata. »
En fin de métrage, le retour de la princesse dans son univers natal adopte une folie visuelle et sonore très singulière : cette dernière séquence, aussi émouvante que troublante car en total décalage avec la « simplicité » induite jusqu’ici, est difficile à expliquer : je pense qu’il s’agit d’ y montrer métaphoriquement deux cultures, celle occidentale et l’orientale. Les « luniens » sont des femmes à l’apparence très chrétienne d’anges. Le seul homme est un Buddha, qui pourrait représenter le Japon. La princesse serait donc l’union contre-nature de ce Japon et de cet occident, un échec.
Ce nuage bruyant et destructeur (à son arrivée, les humains s’évanouissement) vient récupérer avec force vacarme le fruit d’une union illégitime, décidément bien mal élevée par ces Terriens / Japonais.
Une façon de raconter en 10 minutes la percée de l’occident au Japon (Kaguya) , l’incompréhension de deux peuples, l’impossibilité de mixer deux cultures (la bombe, le nuage). La tristesse de l’auteur en face de ce constat.
LE CONTE DE LA PRINCESSE KAGUYA pourrait alors représenter un plaidoyer pour le rapprochement de nos deux cultures.
En bref, LE CONTE DE LA PRINCESSE KAGUYA constitue une plongée dans l’inconscient collectif Japonais, mais aussi un film somme du réalisateur Isao Takahata.
Sa nature de récit fantastique lui permet d’aborder de façon moins frontale que d’habitude ses thèmes favoris, tout en autorisant une incroyable créativité visuelle (et sonore, Joe Hisaishi, parfait à la bande son, comme toujours).
Un film personnel qui traite d’universalité et de rapprochement.
Georges Lechameau
[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]Votre avis ?[/button]
http://www.youtube.com/watch?v=DOvZ2IiMe58
• Réalisation : Isao Takahata
• Scénario :Isao Takahata, Riko Sakagushi,
• Acteurs principaux : Aki Asakura, Kengo Kora, Takeo Chii, Nobuko Miyamoto, Atsuko Takahata
• Date de sortie : 25 juin 2014
• Durée : 2h17min