L’histoire : Apres des années d’absence, Becky Del Paramo, célèbre chanteuse pop des années soixante, rentre à Madrid. C’est pour trouver sa fille, Rebeca, mariée à un de ses anciens amants, Manuel. Becky comprend vite que le mariage de Rebecca est un naufrage surtout quand Manuel lui propose de reprendre leur ancienne relation. Une nuit, Manuel est assassiné…
Le premier plan du film montre Rebeca (Victoria Abril), ou plutôt son reflet dans un miroir… Comme un avertissement : ne pas se fier aux apparences.
La scène suivante nous détaille mieux Rebeca : coupe au carré bourgeoise, lunettes, tailleur et sac Chanel… Une classe, un style qui bizarrement, ne lui vont pas du tout. OK.
L’instant d’après, on assiste à un souvenir d’enfance, une humiliation. Re-gros plan sur Abril, puis deuxième souvenir d’enfance, et nouvelle humiliation. BON.
Quelques images suffisent pour nous suggérer quelque chose… Que le responsable de la dernière humiliation expérimentera bientôt la vengeance de Rebeca. Que cette gamine en apparence innocente, est du genre à manger son plat bien froid. Le personnage est présenté. Une calculatrice patiente.
Mine de rien, cette introduction tout en faux-semblants est déjà une immense promesse de ce que nous racontera TALONS AIGUILLES : des personnages hauts en couleurs, de la sensualité, du sexe, une intrigue imprévisible, et pourquoi pas beaucoup plus ! … Promesse qui ne sera malheureusement que partiellement tenue.
La première partie du film est ainsi, exactement comme on l’imagine chez Almodóvar. Avec la précision habituelle, le réalisateur étoffe son intrigue jusque dans le moindre détail. Chaque personnage ainsi qu’une multitude de situations impossibles à relier entre elles nous sont présentées. Le jeu de piste est très ludique : les personnages sont définis par les apparences – celles qu’ils ont d’eux, celles qu’ils donnent aux autres. Becki n’est qu’une image publique, une célébrité. Rebeca est obnubilée par la vision qu’à sa mère d’elle… Letal, devient une version pop de Becki pour se rapprocher, entre autres, de Rebeca ; Manuel, le mari de Rebeca maquille la fin de son mariage comme il peut…
Les situations présentant ces apparences, sont tantôt absurdes, tantôt drôles (enfin humour noir et/ou cynique – c’est Almodóvar quand même). Parfois sensuelles, ou sensibles ; Almodóvar joue avec les apparences, s’amuse à nous faire croire que… Et puis finalement non. Et c’est toujours aussi palpitant.
Puis le fameux meurtre arrive, sans prévenir. L’occasion d’aborder une deuxième partie, très « enquête & mélodrame », qui pioche intelligemment dans les éléments de la première partie pour s’alimenter. Là encore, Almodóvar dose avec subtilité énigme, moments intimes, et exploration des obsessions intimes des personnages. Mais quelque chose commence à dissoner.
Le ton relativement léger de la première partie se marie un peu difficilement avec le sérieux avec lequel nous devrions aborder les différents bouleversements des personnages. Je pense par exemple à Victoria Abril et ses deux monologues « j’ai tué, j’ai pas tué« , censés émouvoir mais qui ne font qu’ennuyer.
Almodóvar, s’il maîtrise sa mise en scène, a complètement raté le coche de l’empathie. À trop vouloir s’amuser avec ses personnages (Becki bis, la scène de Cunni-barre)… À se référer systématiquement à ses obsessions – les femmes, la perversion, l’obsession des apparences… À chercher à étoffer son univers par le détail, le réalisateur oublie de nous faire croire en ses personnages.
« Talons Aiguilles n’est qu’un assemblage de scènes, de personnages et d’éléments scénaristiques plus ou moins élégants, mais ne parvenant pas à former un tout cohérent. »
Peut-être était-ce aussi une énorme erreur de casting.
Abril qui était si adéquate dans Attache Moi !, manque ici de précision. Sa composition justement, n’arrive pas à simuler les apparences… Un problème, car c’est plus ou moins le thème du film. Marisa Paredes, qui joue sa mère, est une excellente actrice, mais qui détonne avec l’univers d’ Almodóvar. Trop classique, peut-être.
Le reste du casting, une fois n’est pas coutume, évolue entre approximatif et moyen-plus. Si cela n’est pas un problème lorsque TALONS AIGUILLES se cantonne à la mise en image de situations, cela devient clairement problématique lorsqu’il faut convaincre par l’émotion, sujet de la dernière partie du film.
Seul Miguel Bosé parvient à tirer son épingle du jeu, aidé il est vrai, par un rôle très… ambivalent.
Le fait de diviser le film en trois parties n’aide pas non plus. La présentation mi-intime mi-théâtrale fonctionne à 200% ; le polar est encore plaisant, mais le mélodrame final échoue totalement. La comparaison entre les trois parties nuit au film, autant que le manque de résolution de l’histoire… Toute cette complexité scénaristique n’aboutit sur rien, sinon des larmes. Extrêmement frustrant. Et contrairement à Femmes au Bord de la Crise de Nerfs, le cheminement n’est pas suffisamment cohérent pour nous faire accepter une conclusion approximative.
TALONS AIGUILLES est au final, un assemblage de scènes, de personnages et d’éléments scénaristiques plus ou moins élégants, mais qui ne parviennent pas à former un tout cohérent. Cette fable sur les apparences se perd en chemin, et finit par n’être qu’une parodie d’elle-même, où tout est exactement ce que l’on imaginait. Le plaisir va crescendo jusqu’au mélodrame final qui oublie de donner un sens au film et par là, relègue le tout au hors sujet. Dommage.
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