Après des reports successifs, le doute planait encore sur cette sortie incertaine et pourtant tant attendue dans une industrie malmenée par la crise économique. Après un été désastreux pour les exploitants, TENET s’est vu endosser le rôle de blockbuster providentiel capable de ramener le grand public dans les salles obscures. Mais le onzième long-métrage de Christopher Nolan est-il seulement à la hauteur de la réputation qui le précède ?
Le réalisateur Britannique s’est imposé comme l’un des plus importants de sa génération, avec des opus qui ont marqué en profondeur le paysage cinématographique de ces vingt dernières années. Incontournable sur la scène internationale, ses films font néanmoins débat et divisent la critique. Il faut le dire tout de suite, TENET ne manquera pas d’enflammer à son tour les discussions cinéphiles.
On retrouve dans ce film des éléments caractéristiques et rapidement identifiables de ce qui compose le cinéma de Nolan. De la séquence d’ouverture en immersion directe au cœur de l’action jusqu’au développement de motifs obsessionnels, TENET semble dialoguer avec un corpus aussi passionnant que complexe. Dès les premières annonces, de nombreux observateurs avaient souligné, à juste titre, la forme palindromique de ce titre programmatique. En effet, depuis Memento, le cinéaste n’a eu de cesse de lier processus narratifs et distorsion de l’espace-temps.
Car Christopher Nolan est avant tout le cinéaste du temps, fasciné par la plasticité de son écoulement au moyen des outils cinématographiques. Sa filmographie est marquée par une volonté de le fragmenter, le tordre, le distendre, le ralentir, le suspendre, le remonter. Ici, il le renverse. Une intention dévoilée dès la deuxième séquence, qui illustre en une métaphore visuelle, le principe du film. On peut y voir deux trains avancer dans des directions opposées, tandis que les personnages sont pris dans l’étau de ces flux qui bordent l’image. Le défilement du train symbolise celui de la pellicule du film dont une partie de l’intrigue défile dans un sens et la seconde dans l’autre. Mais il ne s’agit pas de voyage temporel, les deux intrigues défilent simultanément, lancées dans des directions qui divergent.
La question du temps est étroitement liée au cinéma, c’est parce qu’il est en quelque sorte sa composante fondamentale ainsi que sa condition d’existence. Le temps figé à l’intérieur d’un photogramme ne peut être restitué qu’au moyen d’un mouvement. Le cinéma naît du temps révélé dans le mouvement. L’attachement de Nolan à la pellicule est loin de la simple lubie esthétique, elle participe d’une profonde réflexion métaphysique sur le cinéma en tant que médium plastique privilégié de l’espace et du temps.
Après une mort symbolique, le personnage interprété par John David Washington se réveille sur un paquebot en pleine mer. Le film vient de transcender une première frontière, celle du Styx, au delà de laquelle le temps n’a plus d’emprise. Le réalisateur manipule ses procédés cinématographiques pour malmener le temps comme une vulgaire pâte à modeler et ainsi balayer les lois de la physique.
Cet aspect du film est de loin le plus fascinant, donnant lieu à d’hallucinantes expérimentations visuelles. En jouant avec l’inversion de l’écoulement du temps, Christopher Nolan repousse toutes les limites et compose des scènes d’action qui tendent à la pure recherche formelle. Il démontre une nouvelle fois sa capacité à créer de réelles sensations de vertige face à d’hypnotiques tableaux. Un atout majeur qui assure à TENET sa fonction de grand divertissement. Mais c’est aussi la principale limite du film qui ne parvient jamais à dépasser sa dimension spectaculaire.
À l’instar de Dunkerque dont la forme lorgnait vers la pure abstraction, le film semble délaisser volontairement son récit pour se concentrer sur l’expérience sensorielle. Mais contrairement à son prédécesseur, l’action de TENET ne se suffit pas à elle même et condamne la narration dans une avancée bancale. Les ramifications de l’histoire sont beaucoup trop complexes, le spectateur est noyé dans un flot d’informations délivrées dans des scènes de dialogues au didactisme plombant. À l’image de ces messages codés qui ponctuent certaines répliques, les intentions apparaissent obscures et hermétiques, destinées à un public restreint d’initiés. Un puzzle faussement complexe assemblé par un réalisateur qui joue au petit malin.
Ce qui faisait la force de films tels que Interstellar, Inception ou encore Le Prestige, c’était la profondeur des émotions déployées dans les quêtes intimes des protagonistes. C’est la complexité du combat intérieur de Cobb qui faisait la richesse du scénario d’Inception et non ses circonvolutions scénaristiques. Ici les personnages sont sous-développés, leurs buts nous échappent constamment et avec eux les enjeux des séquences que l’on regarde s’enchaîner avec indifférence. Il est presque impossible de se rattacher aux personnages pour suivre cette intrigue beaucoup trop casse-tête.
De quoi parle TENET ? Il serait hasardeux de l’affirmer. Nolan dépeint une humanité qui se bat contre elle même, en guerre contre son propre avenir. Les thématiques sont pertinentes et les questionnements terriblement actuels. Mais ce propos manque d’incarnation, d’émotion, il aurait fallu moins d’esbroufe intellectuelle pour davantage de sentiments humains.
Certaines rumeurs faisaient de ce film une possible suite d’Inception. Il est vrai que de nombreux éléments font directement référence au film culte de 2010. Notamment ce sentiment d’étrangeté qui nimbe le film d’une aura onirique associé à l’ambiance paranoïaque de ce récit d’espionnage. Lors de la séquence d’ouverture dans laquelle le public de l’opéra est plongé dans le sommeil, l’effet miroir est inévitable. Allusion à peine masquée à l’expérience de la salle de cinéma alors même que son existence est menacée. Christopher Nolan nous convoque à l’intérieur de son hallucination collective, le cinéma comme pure séance d’inception à grande échelle pour nous inviter à réparer notre réalité.
Hadrien
• Réalisation : Christopher Nolan
• Scénario : Christopher Nolan
• Acteurs principaux : John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Clémence Poésy, Michael Cain
• Date de sortie : 26 août 2020
• Durée : 2h30min