Romance lesbienne en errance dans les milieux culturistes, LOVE LIES BLEEDING témoigne à la fois d’une grande poésie et d’une violence abrupte. Militant à sa délicate façon, le film de Rose Glass offre une représentation queer aussi rare qu’appréciable.
Queer as fuck
En avril dernier, l’avant-première de LOVE LIES BLEEDING au BIFFF (Brussels International Fantastic Film Festival) avait, à raison, fait couler beaucoup d’encre dans les sphères du cinéma de genre francophone. Cauchemardesque, la séance avait dégénéré après des insultes homophobes et les rires malvenus de certains spectateurs. L’ensemble des personnes queers présentes s’en était trouvé affectées. Si bien que la projection a dû être interrompue par l’équipe dirigeante du festival, qui s’était confondue en excuses maladroites. Regrettable. D’autant plus qu’en termes de représentation queer, malgré sa récence, LOVE LIES BLEEDING fait figure d’œuvre importante.
En effet, le film met en scène une romance lesbienne, à l’écart de tout fantasme hétérosexuel masculin – a contrario d’un Abdellatif Kechiche dans La Vie d’Adèle. Rose Glass parvient à filmer le désir lesbien dans une ambiance suave et équivoque, sans y apposer un regard voyeur et hétéronormé. D’autant plus que LOVE LIES BLEEDING est porté par deux actrices concernées, Kristen Stewart et Katy O’Brian, lesbiennes à la vie comme à l’écran. Un casting significatif pour ce long-métrage, qui ambitionne d’offrir une véritable représentation queer. À cet égard, le film constitue une véritable réussite, avec une performance sans précédent pour chacune de ses deux actrices.
Queer as love
Parmi ses aspects appréciables, LOVE LIES BLEEDING choisit de ne pas faire de l’homosexualité son principal sujet. Ici, pas question de coming-out, et si l’homophobie est abordée, elle n’est pas placée au centre de l’intrigue. Le film nous raconte avant tout une histoire d’amour, entre deux femmes certes instables et imparfaites, mais mues d’un attachement profond et sincère. De ces couples border de fiction, comme Mickey et Mallory dans Tueurs nés ou Betty et Zorg dans 37°2 le matin. Autant de relations passionnelles douteuses érotisées par le cinéma. Un luxe longtemps accordé uniquement aux hétéros, puisque le couple gay est plus régulièrement traité par le prisme de l’inclusion sociale.
Toutefois, de ce schéma classique de la relation amoureuse, LOVE LIES BLEEDING parvient à s’émanciper, puisqu’il émerge de sa violence esthétisée une rage sourde. Une réaction forte et sans concession face à l’immobilisme autour des violences conjugales, des oppressions sexistes et de l’objectivation des corps. Un rugissement de colère, qui justifie chaque écart de conduite des deux héroïnes. Également une parabole de l’amour lesbien où, souvent, tout va plus vite, plus fort, sans détour, ni retour en arrière possible. Car, étonnamment, le film parvient à transmettre toute cette force militante, mais dans un climat doucereux presque onirique, où le couple baigne envers et contre tous.
Queer as genre
Par ailleurs, LOVE LIES BLEEDING fait partie de ces rares films à diriger la sthenolagnie – l’attirance pour les physiques musclés – vers des corps féminins et non masculins. En effet, les lieux communs considèrent la femme musclée comme peu attrayante, alors même que ce penchant s’avère bien plus courant qu’il n’y paraît – dans les communautés LGBTQIA+, comme chez les hétéros. De l’hypocrisie populaire, Rose Glass fait fi avec une véritable ode aux biceps, aux triceps, aux grands droits et à toutes les parties du corps féminin. LOVE LIES BLEEDING rappelle ainsi que le culturisme, comme tout sport, n’appartient jamais à un seul genre.
Dans ce climat qui aimerait prétendre que les représentations queers n’ont pas leur place dans le cinéma de genre, il est essentiel de rappeler qu’elles en ont toujours été un élément constitutif. Des sous-entendus de James Whale à la relation lesbienne tacite de La Maison du Diable, en passant par Le Fils de Chucky, jusqu’à Titane ou LOVE LIES BLEEDING, toutes ces œuvres ont, chacune à leur manière, questionné la notion de genre et donné une représentation à des communautés bien trop souvent invisibilisées. Le film de Rose Glass s’inscrit donc dans un héritage précieux, qu’il est essentiel de nourrir et de préserver.
Lilyy Nelson