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LES HUIT SALOPARDS, jouissif Tarantino – Critique

On a bien failli ne jamais voir LES HUIT SALOPARDS sur nos écrans. Rappelez-vous, il y a un an, le scénario fuite sur le net et Quentin Tarantino décide d’abandonner le projet, déçu du sort réservé à son nouveau bébé. Une lecture en public plus tard, un peu de pression de la part des fans et voilà que le metteur en scène se remet à travailler sur le film. Et on peut dire qu’il sait nous donner envie !

Tournage en Ultra Panavision 70mm, film conçu en plusieurs actes comme une pièce de théâtre (avec entracte et levé de rideau), casting 5 étoiles et Ennio Morricone à la musique. Comment résister à de telles promesses ?

Lorsqu’on sait que le film est un huis-clos et qu’en plus il affiche une durée conséquente de 2h45, on est en droit d’avoir peur. Parce que Tarantino est un brillant dialoguiste, il le sait autant que nous. Et dans ses pires moments (Inglorious Basterds, Boulevard de la Mort) il peut devenir insupportable à déballer d’inutiles dialogues à rallonge. En voyant LES HUIT SALOPARDS, on comprend pourquoi il fut aussi déçu de voir son scénario fuiter tant l’écriture est ciselée, maline et brillante. Tout est construit avec précision, avec minutie, pour un résultat absolument jubilatoire. Le film est ludique car il joue sur les informations cachées, sur l’identité des personnages et leurs zones d’ombre. On prend le temps de connaître chaque protagoniste mais rien ne nous dit que ce qu’on apprend est la réalité et que, par la suite, des informations viendront contredire nos impressions.

A l’image de John Ruth qui est sur ses gardes, le spectateur doit également se méfier de tout le monde, prendre les informations avec des pincettes et doit rester mesuré dans son évaluation des personnages. Le titre du film nous prévient : nous sommes en présence de salopards. On trouvera de prime abord un personnage sympa, le film nous dévoilera des informations qui inverseront notre jugement et sa place dans l’histoire. L’exemple majeur est Warren (incarné par Samuel L. Jackson) qui est le protagoniste par lequel les spectateurs suivent le film, le personnage principal. Il nous est sympathique par son charisme, son sens de la répartie. Puis, vient un flashback qui change tout. Une scène marquante, dérangeante, qui ne manquera pas de faire parler. Donc lui aussi est un sacré enfoiré, pourtant, on ne le destitue jamais de toute la sympathie qu’on lui accorde.

Ce sentiment de paranoïa est ludique, terriblement excitant dès qu’on se laisse prendre au jeu. C’est un réel plaisir de se faire surprendre par les rouages du scénario qui sont montés diaboliquement pour qu’on ne soit jamais dans un confort de prévisibilité. Il faut ainsi partir du principe que personne n’est tout blanc ou tout noir, mais que tous sont quelque part entre ces deux opposés. Tarantino dévoile au compte-goutte les éléments suspects pour nous les faire oublier et mieux nous imposer leur importance au moment opportun. Ainsi un bonbon rouge trouvé par terre dévoile sa réelle importance plus tard dans le film. En ce sens, l’utilisation du 70mm trouve toute sa justification. Outre sa capacité à magnifier les étendues enneigées, ce format permet dans les scènes en intérieur d’instaurer une profondeur de champ, une ampleur de cadre, que la mise en scène prend en compte. On reste convaincu que le film mérite une autre vision pour bien saisir tous les détails dissimulés dans les plans. Tous les éléments de ce film semblent être là pour nous stimuler, jusqu’à la musique d’Ennio Morricone, instaurant un climat désespéré dès les premières secondes, comme si la diligence que l’on voit arriver au loin roulait vers une mort déjà programmée.

Le construction narrative revendiquée se compose de plusieurs actes, à la manière d’une pièce de théâtre. Outre les panneaux, la mise en scène vient plutôt scinder distinctement le film en deux grandes parties. La première, celle qui expose des faits et la seconde, celle qui dévoile les vrais faits. Après l’apparition du titre, l’intrigue démarre par un gros plan sur la face d’une statue de Jésus, crucifié à une croix. La caméra se recule petit à petit pour laisser apparaître la croix en entier et une diligence, au fond, qui s’approche progressivement. Le plan dure longtemps, plus de deux minutes et symbolise toute la première partie du long-métrage : une exposition longue, qui montre des choses facilement compréhensibles. Arrivé à deux heures de film, le chapitre 5 s’ouvre sur un même plan d’ensemble de Jésus sur sa croix, une diligence s’approchant sur sa droite. Le moyen de transport sort du cadre, Tarantino coupe et passe au contre-champ : un plan sur l’autre côté de la croix, celui qu’on avait jamais vu, le versant qui nous était caché. Là, dans la continuité, un long flashback vient nous éclairer sur tout ce qui s’est déroulé. Via la mise en scène, en 3 plans, Tarantino expose sa construction narrative en 2 blocs complémentaires.

LES HUIT SALOPARDS est un film qui respire le cinéma et l’amour que lui porte Quentin Tarantino.

Réduire la jubilation à des pirouettes scénaristiques ou à la mise en scène n’est pas entièrement juste. Certes, Tarantino fait briller son magnifique casting en leur offrant des dialogues parfaits et leur moment de gloire. Samuel L. Jackson en tête hérite d’un rôle aux petits oignons où on peut ressentir au travers de sa prestation tout le bonheur que ça a du être à faire. Mais, Tarantino n’oublie pas ce qu’on aime chez lui : la violence sèche, décomplexée, celle qui nous donne envie d’applaudir. Les coups de feu font mal, les éclats de sang grandiloquents. Il y a toujours ce fragile équilibre chez lui qui consiste à représenter des choses immondes tout en nous donnant du plaisir. La violence reste fun mais jamais le nihilisme n’a paru aussi prononcé dans une de ses œuvres, comme si tout le monde devait être puni, comme si l’humain, même en commettant in fine un acte positif, ne peut se sauver de son passé. Sans révéler quoi que ce soit de l’intrigue, attendez-vous à voir tout le monde déguster sévèrement dans une dernière partie où Quentin Tarantino s’en donne à cœur joie, allant jusqu’à faire exploser au sein même de son propre cinéma l’image de la femme. Pas d’iconisation de la femme forte, Daisy Domergue est une réelle salope à l’opposée des filles de Boulevard de la Mort et de Beatrix dans Kill Bill.

Ample mais jamais boursouflé, ni englué dans un plaisir narcissique de citations, LES HUIT SALOPARDS est un film qui respire le cinéma et l’amour que lui porte Quentin Tarantino. Un jeu de massacre à la mise en scène précise qui nous tient en éveil par l’imprévisibilité constante du scénario. Le film est à l’image de la fameuse lettre de Lincoln qu’a Warren sur lui. Un objet précieux si beau qui, peu importe au final qu’il soit vrai ou faux, nous fait prendre du plaisir au moment de le contempler ou l’évoquer. A la fin du film, après que tout le monde se soit tiré dessus, un personnage ressort la lettre pour la lire encore. Pour la première fois, le spectateur est invité à prendre connaissance de l’intégralité de son contenu. Tarantino réconcilie l’Amérique noire et l’Amérique blanche par le biais de cet élément. Enfin, il prend la main sur les dires et, via les paroles de Lincoln, s’adresse directement à nous, cinéphiles : « Je veux simplement vous dire que vous êtes dans mes pensées, en espérant que nos chemins se croiseront dans le futur. En attendant, je reste votre ami. » L’ami, c’est le bonheur que tu nous procures qui est dans nos pensées à la sortie de la projection. Tarantino, un ami qui vous veut du bien.

Maxime Bedini

LES HUIT SALOPARDS (THE HATEFUL EIGHT)
• Sortie : 6 février 2016
• Réalisation : Quentin Tarantino
• Acteurs principaux :Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh
• Durée : 2h48min
Note des lecteurs1 Note
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Pepino
Pepino
Invité.e
10 janvier 2016 0 h 33 min

Bonjour.

Sachez qu’en premier lieu j’ai apprécié vous lire. Votre récit est la marque d’un fan inconditionnel de la patte scénaristique et cinématographique de Mr Tarantino.

Pour autant, pour faire bref, et surtout plus bref que ce trop long métrage presque inconsistant dont nous a gratifié Quentin Tarantino, votre note me paraît bien trop indulgente cher ami.
Je n’ai nullement besoin de revenir sur le soin de que ce dernier apporte techniquement tant dans la réalisation esthétique du produit que dans sa mise en scène dans son ensemble, que vous détaillez sobrement bien d’ailleurs.

Cependant….Devait-on attendre exactement 1h42 avant « de faire parler la poudre » ? Devait-on se conformer à une intrigue si longue à se mettre en place qu’elle semble faire durer les dialogues de manière interminable ?
Oui c’est un huit-clos. Oui il n’est pas sans rappeler « Reservoir dogs ». Mais le résultat n’est pas le même. Ici le récit reste sans surprise au final et sans véritable enjeu…..Si ce n’est la conclusion plausible que vous en faites.

…Moi je suis un peu superstitieux. J’en viens à me dire que Kurt Russell (et aussi Zoe Belle) sont des acteurs qui ne réussissent pas à Tarantino 😉

Bien cordialement.

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