Avec La Pampa, Antoine Chevrollier revient sur ses terres natales pour nous en raconter les histoires les plus obscures, mais aussi le charme juvénile. Malgré la sincérité attendrissante du geste, le réalisateur du Maine-et-Loire ne parvient pas à se défaire d’un académisme esthétique et narratif nuisant à son propos.
Un retour sincère, mais prisonnier de l’académisme
Les limites de LA PAMPA s’éclaircissent à la lumière du transfuge de classe développé par Didier Eribon. Il existe une ascension sociale par laquelle l’individu concerné soumet son milieu d’origine à un regard distancié, critique mais aussi moralisateur, voire méprisant. Et pour cause, le transfuge de classe n’est pas seulement une augmentation salariale ou un changement de fréquentations : c’est le façonnement d’un système moral et sensible en supplantant un autre.
Qui dit mutation du système sensible dit mutation du rapport esthétique. In fine, s’opère dans le transfuge de classe un transfuge esthétique ressaisissant le réel à l’aune d’un nouveau regard, formaté et codifié.
Ainsi, après des années de pratique au sein du milieu parisien, Chevrollier revient sur ses terres pour nous parler d’une société et d’une époque ; malheureusement sans parvenir à l’observer avec nuance et profondeur, ni à nous offrir un regard étranger à celui d’un citadin d’origine. Il élabore le mélodrame le plus académique et conventionnel possible sur la jeunesse rurale et ses mœurs. L’ancrage social n’intéresse pas le réalisateur, qui lui préfère la dynamique narrative abstraite de l’émancipation. Et son fond « social » n’est qu’une tapisserie décorative négligée.
La Pampa, une mise en scène désincarnée
LA PAMPA, c’est avant tout une caméra incertaine, au regard brouillé, ne sachant que voir et fixer ; une tentative d’immersion affaiblie par un montage scolaire. Aucune des puissantes expériences esthétiques imaginables par le cinéma ne s’y trouve.
Ce n’est pas une expérience contemplative – la maigre durée des plans en empêche la possibilité. Ce n’est pas non plus une expérience scopique – le cadrage est souvent imprécis. Le film de Chevrollier n’est pas davantage une plongée sensorielle, aux sensations analogues à celles de l’univers des personnages. Il aimerait, mais l’insuffisance du travail sonore et plastique n’en permet pas le déploiement.
Le réalisateur opte plutôt pour une caméra à l’épaule filmant en plan rapproché les personnages – un automatisme peu inspiré. Malheureusement, cette caméra est utilisée dans sa modalité la plus réductrice : l’énonciation objective de la narration. Rien de plus. Elle se place là où l’action dramatique se situe et se contente de filmer le scénario, en alternant les champs/contrechamps.
Certes, les séquences de courses de motocross dégagent une certaine grâce et une force physique palpable.
L’épaisse poussière tourbillonnant autour des coureurs et de la caméra confère aux scènes une indéniable cinégénie. Mais pour le reste, rien ne donne une chair supplémentaire au script balisé du réalisateur. Si un personnage parle, on le filme ; si un autre l’écoute, on le filme aussi. Mais l’au-delà du dialogue n’existe pas.
Cette alternance champ/contrechamp de la parole peut être excellente dans certains films, mais LA PAMPA n’a ni la justesse du montage, ni le bon goût de la langue. Ce premier point confirme l’impossibilité de caractériser ce film comme « social » ou, à minima, « témoin d’une époque », tant il filme si peu ce qui enveloppe les personnages.
Un idéalisme esthétique figé
Par son attachement plastique aux acteurs, le film lorgne davantage du côté du mélodrame moralisateur. En cela, le choix de mise en scène pourrait sembler logique pour valoriser une dramaturgie sagement écrite. Reste à savoir de quoi retourne cette écriture.
Rarement un film aura proposé des lignes de dialogue aussi anticipables. Aucune d’elles ne semble générée naturellement par un corps unique et des affects spécifiques. Tout est programmatique, allant dans le sens d’un drame de mœurs conventionnel évoluant en récit d’initiation et d’émancipation.
Ces signes sont symptomatiques d’un idéalisme créatif, où la réalité figurée devient une construction moralisatrice. La mise en scène elle-même est structurée par cet idéalisme. Elle assure une conjonction esthétique entre l’écriture et le filmage, laissant peu de place au vivant et au réel dans leur complexité.
L’idéalisme esthétique n’est pas une erreur en soi, mais peut vite devenir un conformisme brassant des automatismes limités. Et c’est bien le problème d’Antoine Chevrollier et de la pauvreté de son regard. L’auteur est tellement pétri d’académisme et de maniérismes clichés qu’il ne peut arracher à ce territoire et à ses habitants leur singularité. De plus, sa tendance à se projeter dans le récit et dans son personnage principal parasite notre libre perception des événements
Une galerie de personnages désincarnés
Le personnage principal, Willy, adolescent doté d’une pondération et d’une tolérance le dissociant de son milieu d’origine, suit une trajectoire émancipatrice. Néanmoins épris d’une transgression juvénile, il est passionné par le motocross et les soirées alcoolisées entre amis – mais n’est pas comme tout le monde.
Jojo, son meilleur ami, blond platine, au semblant plus libertaire et fou, est fondamentalement gentil et touchant. Il est le point de rupture dans cette bulle sociale, mais aussi le point d’accroche essentiel de Willy pour justifier le recul de ce dernier.
Marina, jeune étudiante vivant à Angers, figure émancipée et accomplie, ne revient qu’occasionnellement dans la petite campagne. Détestée par les ados du coin, elle représente un idéal de fuite et d’accomplissement pour Willy, tombant immédiatement amoureux d’elle.
On voit comment ce personnage principal est le vecteur d’un projet moral idéaliste, dont les personnages secondaires ne sont que les adjuvants. Pour le reste, aucun être humain n’existe vraiment. Ce type de mélodrame se fabrique toujours ainsi : un héros différent d’une masse commune.
Il faut voir avec quel mépris le réalisateur filme sa bande d’amis. À chacune de leurs apparitions, ils sont détestables :
– une première fois, ils incitent Jojo à traverser dangereusement une départementale en motocross ;
– la deuxième fois, ils jugent Marina avec une grossière misogynie ;
– la troisième, l’un d’entre eux la rabaisse ;
– la quatrième, vers la fin du film, la bande assaille Willy de jurons homophobes.
Ces comportements existent bel et bien en France, et notamment dans ces milieux. Mais Chevrollier ne fait exister ces personnages qu’à travers ces attitudes. Ils ne sont donc pas des êtres humains, mais des bêtes idiotes et méchantes. C’est un choix esthétique clair, qui écarte toute nuance et complexité.
Un conte moral sans chair
Une question simple vient alors : pourquoi Willy n’est-il pas homophobe ? Pourquoi n’agit-il pas comme les autres ? Son environnement social est pourtant le même, et son ancrage familial n’est jamais identifié comme différent.
Il n’est pas homophobe puisqu’il est le personnage principal, une figure abstraite mûe par un ordre moral supérieur et détaché de son milieu. Et comme l’amitié est ici plus forte que tout, les contradictions conflictuelles ne viennent jamais ternir sa relation avec Jojo.
Le manque de savoir-faire filmique et dramaturgique empêche Chevrollier d’explorer des mécanismes d’oppression et des antagonismes internes aussi fins qu’ils peuvent l’être dans la vie. Il n’aime pas le trouble : il préfère filmer les clartés qui le rassurent, et le sale qu’il regarde de haut.
Un regard moral, mais sans vision
En fin de compte, le réalisateur n’est pas fin sociologue. Il ne semble pas comprendre les déterminations ayant pu l’extraire d’une homophobie campagnarde ambiante. Du coup, il construit un conte où Willy – in fine, lui-même – serait un héros élu parmi les villageois.
Il n’est pas reprochable à Chevrollier d’être un mauvais sociologue ou de ne pas comprendre le monde. Néanmoins, sa vision repose sur un système esthétique limité, éculé et épuisé par ce type de cinéma.
Une dernière question nous taraude : la dithyrambe critique accueillant ce film est-elle vraiment une bonne nouvelle ?
Keziah CHAMSIDINI
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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