couverture - OPPENHEIMER, zone de confort - Critique
Crédits : Universal Pictures

OPPENHEIMER, zone de confort – Critique

En s’essayant au biopic historique, Christopher Nolan puise un récit haletant à partir d’une personnalité complexe et méconnue, parabole fascinante des lois qui façonnent son cinéma. Un parti pris ambitieux duquel émergent toutefois des failles propres à un style parfois trop sage.

Christopher Nolan n’en fait qu’à sa tête. Sa filmographie obéit manifestement à une forme de mutation qui déporte chaque récit d’un genre à l’autre, sans qu’un sujet n’ait un quelconque lien avec le précédent. Tenet atteste ce processus continu. Son précédent film n’a, en apparence, rien à voir avec ce nouvel opus. Un héros désincarné y traversait les paysages dystopiques d’un empire déformé par le temps : peut-être l’idée de Nolan la plus ambitieuse mais aussi, et on ne peut pas lui en vouloir, la plus vaine. De même, la linéarité observée lors des prémices d’Oppenheimer a tendance à rassurer. Les cartes du biopic classiques y sont distribuées et participent à la sculpture d’un cadre solide, mais aussi détonnant. En effet, que peut produire le cinéma de Nolan pour donner une réelle consistance à un récit axé sur l’inventeur de la bombe atomique ?

Les premières réponses rassurent autant qu’elles peuvent exaspérer. Plus de réflexion sur le temps et sa perception, mais un montage fulgurant où s’opère un parallélisme entre la montée en puissance du créateur et sa chute progressive. L’exécution d’un programme scénaristique fructueux où Nolan déploie un style désormais bien identifiable et qu’il maîtrise à la perfection. Ce leitmotiv est en accord avec le début du récit, qui esquisse les contours d’une figure tourmentée, agrémentés de quelques bonnes idées. Se calquent ainsi sur les rythmes effrénés de la B.O. (réussie) de Ludwig Göransson des visions éparses et passagères d’atomes, allégories des idées naissantes chez Oppenheimer. La réussite de ce début de film tient à ce sentiment de proximité avec le personnage, à cette intimité que Nolan crée avec son personnage principal, sans pour autant basculer dans l’empathie ni dans la complaisance. Il fallait attendre l’épilogue de Tenet pour observer la teneur émotionnelle de ses héros, condamnés. Dans OppenheimerNolan s’émancipe d’emblée de cette charge sensible imposée par un ancrage contextuel opposé à toute forme de fiction. Une épine judicieusement ôtée quand on connaît la difficulté du metteur en scène à traiter la tragédie.

Photo du film OPPENHEIMER
Crédits : Universal Pictures

Reste alors le travail méthodique minutieusement pensé pour narrer les différents temps imposés par le biopic. Principale réussite : des seconds rôles admirablement pensés. De Rami Malek à Josh Harnett en passant par Matt Damon, toutes les personnalités gravitant autour du physicien excellent, tant par leur caractérisation que par l’interprétation qui en est proposée. En ça, ils participent à la constitution d’une fresque homérique, chacun renvoyant à une étape primordiale de la vie d’Oppie. Quelques séquences, malheureusement trop courtes, rappellent aussi les plus belles heures du nouvel Hollywood des années 60. La ville et le désert s’allient dans des plans d’une rare élégance, mais brefs. Nolan ne sait substituer à son maniérisme de courtes contemplations, dont le spectateur mériterait d’être gratifié. La valse peut succinctement devenir amère tant on aimerait rester dans ses essarts, loin de trop longues diatribes juridiques. Le souffle épique se fait ainsi asthmatique durant un second tiers parfois brouillon. Regrettable puisque c’est ici que l’on assiste, subjugué, à la fameuse séquence de l’explosion. Une friandise savoureuse à un moment où le récit se montrait prisonnier d’un lyrisme faisant la part belle à une psychologie manichéenne, qui se confirmera dans la confrontation rendue explicite du dernier tiers (en parti sauvé par l’un des meilleurs rôles de Robert Downey Jr).

Photo du film OPPENHEIMER
Crédits : Universal Pictures

Pour autant, et on l’en remercie, Nolan se refuse à toute forme de politique, ou de prise de parti maladroite. Le bon élève qu’il est reste attaché à l’essentiel et son puzzle est davantage rythmique que pictural ou engagé. Cette obsession pour le tempo et la reconstitution au détriment d’autres explorations sémantiques est un atout qui rend la découverte de la psyché d’Oppenheimer plaisante. On constate ainsi les tourments qui s’opèrent chez le physicien et qui auraient peut-être gagnés à se conclure lors de la plus belle séquence du film, un discours où le scientifique hallucine les dégâts qu’il a causés. De courts instants de grâce où, aidé par l’interprétation toute en justesse de Cillian Murphy, Nolan sort de sa zone de confort et qu’on aurait voulus davantage scruter. Une réussite du genre donc, traversée par de courts moments figés, qui laissent entrevoir quelque chose de plus grand.

Emeric Lavoine

Note des lecteurs1 Note
affiche - OPPENHEIMER, zone de confort - Critique
Titre original :Oppenheimer
Réalisation : Christopher Nolan
Scénario : Christopher Nolan
Acteurs principaux : Cillian Murphy, Matt Damon, Rami Malek, Emily Blunt, Robert Downey Junior, Florence Pugh, Josh Harnett
Date de sortie : 19 juillet 2023
Durée : 3h00min
3.5
Une réussite.

Auteur·rice

Nos dernières bandes-annonces

Rédacteur
S’abonner
Notifier de
guest

2 Commentaires
le plus récent
le plus ancien le plus populaire
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
Laura1234
Laura1234
Invité.e
24 août 2023 22 h 19 min

Bonjour,

Dans ce texte, l’auteur discute de la filmographie de Christopher Nolan, notant sa tendance à changer de genres et de thèmes de manière audacieuse. Le texte se penche sur les différences entre « Tenet » et le prochain film d’Oppenheimer, soulignant la maîtrise narrative de Nolan et son exploration du temps. Il s’agit en effet d’un film captivant qu’il faut absolument voir.

Benjamin
Benjamin
Invité.e
11 août 2023 8 h 55 min

Il me semble que le film reparle de la loi de Murphy et la place au centre de sa réflexion, en tout cas le film me paraît assez riche pour le penser ainsi.

Ce qui est montré est une course entre Etats durant une guerre, entre deux hommes durant une période de leur vie. Avec cette course, tout est précipité, tout va de l’avant, tout paraît inéluctable, et presque, tout est déjà arrivé (c’est le sens que je donne à ce mélange de temporalités ; les lignes temporelles se rattrapant l’une l’autre par le montage). Et ce qui arrivé (le pire) est arrivé parce que cela pouvait arriver (Murphy).

Mais on peut aussi aller plus loin. Comme avec Tenet d’ailleurs, on peut croire ces structures vaines, mais leur complexité nous fait croire à quelque secret gardé.

2
0
Un avis sur cet article ?x