Professeure d’anglais à l’université de Téhéran, Azar Nafisi est renvoyée après avoir refusé de porter le voile islamique. Pas suffisant pour arrêter cette férue de littérature, qui continue d’enseigner clandestinement chez elle. Chaque semaine, elle retrouve sept de ses étudiantes pour parler de leurs espoirs, de leurs amours et de leur place dans une société de plus en plus oppressive.
1979. Un vent nouveau vient balayer l’Iran. La monarchie est tombée, un régime tout autre s’apprête à naître. Pour beaucoup de jeunes intellectuels, la Révolution islamique est le symbole de tous les espoirs. C’est en tout cas ce que pense Azar Nafisi (Golshifteh Farahani) lorsqu’elle revient s’installer au pays avec son compagnon. L’enthousiasme est de courte durée.
À l’aéroport, la sécurité inspecte trop soigneusement sa valise. Ce rouge à lèvres foncé semble intriguer. Pire encore, les livres qu’elle a ramenés d’Occident. « C’est quoi ça ? », demande l’agent avec suspicion, comme s’ils pouvaient exploser à tout moment. Un dernier regard méfiant, avant de jeter avec violence l’exemplaire de Lolita sur la table. Si l’oppression n’est pas encore installée, ses signes avant-coureurs sont déjà là.
Une ode à la sororité
LIRE LOLITA À TÉHÉRAN, c’est l’histoire vraie d’une désillusion. D’espoirs révolutionnaires déchus, alors que les libertés s’amenuisent. Jusqu’au jour où les robes courtes et les cheveux au vent ne sont plus que des souvenirs regrettés.
Eran Riklis adapte le roman autobiographique d’Azar Nafisi, qui a vu sa terre natale basculer dans l’autoritarisme. Celle qui raffole des classiques occidentaux a même fini par voir sa librairie fétiche fermer ses portes. Et ses élèves exécutés pour leurs pensées contestataires. Golshifteh Farahani s’impose comme un modèle de bravoure dans le rôle de cette professeure de lettres récalcitrante.
Autour d’elles, une galerie de jeunes femmes tout aussi courageuses. Un cercle qui donne à voir des conditions de vie bien différentes. Un mariage d’amour pour l’une, un compagnon à la main lourde pour l’autre. Et, pour une grande partie d’entre elles, l’envie de fuir le pays. Leurs scènes de sororité, où elles refont le monde en grignotant des biscuits, apportent une douce chaleur dans cette répression quotidienne. Car à tout moment, cet instant de liberté volé pourrait s’interrompre. Et leur coûter trop cher.
Au cours de leurs échanges littéraires, les jeunes femmes passent par l’allégorie pour évoquer leur condition. Les mariages forcés des sœurs Bennett, des siècles plus tôt, ne sont-ils pas encore d’actualité ? Et Lolita, livrée à un homme lubrique, ne leur ressemble-t-elle pas ? On reprochera des références parfois trop pointues, qui risquent de laisser sur le carreau les moins littéraires de la salle.
Raconter la violence
La violence est indissociable d’un tel régime. Comment la matérialiser à l’écran sans tomber dans le voyeurisme ? Eran Riklis oscille entre scènes graphiques et suggérées. C’est là que la mise en scène excelle – lorsque l’atrocité des crimes est laissée à l’imagination des spectateurs. C’est peut-être ça, le plus terrifiant : entendre les cris de ces pauvres femmes, tout en devinant les violences qu’elles subissent. Des scènes chocs, dans un ensemble à la réalisation plutôt convenue.
Qu’importe le classicisme de ses images, la force de LIRE LOLITA À TÉHÉRAN réside d’abord dans ces femmes au courage exceptionnel. Un récit nécessaire en ces temps troublés.
Lisa FAROU