Photo du film Springsteen Deliver Me From Nowhere
Crédits : 20th Century Studios

SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE, mêmes les grands artistes sont terrifiés

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3.5

Porté par un Jeremy Allen White tout en intériorité, Deliver Me From Nowhere prend la forme de l’état mental de son protagoniste à cette époque pour une balade mélancolique mais délicate aux côtés d’un artiste tourmenté…

Il y a une sensation ambivalente qui envahit le spectateur à la fin de SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE : celle d’avoir assisté à un biopic à la fois sobre, ne cédant pas à la flamboyance facile, mais en même temps d’avoir vu un film peut-être trop sage pour réellement faire quelque chose de la matière qu’il avait entre ses mains…

Les états d’âme du Boss

En fait, il faut le savoir tout de suite pour ne pas être éventuellement déçu : SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE – adapté du livre éponyme de Warren Zanes, non traduit malheureusement – n’a rien de spectaculaire. Ce ne sera sûrement pas surprenant pour ceux qui connaissent le contexte et savent que Bruce Springsteen était en proie à la dépression pendant la création de l’album Nebraska, mais c’est toujours intéressant à rappeler, le biopic musical n’en finissant pas de faire atterrir des films plus ou moins réussis et racoleurs sur nos écrans chaque année.

Plus tôt dans celle-ci, un autre exemple sortait d’ailleurs : Un parfait inconnu. Et là où l’on pouvait reprocher un classicisme pouvant décevoir en rapport à la figure anticonformiste de Bob Dylan, James Mangold avait au moins le mérite de l’élégance en ne cherchant jamais à en faire trop.

Et c’est un peu ce que dégage le travail de Scott Cooper, qui fait de son long-métrage une sorte de voyage contemplatif et lent aux côtés d’un Bruce Springsteen aux angoisses bien enfouies, qu’on verra presque tout le temps comme un fantôme.

Jeremy Allen White, appliqué et ne cherchant pas l’imitation à tout prix, intériorise tout et nous laisse détecter la moindre micro-expression sur son visage impassible, barrière contre les angoisses qui montent en lui et qu’il mettra du temps à mieux comprendre, maîtriser et extérioriser.

Car c’est bien une atmosphère à la fois apathique et délicate qui englobe tout le film, des scènes de création musicale dans la maison de l’artiste à ses interactions avec les autres, en passant par les rares séquences de concert.

Photo du film Springsteen Deliver Me From Nowhere
Crédits : 20th Century Studios

Trop de retenue tue la retenue

Le film conserve donc presque tout du long ce rythme lent, en retenue, embrassant avec beaucoup de justesse l’état d’esprit de son protagoniste, rock star contrariée souhaitant sortir une création en accord avec ses émotions profondes, à l’opposé des desiderata de son studio, qui souhaiterait évidemment des hits à faire sauter les foules au plafond. Et le geste est intéressant de la part de Scott Cooper. Si le bonhomme est surtout connu des sphères cinéphiles, il faut rappeler que ses réalisations, de plus en plus variées, en font un cinéaste intéressant.

Il avait commencé avec, justement, un biopic musical, Crazy Heart (2009), porté par un Jeff Bridges Oscar du meilleur acteur pour l’occasion, avant de se tourner vers le thriller, l’épouvante et le western avec des films comme Les Brasiers de la colère (2013), The Pale Blue Eye (2022) ou notamment Hostiles (2017), sûrement son plus réussi. Et comme James Mangold qu’on mentionnait, Cooper est devenu un de ceux qui auscultent l’Amérique avec une rigueur toujours présente.

C’est donc appréciable de le voir maintenir une sobriété dans son dispositif, alors qu’il ne cède jamais aux scènes faciles attendues (pas de scène de gros concert pour ce programme-là, contrairement à ce que peut évoquer l’affiche). Mais cette retenue est aussi ce qu’on peut lui reprocher…

Photo du film Springsteen Deliver Me From Nowhere
Le film a le mérite de partager le ressenti difficile d’un processus de création aussi intime – Crédits : 20th Century Studios

Cliché ou intelligent ?

C’est Damien Bonelli, sur Critikat, qui parle du film avec beaucoup de pertinence. En fin connaisseur de la carrière du chanteur du New Jersey qu’il est manifestement (contrairement à la personne qui écrit ces lignes), le rédacteur souligne des points très justes et alimentant l’analyse, comme la création pour le film d’une petite amie fictive (personnage-fonction pas toujours bien utilisé) ou un manque de représentation de ce qu’est la création musicale : « Confondant poses et incarnation, fétichisation et reconstitution, sentimentalisme et émotion, le film égrène ses clichés avec l’assurance masculine de celui qui mime la vulnérabilité sans réellement l’éprouver. »

Difficile de donner tort à ces observations. Néanmoins, on peut aussi dire que cette torpeur a le mérite de nous faire ressentir le vécu d’une personne en proie à la dépression, et même quand on peut avoir la sensation que les choses n’avancent pas vraiment (le film ne « décolle » jamais réellement), on se dit ensuite que c’est sûrement ce que ressent un dépressif, et que la proposition se montre donc intelligente à ce niveau-là.

De même pour les autres personnages. Si le manager et mentor Jon Landau est incarné avec délicatesse par Jeremy Strong, les parents (Stephen Graham et Gaby Hoffmann) ou la petite amie (Odessa Young, condensé de plusieurs femmes réelles) de Bruce font l’effet de fantômes qui n’ont pas l’occasion de réellement exister. Mais encore une fois, n’est-ce pas ainsi que la personne perçoit son entourage, alors que le brouillard que crée son état se fait de plus en plus épais ?

Il y a quand même un réel regret de voir le scénario faire un bond en avant au moment pile où le protagoniste laisse enfin aller ses émotions et commence à se libérer, et où le film pouvait commencer à traiter de manière concrète la dimension psychologique de son sujet… Aux gens de se faire leur avis.

Pour le rédacteur de ces lignes, le choix est plutôt fait de retenir la pudeur du long-métrage, d’apprécier la délicatesse parfois très douce avec laquelle il accueille les invasions mentales de son protagoniste, et de voir comment SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE restera et grandira dans son esprit et son cœur… ou pas.

Photo du film Springsteen Deliver Me From Nowhere 4
On a aperçu Scott Cooper et Jeremy Allen White à Lyon pendant le Festival Lumière. Photo pas incroyable, mais essayez de faire mieux comme ça au débotté, mesdames et messieurs – Crédits : Simon Beauchamps / Le Blog Du Cinéma

Simon BEAUCHAMPS

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