Au petit matin, à Rome, devant le Castel d’Angelo, une dizaine de cinquantenaires italiens nonchalants descendent en rappel pour peindre sur le mur, devant le fleuve et en lettres rouges : VERS UN AVENIR RADIEUX. Le tout sans un mot, sur un air musical enjoué de film muet. Cette scène d’ouverture donne délicieusement le ton, installe le mélange entre fiction et réalité, symptomatique du cinéma de Nanni Moretti.
Nanni Moretti est en effet un réalisateur italien qui a fait de l’auto-fiction sa signature. Il joue d’ailleurs dans chacun de ses films (dans celui-ci, il a le rôle principal). Son tout premier long-métrage (Je suis un autarcique), qu’il a terminé à 23 ans, en Super 8, retraçait déjà la vie d’un metteur en scène essayant de monter une pièce avec une troupe peu motivée.
VERS UN AVENIR RADIEUX raconte l’histoire de Giovanni, réalisateur qui fait un film sur l’année 1956, la révolution hongroise contre la dictature soviétique, et notamment sur l’arrivée d’un cirque hongrois dans une ville italienne, sur invitation du Parti communiste, en signe d’amitié fraternelle entre les deux peuples. On regarde donc deux films en l’un, qui commencent et se terminent en même temps : celui en création, et surtout celui sur Giovanni, bourré de toc, superstitions, et d’idées arrêtées sur à peu près tous les sujets. Ce pessimiste pénible qui vit avec un grand manque de spontanéité et un immense amour du cinéma qui l’envahit et le privent de beaucoup de choses, risque de perdre la femme avec laquelle il vit depuis quarante ans.
C’est donc un film très personnel, dans lequel Nanni Moretti aborde beaucoup de thèmes universels : l’amour, les relations, le lâcher prise, le courage, surtout des femmes. Court, agréable et léger, il offre de très belles scènes sur fond musical, comme cette image si douce du réalisateur jouant avec un ballon de football au milieu des décors du cirque, en fin de journée, pendant que tout le monde s’en va. Ou encore cette scène émouvante où tous les acteurs chantent de tout leur cœur, face à la caméra, brisant quasiment le quatrième mur. Et la chanson « Voglio Vederti Danzare », de Franco Battiato, qui résonne, nous émeut et nous invite à danser. Un jeu s’installe avec le spectateur, submergé par la richesse des musiques, décors et costumes. C’est un véritable hommage aux métiers d’une équipe de tournage, qui ont l’amour du détail, par exemple lorsqu’un accessoiriste apporte des répliques exactes d’étiquettes d’eau pétillante de 1956, en Italie.
Le travail de Nanni Moretti est personnel, mais aussi politisé. Il aborde souvent les conséquences de mai 68 en Italie. Son premier film date de 1976, le réalisateur italien est donc à l’origine d’une véritable chronique sur l’Italie de ces quarante dernières années. Il fait partie de ces réalisateurs dont l’œuvre est devenue un témoignage à la fois personnel mais aussi de son milieu et de son époque. D’ailleurs, il a glissé un petit pic aux plus jeunes qui ne connaissent pas le passé politique italien et notamment celui du Parti Communiste, avec un échange très drôle entre deux générations et cette phrase naïve (mais consternante) d’un jeune homme dans l’équipe de tournage : « excusez-moi, en Italie aussi il y a eu des communistes ? Je pensais qu’ici, c’était une expression ».
Vous l’aurez compris, pour apprécier VERS UN AVENIR RADIEUX, il faut aimer les films où l’on discute de films. Vous allez assister à 1h30 de discussions sur des références, des scènes décortiquées, et des questions de codes, de langages dans le cinéma, comme par exemple des débats sur la place de la violence, de la musique ou encore de l’improvisation. Plus qu’une déclaration d’amour au cinéma, c’est une déclaration d’amour au cinéma qui parle de cinéma.
Agathe ROSA