Ema

EMA, Chef-d’œuvre virtuose – Critique

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Jamais le thème de cette tragédie sociale et familiale pourtant déjà connu n’avait été abordé aussi frontalement. Pablo Larrain offre un chef-d’œuvre visuel troublant, un ovni halluciné où la danse permet l’exploration de nouvelles pistes graphiques, abolissant ainsi la frontière entre quotidien banal et extraordinaire.

Le ton est donné dès l’introduction. Alors qu’une troupe de danseurs répète une chorégraphie, la caméra se braque sur Ema et ses mouvements, singuliers et appliqués. Dès cette première rencontre avec le personnage éponyme, le spectateur ne peut qu’être saisi par l’énergie qui se dégage de ce personnage. Malgré sa froideur et son apathie : il importe bien plus pour elle de danser que d’entretenir un faisceau familial illusoire avec son professeur (sûrement l’une des meilleures prestations de Gael Garcia Bernal). L’échec de l’adoption de leur fils, Polo, souligne les limites d’un couple au bord de l’implosion.

Ema

Hantée par cette adoption avortée, Ema utilise ses armes pour lutter contre une société qui s’évertue à ne pas protéger ces âmes esseulées, ces ombres qui s’exhibent la nuit dans le port de Valparaiso (Chili). La danse devient pour elle l’expression métonymique de toutes ses préoccupations. On le constate lors de cette répétition ahurissante où Larrain poétise la rupture progressive avec Polo. Ema est en quête d’identité, elle qui ne parvient pas à trouver le point d’équilibre entre son rôle de mère et ce besoin éperdu d’hypnotisme que seule l’extase des chorégraphies nocturnes lui procure. C’est d’ailleurs lors de ces séquences que le film atteint des sommets picturaux où Larrain donne à voir un imaginaire débridé, un tsunami virtuose où l’impulsion des corps se calque sur le jet des lance-flammes.

Il est difficile de cerner ce personnage si atypique jusque dans les derniers instants du film. Sa propension à naviguer d’une relation à l’autre, de la séduction d’un pompier à celle d’une mère de famille aimante, déstabilise. Il convient d’être attentif à chacun des mouvements d’Ema tant Larrain se fait le porte-parole d’un langage essentiellement corporel. L’épilogue déstabilise : comme ses personnages, il va à l’encontre de l’ordre social préétabli. Il est à l’image de cette fascinante troupe : libéré et détaché d’une quelconque forme d’autorité. Les séquences où Raquel, amante d’Ema, apprivoise la sauvagerie et le lien organique du groupe s’inscrivent dans cette éblouissante narration visuelle. Le montage elliptique assemble toutes les pièces d’un puzzle malsain au charme vénéneux.

Ema

Après Jackie et Neruda, deux films biographiques où Larrain explorait la psyché de deux entités indiscernables, EMA fait figure de réel accomplissement. Mature et détachée de tous commandements, son cinéma sonde les âmes et les corps sans omettre une continuité narrative cinglante. Dans la continuité d’un Théorème de Pasolini, Larrain questionne la dramaturgie sociale en admirant ceux qui en subissent les pires conséquences. L’interprétation toute en démesure de Mariana Di Girolamo permet de saisir toutes les problématiques de cette lutte intérieure se catalysant dans la danse. A l’heure où l’industrie traverse une époque des plus sombre, il faut aller à la rencontre d’EMA, contempler en sa compagnie ces sublimes flammes qui mériteraient de raviver le retour dans les salles obscures des cinémas indépendants.

Emeric

 

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Titre original : Ema
Réalisation : Pablo Larrain
Scénario : Guillermo Calderon, Pablo Larrain, Alejandro Moreno
Acteurs principaux : Mariana Di Girolamo, Gael Garcia Bernal, Paola Giannini, Santiago Cabrera, Cristian Suarez
Date de sortie : 02 septembre 2020
Durée : 1h42min
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Insensé

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