En guise de second long-métrage, Yann Demange propose avec UNDERCOVER – UNE HISTOIRE VRAIE une modeste addition au film de gangster, sincère, mais trop sage.
Défiez le titre français – entre téléfilm avec Miley Cyrus et épisode de Faites entrer l’accusé -, il n’est pas question ici d’une énième reconstitution d’un fait divers digne d’être diffusée à 13h30 sur NRJ12. Le titre vraiment adéquat est celui de la version originale, « White Boy Rick », désignateur rigide bien plus éloquent. Le récit tourne effectivement autour de ce petit gars blanc qui détone à Détroit, à 14 ans déjà dealer pour un important cartel noir et informateur pour le FBI. Le seul à porter un costume bleu au mariage, redoutables cheveux frisouillés.
Le réalisateur choisit ce destin hors-du-commun pour ajouter sa pierre à l’édifice du cinéma de criminels, très clair dans ses intentions de captiver par le délit. Difficile d’ailleurs de ne pas songer dans les toutes premières secondes au fameux plan-séquence des Affranchis de Scorsese, deux personnages faisant entrer le spectateur dans leur univers armé en l’entraînant de pièce en pièce. Alors, brigand, je vins !Le pari est osé de s’engager sur cette voie tracée par de grands maîtres, mais le résultat est d’une réelle cohérence et son Little Caesar intrigue jusqu’au bout. Que les aficionados des hors-la-loi se rassurent, toutes les étapes sont respectées, de l’infiltration dans le réseau jusqu’au déclin, en passant par l’ambiance casino, les coucheries et les voitures clippesques – stéréotypes bien étudiés. Sur la base de ces normes, de réels efforts sont fournis afin d’apporter une lumière plus contemporaine, de faire du white boy un avatar de toute cette jeunesse avide d’un lifestyle plus gangsta-luxueux ; tout en proposant de beaux moments relationnels, avec le père surtout – Matthew McConaughey qui souffre toujours de ses aventures sur les rives du Mississippi et à Dallas.
Vite enivré par le bling-bling et depuis sa naissance aux soins d’un père revendeur de pacotille, le héros prend peu à peu sa place dans ce monde vicié qui n’est pas essentiellement le sien, de bonnes relations en légers tracas. Il est membre d’une famille crackée au sein d’une ville en hypotension, qui semble tout aussi morte que Céline la décrivait déjà en 1932. Les couleurs de certains intérieurs ne font que souligner davantage la vacuité de l’extérieur, filmé en plans larges qui accentuent la misère décrépie.
L’éloge paradoxal des ravages de l’industrie est un portrait intéressant, justifiant en filigrane l’envie de rompre la monotonie. Au fur et à mesure que les événements s’y succèdent le frisson se fait plus insistant, ce garçon terriblement lambda et pourtant si marginal suffit à maintenir la curiosité en éveil, tranquilles palpitations. Jusqu’où Monsieur-tout-le-monde pourra-t-il se hisser ?Cependant, malgré le plaisir ressenti au visionnage, l’exercice s’avère beaucoup trop farouche. Certes, sa voix lui est propre et l’investissement est réel. Mais le problème majeur est simple, l’attrait principal de l’œuvre n’est pas cinématographique sinon vaguement scénaristique. Tout repose sur cette incroyable trajectoire d’un adolescent, mais celle-ci ne doit rien au Septième Art, et la forme rechigne à embrasser l’incongruité de son sujet. Toute l’originalité de cet endroit où la population noire possède le pouvoir, où les agents fédéraux usent de manipulation, n’est en fin de compte que sous-exploitée. L’extravagance et l’ampleur sont ténues.
Là où Spielberg fait par exemple de Catch Me If You Can un périple ludique et dynamique, Demange reste en-dehors et filme sans danger, il dit mais ne raconte pas. Tout est visuellement agréable, mais la mise en scène trop soignée ne correspond pas aux thèmes traités. Tout le monde connaît l’histoire de Rick. Il est déjà apparu mille fois au cinéma sous autant de formes différentes.
Mais ici, il ne se réinvente pas, il se contente de sonner plus récent. Son personnage est d’ailleurs parfois desservi par l’acteur, Richie Merritt. Bien que globalement convaincant pour un premier grand rôle, il semble par moments se rêver Joe Pesci (sans parvenir à l’effleurer), à sur-jouer des mimiques ambitieuses. N’est pas teigne qui veut…En soi, cette tentative de réactualiser le genre est une déclaration passionnée à celui-ci, ce qui constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Cet amour des malfrats est trop déférant pour oser les bouleverser, en résulte donc un autre biopic qui cède à la linéarité.
Mais malgré tout l’ensemble se résume à un bon moment et à un hommage honnête, de bonne facture finalement, grâce à un metteur en scène talentueux et un casting heureux de flirter avec le crime iconique. Le divertissement fonctionne bien, il est facile de l’apprécier et de s’imaginer plus téméraire pendant deux heures. Et puis, au fond, qui n’a pas toujours rêvé d’être un gangster ?
Manon
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• Réalisation : Yann Demange
• Scénario : Logan Miller, Noah Miller
• Acteurs principaux : Matthew McConaughey, Ritchie Merritt, Jennifer Jason Leigh, Eddie Marsan, Bel Powley
• Date de sortie : 2 janvier 2019
• Durée : 1h56min