marvin ou la belle éducation
Crédits : Carole Bethuel

MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION, bouleversant – Critique

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Après le bouleversant Les Innocentes, Anne Fontaine aborde avec MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION un sujet tout aussi bouleversant : celui des humiliations qu’un homme va devoir subir avant d’être enfin lui-même.

Anne Fontaine aime filmer les destinées des êtres non conformistes et des héros ordinaires qui se cherchent parfois longtemps avant de se trouver. Elle aime les rencontres déterminantes qu’ils font dans leur vie, de celles qui déclenchent une transformation profonde. Elle affectionne le mélange de l’eau et du feu et se nourrit de la confrontation improbable de milieux qui ne sont pas censés se rejoindre. Rien d’étonnant à ce que la réalisatrice se soit penchée avec passion sur le cas bien particulier de ce MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION, adapté du roman  « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Edouard Louis.

Photo Marvin ou la belle éducation
Crédits : Carole Bethuel

On l’a rencontrée à Bordeaux avec ses deux acteurs Finnegan Oldfield (Marvin adulte) et Jules Porier (Marvin adolescent) dans son premier rôle au cinéma. Avec l’accord de l’écrivain, elle a voulu aller au-delà de la vie d’adolescent du héros. Elle trouvait plus « intéressant de développer la vie d’adulte de ce jeune garçon et voir comment il allait accéder à quelque chose de plus lumineux que son départ assez difficile et complexe ». Et en effet, quel départ difficile ! Le héros de MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION n’est sans doute pas né dans la bonne famille. Il baigne dans un terreau de misère sociale et de violence verbale, noyées dans l’alcool, les clopes et le désœuvrement. Sans filtre, ni pudeur, son père Dany/Grégory Gadebois et Odile/Catherine Salée ont un rapport décomplexé au corps et aux mots.

La réalisatrice se défend pourtant de les juger, leur trouvant même des circonstances atténuantes. Car s’ils sont « très précaires et défaillants à leur insu, ces parents aiment leurs enfants à leur manière ». Elle parvient même à les rendre attachants, car finalement démunis. Ils font sans doute du mieux qu’ils peuvent avec les bases bien maigres d’éducation dont ils disposent. Cette misère-là va évidemment de pair avec la misère intellectuelle et culturelle, dont racisme et homophobie sont les attributs. Mise à part une télévision allumée en permanence, ils n’ont pas accès à la culture. Et on sait pourtant, comme le disait Pierre Bergé, que « la culture permet de voir l’autre et de reconnaître son humanité dans la différence ».

Car tous pressentent en Marvin une différence inavouable, une sensibilité très éloignée des normes viriles auxquelles doivent correspondre les jeunes garçons. Marvin n’en prend d’ailleurs pas totalement conscience de suite, bien qu’il soit troublé par les corps de ses comparses. Harcelé et humilié au collège, il est aussi affublé dans sa propre famille de « bon à rien », « squelette », « gonzesse » et « bâtard ». Par instinct et pour survivre, il se tient à bonne distance de ses émotions, comme observateur de son propre tourment, « exilé en lui-même ». Mais il garde précieusement en mémoire ce matériau de souffrance, qu’il analyse et dissèque. Art vivant cathartique s’il en est, le théâtre sera plus tard « son lieu d’incarnation et son mode d’expression et de recherche sur lui-même et son passé ».

Un film bouleversant à voir absolument, tant par ses nombreux sujets sources d’émotions et de réflexions que par ses personnages inoubliables.

Plutôt que de faire un film sans espoir sur le déterminisme social, Anne Fontaine offre au contraire une véritable success story. MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION interroge sur la façon de trouver sa place dans le vaste monde, grâce à l’écriture et l’art comme résilience. Pour Finnegan Oldfield (Bang Gang), « Marvin n’est pas une victime mais un battant, avec du caractère ». Car le chemin cahoteux de Marvin va heureusement être parsemé de belles rencontres décisives et bienveillantes avec des anges gardiens. Ces mentors pressentent chez lui des possibilités et lui ouvrent les portes de cet autre monde des possibles. Il y aura d’abord la principale du collège, Madame Clément (Catherine Mouchet), puis Abel (Vincent Macaigne), Roland (Charles Berling) et enfin Isabelle Huppert, qui interprète son propre rôle et la mère de Marvin au théâtre.

La force d’Anne Fontaine est de parvenir à susciter l’empathie du spectateur et à lui faire partager subtilement les ressentis de ce jeune garçon, sans les montrer. Par effleurements et sans prévenir, l’émotion cueille souvent le spectateur et lui étreint le cœur. La réalisatrice réussit cette prouesse grâce à son choix narratif. Elle a en effet décidé de ne pas filmer la trajectoire de Marvin de façon linéaire, ni par flash back. Elle  leur a préféré une « construction alternative, qui crée un rapport sensoriel et de mémoire actif entre le grand Marvin et le petit Marvin ». Leurs deux vies sont ainsi montrées en alternance, comme deux vies en miroir et en résonance. Les deux acteurs font remarquablement corps, par le regard acéré qu’ils portent sur leur vie, la rousseur de leur teint de peau et la posture figée dans laquelle ils évoluent.

Photo Marvin ou la belle éducation
Crédits : Carole Bethuel

Enfin, MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION est aussi réussi grâce à son impeccable casting d’acteurs. Anne Fontaine les a choisi car « ils ne se contentent pas de dire des bonnes répliques de manière mécanique, mais parce qu’ils ont une portée existentielle »Finnegan Oldfield, qui vient d’être nommé aux Révélations des Césars 2018, était pour la réalisatrice une « évidence, mélange de grâce complexe et de fragilité avec de la détermination »Grégory Gadebois est « le seul acteur français qui peut incarner un homme qui vient d’un milieu populaire avec cette grâce ». Quant à Vincent Macaigne, qu’elle retrouve après Les Innocentes, il parvient à « faire passer de l’émotion tout en étant drôle ».

« Never complain, never explain » pourrait être, s’il elle n’était déjà prise, la devise de ce jeune héros, au côté duquel le spectateur chemine, souffre mais espère. MARVIN OU LA BELLE ÉDUCATION est donc un film bouleversant à voir absolument, tant il parcourt de sujets sources d’émotions et de réflexions et donne à voir des personnages inoubliables!

Sylvie-Noëlle

Note des lecteurs7 Notes
Titre original : Marvin ou la belle éducation
Réalisation : Anne Fontaine
Scénario : Pierre Trividic, Anne Fontaine
Acteurs principaux : Finnegan Oldfield, Grégory Gadebois, Catherine Salée, Vincetn Macaigne
Date de sortie : 22 novembre 2017
Durée : 1h53min

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