Une — ou plusieurs — partie(s) de cet article parle de l’intrigue et en dévoile certains aspects. Il est donc vivement conseillé d’avoir vu le film avant de le lire. On vous a prévenu !
Le film s’ouvre sur une couette blanche immaculée, qui contraste avec un son strident et lugubre de violons et un staccato de vent. Cette atmosphère inquiétante culmine avec une femme se jetant dans l’eau, capturant immédiatement l’attention du spectateur. Comme à son habitude, Lanthimos aime contraster la poésie de sa photographie et de ses plans avec l’atmosphère étrange exacerbée par la musique et/ou la narration.
Dès « l’incipit », Lanthimos opte donc pour une esthétique en noir et blanc, ce qui n’est pas sans rappeler les origines gothiques du roman d’Alister Gray, oeuvre à l’origine de cette adaptation. Ces choix visuels renforcent le caractère surréaliste et expérimental du film, en particulier lorsqu’on attend des couleurs qui n’arrivent que tardivement (outre la scène d’entrée) pour faire écho à la nouvelle liberté de Bella Baxter ainsi qu’aux aventures qui en découleront.
Le film est une véritable expérience cinématographique à plusieurs niveaux. Le scientifique (Willem Dafoe) joue le rôle de démiurge qui souhaite maintenir des conditions d’expérimentations contrôlées. C’est d’ailleurs ce zèle qui l’amènera à perdre le contrôle de sa « créature » ; puis qui permettra au personnage de Emma Stone de réellement s’accomplir.
La mise en abîme de l’expérimentation du cinéaste, en parallèle de l’expérimentation diégétique mais aussi de celle du spectateur face à un objet qui se veut surréaliste est un des primes les plus intéressants.
Lanthimos utilise des plans audacieux et dynamiques, souvent filmés en mode « trou de souris », donnant l’impression que l’on espionne les personnages, ou qu’on assiste réellement à une expérience dont on ne peut ni ne doit perturber les conditions.
Enfin, le thème de la sexualité est exacerbé, parfois trop : pourquoi autant de scènes de sexes tout au long du film ? Ce n’est pas clair. Tandis que l’intrigue se déploie dans des villes réelles mais passées sous un filtre onirique, comme tout droit sorti d’un livre pour enfants, les influences littéraires et théâtrales se font sentir, avec des décors qui rappellent un miroir de l’imaginaire. La musique du film, bien que non mémorable en soi, soutient l’atmosphère étrange et parfois oppressante du récit. Elle accompagne les personnages sans jamais les éclipser, ajoutant une couche supplémentaire de tension et de mystère.
Emma Stone, dans le rôle de Bella Baxter, incarne avec brio la dynamique narrative du film. Les différents chapitres de l’histoire ajoutent une épaisseur au personnage, chaque expérience se collant à elle et la façonnant, à l’instar du visage en patchwork de son père. La brutalité physique du père est ainsi reflétée par la complexité émotionnelle et psychologique de la fille.
Un point intéressant à noter est l’absence de chapitre distinct lorsqu’elle doit faire face à son passé et à la personne qu’elle était auparavant, brisant le format fantasmagorique habituel du film. Cette décision narrative renforce la continuité et l’évolution du personnage principal sans interruption artificielle.
PAUVRES CRÉATURES est une œuvre marquante de Yorgos Lanthimos, mêlant esthétique audacieuse, narration complexe et thèmes profonds. Le film pousse le spectateur à réfléchir sur l’identité et la transformation, tout en offrant une expérience cinématographique unique et poétique. Une exploration fascinante des aspects les plus sombres et les plus lumineux de l’âme humaine.
Nathan D.
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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