Un beau chat noir aux superbes yeux rentre chez lui tranquillement. La caméra, aussi gracieuse que le félin, suit l’animal qui passe à côté de mystérieuses statues de membres de son espèce. Au loin, dominant paisiblement les alentours, l’une d’elle semble faire la taille d’un immeuble. Pourtant il n’y a presque que la maison dans laquelle vient se blottir l’animal qui soit une des seules traces de vie humaine dans cet environnement. Comme d’habitude, le chat s’endort tranquillement. Le lendemain, l’animal ouvre les yeux. A peine le temps de s’étirer qu’un instant après, ceux-ci s’écarquillent: le niveau d’eau est monté et n’a pas l’air de vouloir s’arrêter…
Un chat mignon comme pas deux embarqué malgré lui dans un voilier aux côtés de quelques autres animaux suite à une montée des eaux : il y avait sûrement peu de monde qui s’attendait à ce que sorte au cinéma une expérience aussi belle au sein d’un concept de départ assez simple. Alors que le cinéma d’animation grand public est souvent partagé entre des films exigeants (les Pixar notamment) et des Disney poussifs ou des franchises divertissantes mais lisses, c’est un réalisateur letton inconnu au bataillon qui vient offrir au genre une de ses plus belles réussites des dernières années.
Épure et fluidité
S’inscrivant directement dans la continuité de ce que le jeu-vidéo indépendant produit comme petites merveilles vidéoludiques, le réalisateur autodidacte d’à peine trente ans nous plonge dans un univers à l’opposé des créations ultraréalistes de beaucoup de productions récentes qui en oublient souvent que le plus important est d’abord l’histoire qu’on veut raconter. Ici, en plus, celle-ci est plutôt simple : un groupe d’animaux mal assortis se retrouve obligé de coopérer pour survivre. Sauf que dès le début, on sent à quel point le geste de Gints Zilbalodis est sincère et maîtrisé. Et jamais frimeur. Jouant de plan-séquence suffisamment longs pour captiver et immerger mais jamais trop pour ne pas s’oublier dans la performance, la mise en scène est en effet incroyable de fluidité et sert autant au spectacle qu’au développement de ses personnages aux comportements crédibles et souvent drôles. Que ce soit le lémur, le labrador, le capybara ou l’oiseau (un messager-sagittaire), l’équipe a visiblement étudier le comportements des animaux pour pouvoir le retranscrire à l’écran et le spectateur de se régaler ou s’émouvoir de voir tout ce petit monde interagir. Zilbalodis travaille ce rapport entre chacun et captive alors qu’on observe ces animaux jouer, chercher à manger, se disputer… ou traverser un univers merveilleux et plein de mystères.
Jeux vidéo, mais pas trop
En effet, en artiste maître de sa création et qui sait où il veut aller, le réalisateur nous immerge dans un monde dont on ne saura rien. Un environnement luxuriant où les statues de chat côtoient les villes englouties et d’immenses formations rocheuses desquelles notre regard ébahi n’est arraché que lorsque que les péripéties l’exigent ou quand une baleine bien surprenante fait son apparition. Embrassant toute la poésie de mondes vidéoludiques tels que ceux de Journey, Shadow of the Colossus ou bien sûr Stray, le film façonne une expérience contemplative et prenante, sans aucun dialogue ou effet facile.
A l’image de ce moment où une aurore boréale emplit le ciel, Zilbalodis n’est pas là pour l’esbroufe. Alors que l’oiseau tient la barre du voilier au premier plan, l’aurore boréale apparaît dans le fond. Mais la caméra, rivée à ses personnages et à leurs aventures, ne fait pas le mouvement ou le cut attendu vers le ciel, et reste avec l’oiseau. Alors que le moment aurait été parfait pour le film de dire “regardez, je suis beau”. Même constat pour le rythme parfaitement maîtrisé : jamais le film n’ennuie ou au contraire n’effectue un remplissage durant son heure et demie. Y-a-t-il alors besoin de préciser que la musique (que compose en partie le réalisateur) est sublime ?
Alors que Le Robot Sauvage déploie lui aussi sur nos écrans une bien belle esthétique impressionnante et fait autant de larmes sur les visages des enfants que des parents, il est particulièrement agréable et prometteur de voir un film d’animation grand public prendre autant de risques et raconter de belles histoires universelles avec autant de talent et de sincérité (contrairement à un Migration plutôt sympa mais attendu). Au milieu d’un empire Disney au prestige bien entamé depuis longtemps, de franchises sympathiques mais paresseuses (Moi, Moche et Méchant par exemple), ou encore de pures produits de studios, le cinéma d’animation rappelle toute sa puissance en cette fin d’année.
Après l’action, la contemplation
Et puissant, le film l’est assurément. Ne cherchant pas les graphismes réalistes, l’esthétique abstraite du long-métrage développée sur cinq ans et demi peut alors faire de chaque mouvement de personnage un geste crédible et captivant alors que les objectifs de nos amis à poils ou à plumes côtoient le primaire (manger, dormir, survivre) à l’extraordinaire (on vous laisse découvrir tout ça). Bien sûr, la métaphore avec notre monde est faisable, alors que le film nous montre des protagonistes s’allier et s’entraider. Si tel est le cas, le geste est d’autant plus beau. Loin du bruit d’un monde humain écrasant comme ses grandes villes, FLOW plonge le spectateur au milieu de la nature pour un retour aux fondamentaux: l’entraide est la survie. Alors, une fois l’aventure vécue et les peurs vaincues, on pourra faire comme ces petites boules de poils et de plumes bien courageuses, se réunir et, ensemble, s’arrêter un instant pour scruter notre reflet.
Simon BEAUCHAMPS