Il y a cinquante ans, un poisson a littéralement sauvé Hollywood. Au début des années 1970, les studios américains peinaient à remplir les salles. Pour se maintenir à flot, ils s’appuyaient sur la vague de la Blaxploitation, ces films à petit budget mettant en scène des acteurs afro-américains et rencontrant un franc succès populaire. Puis, à l’été 1975, un film bouleverse la donne et inaugure une nouvelle ère : celle des blockbusters.
Avant le requin : l’âge d’or des épopées hollywoodiennes
Les blockbusters existaient déjà bien avant LES DENTS DE LA MER. Autant en emporte le vent (1939) ou Ben-Hur (1959) répondaient à tous les critères du genre : fresque épique, stars prestigieuses, adaptation d’un roman à succès, durée imposante, et pluie d’Oscars à la clé.
Même au début des années 1970, une période pourtant faste pour Hollywood, Le Parrain (1972) reprenait cette recette et triomphait. Mais c’est bien avec LES DENTS DE LA MER qu’un jeune réalisateur nommé Steven Spielberg allait transformer durablement le cinéma commercial.
Un tournage semé d’embûches
Pourtant, ce film sur un requin terrorisant une station balnéaire de la côte Est des États-Unis aurait très bien pu sombrer avant d’atteindre les salles. Spielberg craignait de ruiner sa jeune carrière. Après le film Duel (1971), déjà centré sur une menace mécanique, il redoutait de se répéter avec une version aquatique du même concept.
Convaincu par ses producteurs, il se lance malgré tout dans le projet, financé à hauteur de 3,5 millions de dollars seulement. Faute de gros cachets, le casting repose sur des acteurs solides mais peu médiatisés : Roy Scheider, Robert Shaw et Richard Dreyfuss. Le tournage, réalisé en mer contre l’avis du studio, tourne vite au cauchemar : météo capricieuse, voiliers parasites dans le champ, bateau de tournage qui prend l’eau, et requins mécaniques défaillants.
La “peau” en néoprène gonfle, le sel ronge les circuits pneumatiques, et Spielberg ne peut filmer qu’un tiers du temps prévu. Le budget final grimpe à 9 millions de dollars.
Le triomphe inattendu
Malgré tous ces obstacles, LES DENTS DE LA MER devient un phénomène. C’est le premier film de l’histoire à dépasser les 100 millions de dollars de recettes sur le marché américain. Lors de sa ressortie pour son cinquantième anniversaire aux États-Unis et au Canada, il s’est encore hissé à la deuxième place du box-office.
Ce succès durable s’explique autant par la qualité du film que par sa logique commerciale novatrice : un grand spectacle accessible, calibré pour le très large public — le modèle du blockbuster moderne.
L’héritage : naissance d’un modèle
Depuis le coup de tonnerre provoqué par LES DENTS DE LA MER, Hollywood n’a plus jamais décroché de la formule. Certes, les multiples films de requins qui ont suivi ont rapidement sombré dans la série B (voire Z), mais d’autres franchises ont pris le relais : Star Wars, Indiana Jones, Retour vers le futur… jusqu’à l’univers Marvel, qui incarne aujourd’hui l’apogée de cette stratégie industrielle.
Le film de Spielberg, à la fois divertissant et accessible, a signé la mort du cinéma d’auteur américain des années 70, celui du New Hollywood incarné par Francis Ford Coppola ou Michael Cimino. L’ère des blockbusters était née — et elle ne s’est jamais arrêtée.
Andrew TAYLOR
Andrew Taylor est professeur de culture et de civilisation américaine à l’école de management Audencia. Ses enseignements couvrent des sujets tels que l’aspect géopolitique des films et séries, l’histoire de l’industrie hollywoodienne, et les divers genres de cinéma.
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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