CHEZ NOUS

[CRITIQUE] CHEZ NOUS

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Lucas Belvaux observe avec CHEZ NOUS le fonctionnement d’un parti qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Front National, et interroge sur les motivations de son électorat

La sortie de CHEZ NOUS quelques mois avant les élections présidentielles et législatives alimente certaines polémiques de la part des élus nationalistes. Pourtant, le réalisateur Lucas Belvaux, qui se veut plus engagé que militant, revendique la possibilité d’offrir un espace de débat grâce à CHEZ NOUS. Se saisissant avec fougue de son sujet, il se donne pour mission d’ouvrir les yeux au spectateur citoyen, comme aux futurs élus nationalistes, sur la façon dont procède le Front National pour gagner des voix. Ici, le parti se nomme le Rassemblement National Populaire – référence supposée au parti d’extrême droite collaborationniste du même nom, qui exista en France durant la Seconde Guerre Mondiale. Et bien que l’intrigue se déroule dans la ville fictive d’Hénart, on peut y voir une ressemblance avec Hénin-Beaumont, tandis qu’il n’y a pas de doute quant à l’inspiration du personnage d’Agnès Dorgelle, la chef du RNP, interprétée par Catherine Jacob.

Le réalisateur décide de suivre le parcours de Pauline, infirmière libérale, choisie pour être tête de liste du Rassemblement National Populaire aux élections municipales. Emilie Dequenne interprète brillamment cette jeune femme courageuse, battante. Attentive à ses patients, elle élève seule ses enfants et s’occupe de son père malade. Elle appartient à cette catégorie de petites gens qui se lèvent tôt le matin sans jamais se plaindre, travaillent d’arrache-pied dans cette zone de la France profonde qui connaît fermetures de magasins et chômage.
Photo du film CHEZ NOUS

Le réalisateur provoque chez le spectateur l’empathie immédiate pour Pauline, car Emilie Dequennes’est donnée corps et âme à ce personnage d’une telle densité, sans distanciation ni jugement« , comme elle le dit lors de notre interview téléphonique. Presque trop parfaite, Pauline a pourtant un défaut : son nouveau compagnon Stéphane (Guillaume Gouix), un ancien ultranationaliste du Bloc Patriotique – le nom d’origine du parti d’extrême droite, avant qu’il ne devienne le RNP – encore très actif. C’est ici que le scénario de CHEZ NOUS s’égare un peu, avec une ficelle un peu trop grosse. Comment croire à cette double rencontre concomitante entre Stéphane et le pire du parti, et Agnès et son nouveau parti qui se fait une virginité ? On comprend bien l’intérêt narratif et démonstratif de montrer les liens historiques entre le RNP, qui « ne change pas d’objectif, même s’il change de stratégie« , et le Bloc. Mais le réalisateur a sacrément chargé la barque et c’est presque un affront fait à l’empathie du spectateur que de lui demander de croire que Pauline puisse mettre aussi longtemps à y voir clair.
L’intérêt de CHEZ NOUS réside alors surtout dans l’émancipation de Pauline, femme sous influence qui va apprendre à penser par elle-même. Elle n’a pas réellement de conscience politique, n’a pas vraiment le temps d’y réfléchir et fait confiance à son entourage. Il y a d’abord l’influence de son père communiste qu’elle vénère et qui la traite plutôt mal (Pascal Descamps). Ensuite celle du bon vieux médecin de famille, Berthier, ex-député européen du Bloc, qui l’a repérée (fascinant André Dussolier) et la tutoie de façon infantilisant quand elle s’obstine à le vouvoyer respectueusement.

[bctt tweet= »« On ressort de CHEZ NOUS sonné comme un boxeur qui a pris trop de coups » » username= »LeBlogDuCinema »]

Il y a aussi l’influence de Nathalie, une de ses meilleures amies professeure, qui affiche sans vergogne et avec une rare violence ses convictions racistes. Anne Marivin excelle dans ce rôle de femme intelligente. Une femme qui s’est “laissée déborder par une frustration intime dans son couple”, expliquait l’actrice en interview. C’est pourquoi elle ne la juge pas, mais ne parvient pas pour autant à l’aimer. Pour donner chair au personnage, elle s’est d’ailleurs nourrit du réel en visionnant des entretiens avec des anciens cadres démissionnaires du Front National. Et enfin, il y a l’influence glaçante d’Agnès et de ses conseillers, dont son éminence grise énarque (Michel Ferracci). L’influence de la néophyte se fait par la parole et Lucas Belvaux rappelle grâce à CHEZ NOUS que la rhétorique est un art au fort pouvoir de conviction, dangereux si de mauvais esprits s’en saisissent. Il ne nous épargne rien des éléments de langage employés par les partis d’extrêmes-droite, qui amènent ostensiblement à la haine et la violence. Agnès Dorgelle harangue les foules avec un discours bien rodé populiste qui « gagne peu à peu les cœurs et les esprits ». Elle mitraille de mots et d’idées les meeting de ses militants en transe, réveille leurs valeurs patriotiques et joue sur leurs peurs. Catherine Jacob réussit le véritable tour de force d’incarner sa source d’inspiration sans jamais l’imiter ni la parodier.

Pour aborder un tel sujet, tous les acteurs se sont beaucoup impliqués dans le film, y voyant même un acte citoyen. Ainsi Anne Marivin, pour qui “participer à ce genre d’œuvres fait partie de son rôle d’actrice citoyenne”. Emilie Dequenne, qui dit “avoir toujours une responsabilité quand elle accepte un rôle”, s’est engagée dans son personnage encore plus fortement que d’habitude, car  “Lucas Belvaux a titillé sa conviction de citoyenne et de femme”.

Photo du film CHEZ NOUS

L’utilisation des nouvelles technologies et l’emploi stratégique d’une sémantique plus démocratiquement acceptable appellent peu de contestation de la part de Pauline et toujours une réponse plausible satisfaisante dans son esprit. Avec un sens de l’observation détaillé qui vire parfois au cliché, le réalisateur habille le contexte en incrustant en fond sonore la télévision ou la radio toujours allumées, desquelles s’échappent les mots « laïcité », « Daesh », « communautarisme » et même « invasion de nouvelles espèces » ! En tous cas, ce ne sont pas les idées des autres partis politiques qui ouvrent les yeux de Pauline, car dans CHEZ NOUS, aucun ne vient se confronter au RNP, et les arguments et chantages opposés par le père communiste de Pauline sont plus de l’ordre affectif.

On ressort de CHEZ NOUS sonné comme un boxeur qui a pris trop de coups. On met du temps à digérer le presque trop plein d’informations de la mécanique insidieuse. Malgré quelques défauts, CHEZ NOUS est sans nul doute un film politique nécessaire, dans la mesure où il plonge le spectateur au cœur d’un système manipulatoire bien rodé, et lui permet d’en détricoter les rouages et d’en comprendre les enjeux. Il lui offre la possibilité de s’interroger et d’éveiller aussi en lui des émotions parfois contradictoires, dont l’effroi est la plus sollicitée. Mais si CHEZ NOUS dénonce, alerte, il ne propose pourtant pas de solutions. En se remémorant le premier plan de CHEZ NOUS qui s’ouvre sur la ville vide au petit matin et le dernier plan qui se referme sur elle à la nuit tombée, on ne peut hélas s’empêcher d’y voir un cycle éternel de recommencement sur lequel l’homme n’a désespérément pas prise.

 Sylvie-Noëlle

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Note des lecteurs24 Notes
Titre original : Chez Nous
Réalisation : Lucas Belvaux
Scénario : Lucas Belvaux, Jerôme Leroy
Acteurs principaux : Emilie Dequenne, André Dussolier, Catherine Jacob, Anne Marivin
Date de sortie : 22 février 2017
Durée : 1h58min
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aumigny
aumigny
Invité.e
26 février 2017 16 h 09 min

Ce qu’i nous montre c’est la sempiternelle manipulation du discours politique à laquelle, malheureusement, l’être humain est dupe (tant que nous ne serons pas « formés » à déceler cette intention malsaine). Le film montre ce qui dans les propos du FN touche les gens. La fin au stade de foot, entre la fameuse chanson des corons et le groupe qui fait un signe que je trouve très proche du signe nazi, j’y vois le peu d’échappée possible.

fatizo
fatizo
Invité.e
25 février 2017 23 h 39 min

Film très décevant de la part de Lucas Belvaux. ll nous avait habitué à beaucoup mieux.
Par instant il réussit même l’exploit de montrer le FN sous un jour positif, surement malgré lui.

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