Après le scabreux Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, les grosses productions françaises ont le vent en poupe chez Pathé. Avec LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN, l’exploitant tente de redonner au cinéma français un héroïsme perdu et une modernité à son histoire.
Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, monument de la littérature française, a été la source de nombreuses adaptations cinématographiques, françaises ou non, proches ou non de son œuvre. La première adaptation est réalisée par Mario Caserini en 1909, à l’heure où le cinéma était muet et monochrome. Martin Bourboulon s’attaque ici, après le réussi Eiffel, a une nouvelle production à gros budget. Avec LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN, le réalisateur français a la double et lourde mission de faire du cinéma historique français, une attraction grand public et de confirmer sa capacité à gérer de grosses productions. Une partie suivante est déjà annoncée pour décembre 2023.
Le film suit l’histoire du gascon D’Artagnan (François Civil) rêvant de devenir mousquetaire. Il se rend à Paris pour rejoindre la prestigieuse troupe des Mousquetaires de la Garde, mais se retrouve mêlé à un complot visant à renverser le roi. En chemin, il rencontre et se lie d’amitié avec les légendaires mousquetaires Athos (Vincent Cassel), Porthos (Pio Marmaï) et Aramis (Romain Duris). Ensemble, ils s’efforcent de déjouer les plans du cardinal de Richelieu et de son espionne Milady de Winter (Eva Green).
Dynamisme général
Pour son envie et sa volonté de créer un blockbuster bleu-blanc-rouge, LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN est déjà un succès au sein d’un cinéma français toujours riche mais trop en manque d’envergure. Cette version modernisée a quelque chose de grandiose, privilégiant l’épique sur le côté romanesque de son œuvre. Le film de Martin Bourboulon est une réunion des genres, des époques et des générations d’acteurs. Un tel cadre impose une grande production qui invite à un spectacle moderne non sans ses défauts.
Entre aventure, comédie et action, LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN a rapidement mis en avant, notamment dans son trailer, son déluge de scènes d’action. Si l’on nous vend des plans séquences et moins de montage surchauffé, ceux-ci déçoivent à plusieurs niveaux. Le film cherche souvent à se baser sur la technique pour impressionner et hormis quelques scènes, le résultat n’est probablement pas à la hauteur des moyens employés. Entre des pertes de rythme et une chorégraphie brouillonne, on vit des scènes intenses mais très peu lisibles dans leur continuité. Les mouvements de caméra étonnent ; tantôt alambiqués, tantôt nerveux, ils ont toujours le mérite de rendre le contenu très immersif. La gestion des espaces tient la route, la synchronisation des séquences nettement moins. Tout s’enchaîne dans un flou visuel trop récurrent, et finalement, aucun combat ne reste réellement en mémoire. L’art de l’épée est donc mis à l’honneur d’une façon plutôt mitigée. Mais si la chorégraphie pêche, le film peut s’appuyer sur une palette sonore payante aussi bien dans ses effets, tout en puissance, que ses musiques, épiques mais assez oubliables.
Visuellement, on découvre des tons bruns et sépia propres aux films d’époque. La photographie est magnifique, paradoxalement soignée et terreuse. Elle est également sublimée par des jeux de lumières éblouissants dans des hauts décors naturels. Celle-ci sert la performance des acteurs, mais ne joue pas en faveur des séquences d’action. Trop de scènes nocturnes ou enfermées dans de vieilles pierres ressortent sombres, avec un naturel immersif mais pas assez perceptible. LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN montre tout le rustique de cette époque, loin du récit fleuri de Dumas et son ambiance décolorée s’y prête tout à fait. Son défaut est par contre d’être trop conçu dans la pénombre, ce qui joue par moments contre la compréhension des scènes.
Et le cinéma français reprend des couleurs
Avec LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN, le cinéma français s’enrichit d’une reconstruction fidèle d’une époque. Contrairement à beaucoup d’adaptations historiques, on ne tombe pas ici dans l’étalage et le faste : on nous démontre toute la pauvreté et l’obscurité d’une époque. Le réalisateur prend son temps pour montrer l’ensemble des classes, construisant de forts contrastes qui alimentent son fil rouge scénaristique. Les dialogues dignes et retenus de la cour catholique face à l’honnêteté brute dans les auberges, l’éclat des abbayes, la lueur étincelante des vitraux, la sombre furtivité des actions protestantes… Le personnage de Louis XIII incarné par Louis Garrel, est aussi volontairement chargé : historiquement timide et n’incarnant pas le royal, il est ici encore plus, tendant vers la lâcheté et l’indiscrétion. Avec cette royauté moquée, on se range du côté des mousquetaires, dont le côté rustre, parfois inéduqué, les rapprochent du peuple et de la vraie vie de cette époque.
En tant que bonne adaptation historique, le film ne cède pas à une apparence moderne. Mieux encore, Martin Bourboulon arrive à créer un monde de cape et d’épées très authentique. Un univers baroque qui convainc rapidement par des costumes très travaillés, tantôt orientés combat, cour que bal. Une bonne partie de la production a également dû être dédiée aux décors qui s’avèrent spectaculaires. De la brillance des châteaux à la richesse religieuse, les décors contribuent largement à la création d’une éloquente peinture d’époque.
Une aventure flamboyante, mais convenue
S’il semble parfois mal à l’aise avec le littéraire et l’ancien qu’on exige de lui, le casting du film reste excellent et équilibré. François Civil joue un d’Artagnan au flegme téméraire et à la sympathie contagieuse ; juste dans tous les registres, il confirme sa place sur le devant du cinéma français actuel. Vincent Cassel incarne Athos et donne à son personnage toute la poésie et la noirceur d’âme que les autres n’ont pas. La touche progressiste se retrouve même chez les personnages : Pio Marmaï interprète un Porthos version 2023, à la bisexualité étalée, alors que Romain Duris joue Aramis, mousquetaire davantage gigolo qu’homme de foi. Eva Green est, de son côté, parfaite en Milady et Vicky Krieps, dans la peau de la Reine, apporte une sérénité essentielle à son personnage. Enfin, Louis Garrel épate encore et cette fois dans un rôle pas vraiment flatteur ; ce Louis XIII a finalement quelque chose d’attachant tant l’acteur le rend faussement naïf et dépassé par les événements.
Cette version des Trois Mousquetaires a dans son ensemble quelque chose de légèrement superficiel. Dans son traitement des personnages, tous auraient mérité plus de profondeur et de détails. Car entre le manque de personnalité de certains, l’humour nouvellement introduit et la rigidité des répliques littéraires, on a parfois du mal à trouver du sens. Les scénaristes Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte jouent de beaux dialogues mélangeant le français de deux époques, apportant quelques ruptures comiques bienvenues. Mais ils servent davantage le récit, et notamment des intrigues secondaires facultatives, plutôt que servir les personnages en eux-mêmes. LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN tombe dans le piège de se jeter dans les aventures de ces personnages avant même d’en développer les principaux protagonistes. Avec le second volet Les Trois Mousquetaires : Milady, s’annonçant plus dramatique, étoffer ces personnages sera nécessaire, sans quoi l’émotion n’existera jamais vraiment.
LES TROIS MOUSQUETAIRES : D’ARTAGNAN s’affirme comme un solide divertissement qui parvient brillamment à repopulariser des marques littéraires auprès du grand public. Le nouveau souffle épique et le rythme haletant de l’adaptation de Martin Bourboulon captivent. Le film arrive cependant difficilement à insuffler sa propre magie : on profite du spectacle, mais avec une certaine distance.
Paul GREARD
• Réalisation : Martin Bourboulon
• Scénario : Alexandre de la Patellière, Matthieu Delaporte
• Acteurs principaux : François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Eva Green, Louis Garrel
• Date de sortie : 5 avril 2023
• Durée : 2h01min