L’arrivée de blockbusters chinois dans nos salles n’est plus une surprise mais une constante ces dernières années. Toutefois, avec CREATION OF THE GODS I, la Chine hausse le niveau d’un cran en s’attardant sur sa propre mythologie. À une période où la culture orientale n’a jamais été aussi présente en occident, celle chinoise se sentait certainement lésée vis-à-vis de ses voisines.
Le Seigneur du Parchemin
Future trilogie, ce projet se veut être Le Seigneur des Anneaux chinois. Dans cette optique, Wu Ershan et son équipe veulent jouer sur un terrain dominé depuis de nombreuses années par les productions américaines. Adapté d’un livre plus ancien que celui de Tolkien, ce premier volet possède tout de même une forte identité cinématographique chinoise. CREATION OF THE GODS I se place dans la continuité des wu xia pian fantastiques hongkongais avec des personnages virevoltants de toute part. Le métrage est la rencontre de ces deux mondes, une rencontre réussie car produisant une œuvre souvent spectaculaire. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, tout est fait pour en mettre plein la vue. Il veut même peut-être trop en faire en allant au-dessus de ses moyens. Cette superproduction chinoise se rapproche de celles américaines par quelques fautes de goût visuelles. Certains effets spéciaux, en particulier un démon « orc » sorti de Warcraft, sont ratés. Pire, au sein d’une même séquence de mauvais effets se joignent à d’autres sublimes rendant ainsi le tout très étrange. Construit en trois actes, les deux suites ne manqueront certainement pas de rectifier le tir pour être à la hauteur de ses références premières.
Guerre sino-japonaise
CREATION OF THE GODS I n’est pas qu’épique dans tout ce qu’il montre, mais il l’est aussi dans ce qu’il raconte. D’un œil occidental, l’histoire contée peut initialement faire peur. Le film nous assène coup sur coup la narration d’un mythe puis la présence d’une flopée de personnages. Heureusement, cette peur n’est qu’éphémère car le métrage est compréhensible et est d’une efficacité que semble avoir perdu le cinéma américain grand public. Le métrage conte l’histoire d’une Chine impériale fantasmée avec son lot de complots, de trahisons, et de guerres saupoudré d’une bonne dose de magie. L’introduction, à part être une excellente mise en bouche, nous met sur un plateau ce à quoi nous nous attendions en regardant le film. Avec le champ de bataille à perte de vue, le général surpuissant plus grand que tous ses soldats, et Ji Fa, ce jeune homme le prenant comme modèle, nous avons l’impression de regarder une adaptation de « Kingdom » de Yasuhisa Hara. D’ailleurs, nous pourrions presque y voir une raillerie envers le Japon avec notamment un démon renard étant la cause de tous les malheurs. Cet être maléfique prend en plus l’apparence d’une femme qui va charmer le général Yin Shou en l’entourant de ses cheveux tel un serpent, une image et une histoire rappelant grandement celle de Le château de l’araignée d’Akira Kurosawa. Cependant, ces filiations tiennent fébrilement étant donné que le démon renard fait aussi partie du folklore chinois et le métrage souhaite probablement se réapproprier cette créature trop longtemps assimilé à la culture nippone.
La promotion de l’idéal chinois…
Ce premier opus souhaite promulguer un certain idéal : la paix. Effectivement, hormis la séquence introductive, il n’y a à proprement parler aucun autre champ de bataille. La paix ne peut qu’être atteinte, selon le métrage, en respectant les dieux, les coutumes et les ancêtres, chose qui se perd à l’arrivé au pouvoir de Yin Shou. Ainsi, les fervents défenseurs de cette paix sont des paysans. Le départ de Ji Chang, duc de l’Ouest et père de Ji Fa, de sa contrée se fait avec des personnes travaillant la terre le sourire aux lèvres, une image propagandiste totalement assumée. Par extension, Ji Fa devient le vecteur de cette idée, lui qui au départ cavalait pour combattre et qui à la fin le fait pour rentrer chez lui. Nous ne pouvons néanmoins pas blâmer CREATION OF THE GODS I d’agir de la sorte étant donné que les productions américaines font de même à la différence que nous y sommes habitués.
… et les moyens d’y parvenir
La famille est une notion fondamentale du film car elle est celle qui respecte le mieux les coutumes chinoises. C’est notamment le propos de l’introduction avec ce général se considérant comme le père des fils des ducs qu’il a pris en otage. Après huit d’éducation il peut difficilement avoir tort, sauf qu’il leur a inculqué de mauvaises valeurs. Ça ne peut alors que le confronter fatalement aux pères légitimes et ceux dans une séquence insoutenable avec une caméra allant constamment d’un fils à un autre. Ces derniers se considèrent comme des frères et c’est judicieux car ils le sont même s’ils ne possèdent pas le même sang. Ils peuvent à la fois s’aimer sur le champ de bataille et se chamailler autour d’un feu. Néanmoins, cette fraternité va être mise à mal par ce père de substitution qui a d’ailleurs un fils légitime. L’existence de Jiao implique d’autres choses, dont la famille dans un contexte impériale. C’est particulièrement la peur du parricide qui est évoqué. Une nouvelle fois, c’est Yin Shou qui va faire naître ce danger tout en brisant de nouveau les valeurs familiales. Ce qu’il fait à son fils est tout aussi terrible que ce qu’il fait aux enfants qui ne sont pas les siens. Ji Fa va ainsi être encore une fois le vecteur de ces valeurs, à commencé par son père qui recueille un bébé démon. Ce beau message d’acceptation reste tout de même forcé vu que nous ne verrons plus de créatures du même acabit au cours du métrage. Globalement, c’est une vision niaise de la famille, toutefois le film l’assume complètement et il le fait sans concession. Derrière ces messages familiaux extrêmement commun il y a une extrême violence qui rend le métrage loin d’être édulcoré.
Blockbuster d’Asie ou d’Amérique, un film à grand spectacle restera toujours spectaculaire. CREATION OF THE GODS I tient la dragée haute à ce qui peut se produire dans le pays de l’Oncle Sam. Bien qu’il garde des défauts communs aux productions américaines, le film de Wu Ershan ne reste pas moins droit dans ses bottes et prêt à conquérir le public occidental.
Flavien CARRÉ