Photo du film MEN
Crédits : Metropolitan FilmExport

MEN, l’enfer, c’est les hommes – Critique

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Romancier de formation, Alex Garland apprend les ficelles du 7e art en compagnie de Danny Boyle (il y a pire comme pygmalion) en tant que scénariste avec notamment La Plage et 28 jours plus tard. Désireux de s’extirper de sa chrysalide, l’homonyme de Judy se pique de réalisation pour pondre Ex machina, fable SF glaçante puis Annihilation, variante bancale de L’invasion des profanateurs et son dernier rejeton, Men. Porté par un casting cinq étoiles se comptant sur les cinq doigts de la main (parmi eux, l’éblouissante Jessie Buckley et l’ubiquiste Rory Kinnear), Men plonge dans la psyché d’une femme marquée à vie par la masculinité toxique, ainsi que ses ravages, à l’aune de la génération MeToo.

Baignée d’une lumière orange vespéral, Harper assiste à la défenestration de son mari filmé par une caméra qui ralentit la scène, la fige, et insiste sur le regard accusateur de l’époux, qu’elle portera sur elle comme un signe de Caïn. Cette scène inaugurale porte en elle le sceau du réalisateur : une photographie irréelle, saturée de couleurs éclatantes au service d’images chocs qui restent gravées dans notre cortex. Suite à ce trauma, Harper décide de mettre les voiles direction les riantes prairies de la campagne anglaise pour emménager dans un splendide manoir digne d’un conte de fées. Mais qui dit conte de fées, dit aussi grand méchant loup. Et en l’occurrence il sera multiple.

Photo du film MEN
Crédits : Men Film Rights LLC. / Koch Films / Kevin Baker

Accueillie par le lourdingue propriétaire des lieux, Jeffrey, dont le paternalisme bienveillant confine à la goujaterie, l’héroïne sent l’atmosphère de malaise de sa demeure et part souffler en forêt où elle semble reprendre goût à la vie. Alors qu’elle se pensait loin de tout, elle est prise en chasse par un étrange individu dans le plus simple appareil. Le cauchemar va prendre forme pour Harper, l’étreinte malfaisante masculine va peu à peu se refermer sur elle. Film à la symbolique psychanalytique dévastatrice, les métaphores vont essaimer sur le chemin de notre héroïne : elle va croquer une savoureuse pomme du jardin, faire face à un long tunnel, sera étrangement suivie par une aigrette de pissenlit… Toutes ces paraboles, plus ou moins absconses, insinuent que sa présence n’est pas requise, partout où elle ira, un homme exercera son emprise sur elle.

Jonglant avec les codes du fantastique, la caméra d’Alex Garland nous fait vivre les ravages de la misogynie ordinaire sur une femme traumatisée par les hommes : de la petite remarque désobligeante au détour d’une phrase, à une main négligemment posée sur la cuisse, jusqu’au flagrant manque de considération du policier local après une agression caractérisée. Et le plus perturbant dans tout cela réside dans le fait que dans cette petite bourgade, uniquement peuplée d’hommes, les habitants semblent partager une troublante similitude physique. Consanguinité extrême ? Doppelgangers ? Envahisseurs à l’apparence humaine prêts à asservir les femmes ? Cette confusion perverse, savamment entretenue, prend une tournure résolument malsaine puisque les spectateur.rice.s semblent être les seul.e.s à constater cette anomalie, comme pris en otage dans une situation qu’ils ne peuvent maîtriser. L’effet est saisissant et fait basculer le.a spectateur.trice dans une terreur latente. Angoisse renforcée par la partition anxiogène de Geoff Barrow et Ben Salisbury dont les nuances peuvent migrer du climat apaisant vers une ambiance tribale voire gutturale dans un final cataclysmique.

Photo du film MEN
Crédits : Men Film Rights LLC. / Koch Films / Kevin Baker

Initialement ancré dans la plus pure tradition du film gothique anglais, MEN évolue vers le style du home invasion et surtout du folk horror, qui depuis Midsommar (inspiré lui-même de The Wicker Man) semble contaminer une bonne partie de la production actuelle des films fantastiques. Ces violentes métaphores cauchemardesques trouvent leur résonance dans ce folklore païen, renvoyant à des divinités ancestrales, capables des choses les plus insensées selon la conception humaine contemporaine, à l’image de cette séquence complètement « what the fuck » de body horror toute droite jaillie de la partie fine conclusive du Society de Brian Yuzna (un conseil : lavez-vous les yeux à l’eau de javel après ça). Encore une fois, cette horreur n’est pas gratuite. D’ailleurs rien ne l’est vraiment dans MEN : chaque plan, chaque musique, chaque phrase fonctionne comme un fil d’ariane à remonter pour échapper à ce labyrinthe de sensations.

Avec MEN, Alex Garland réussit le pari insensé de réaliser un film de genre sur la masculinité toxique, cognant juste et fort. MEN se révèle être une œuvre ambitieuse, en phase avec son époque, insidieuse. De fait, les effets de cette grenade à fragmentations lancée à la gueule de la misogynie se font également ressentir bien après son explosion… Et pour longtemps.

Guillaume

Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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Lily Nelson : Horrible. Une purge pseudo-intellectuelle d'un mauvais goût criard, tourné pour exprimer le point vue angéliste d'un homme sur le féminisme. A fuir.
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Titre original : Men
Réalisation : Alex Garland
Scénario : Alex Garland
Acteurs principaux : Jessie Buckley, Rory Kinnear, Paapa Essiedu
Date de sortie : 8 juin 2022
Durée : 1h40min
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