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Le problématique MEKTOUB, MY LOVE : INTERMEZZO – Critique

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Mektoub, My Love : Intermezzo a été LE scandale lors du Festival de Cannes 2019. Une expérience de cinéma frénétique qui pose encore de sérieuses questions sur le cinéma de Kechiche.

Que l’exercice critique est parfois compliqué. Surtout lorsqu’on se retrouve confronté à un objet comme Mektoub, My Love : Intermezzo. Suite quasiment directe au premier volet, ce nouveau film fleuve signé Abdellatif Kechiche a été catapulté en Compétition Officielle du 72ème Festival de Cannes au dernier moment alors que sa post-production était inachevée. Lors de la projection, qui a eu lieu à la toute fin des festivités, le film n’était effectivement même pas totalement terminé. Sans générique, avec quelques plans pas encore passés par la case étalonnage. C’est à se demander si le Comité de sélection savait vraiment ce qui allait se jouer sous nos yeux.

Ce n’est d’ailleurs pas dit que les quelques festivaliers présents n’aient pas vu une version inédite, étant donné que le metteur en scène s’est excusé pour la durée de son film à l’issue de la projection. Annoncé comme s’étalant sur 4 heures, l’acte 2 de Mektoub, my love a été amputé ensuite d’une grosse demi-heure. Il faudrait être devin pour savoir ce que nous avons manqué mais le film, en l’état, est assez représentatif de ce que Kechiche a cherché à faire avec cet opus pensé comme un intermède, une transition. En attendant la conclusion, que l’on imagine plus narrative.mektoubLe Canto Uno était déjà une proposition assez radicale, centrée sur un groupe d’amis lors d’un été à Sète. Outre son naturalisme, l’impression de voir se dérouler des micro-évènements à l’écran et une longueur dont le bien-fondé reste à justifier, le film provoquait de sérieuses interrogations vis-à-vis du regard que Kechiche posait sur sa troupe de personnages, et en particulier sur les femmes. Intermezzo ne réglera pas cette épineuse facette de son travail mais prolongera d’interpeller.

Retour à Sète. Tony et Aimé abordent une jeune femme sur la plage. Seule, issue de la banlieue parisienne, blonde, ornée de deux yeux bleus a vous transpercer l’âme, elle est invitée à se joindre à la bande venue passer du bon temps au bord de l’eau. Intermezzo rejoue le début de Canto Uno. Si l’été est désormais plus qu’entamé, les distractions restent identiques. Kechiche débute son film en reprenant totalement le ton du premier. Les personnages discutent. Longuement. Sans finalement dire grand chose – si ce n’est ce que Ophélie révèle à Tony.

Le metteur en scène a-t-il pensé ce second morceau comme un prolongement logique du premier ? Oui et non. Les personnages et le cadre sont toujours là, ainsi que cette façon de filmer sur le vif, à la hauteur de ses acteurs. Les fervents opposants au Canto Uno feront rapidement quelques crises d’hystérie devant les plans répétés sur les fesses des filles sortant de l’eau. Kechiche semble donner le bâton pour se faire battre, insistant avec une lourdeur presque crasseuse sur cette partie du corps. Les mêmes problématiques reviennent. Que cherche à faire l’auteur de La Vie d’Adèle en orientant sa mise en scène de cette manière ? Qui plus est, en l’absence d’un autre point de vue que le sien dans cette séquence.

La question du point de vue est justement importante au cinéma. Primordiale, dirons-nous. Qui voit quoi ? Comment ? Pour quelles raisons ? Les problèmes que soulèvent le film proviennent justement de cette façon dont Kechiche représentent les femmes sans passer par le regard d’autrui. Sans, à minima, se cacher. Les plans en dessous de la ceinture sont moins ceux d’un personnage en particulier que du cinéaste. Là est, pour nous, toute la gêne provoquée par le film.mektoubEn plus de 3h, il y avait pourtant à faire, même dans le cadre confiné d’une boîte de nuit. Kechiche est un formidable filmeur dans ces électriques moments vivants. Les sous-intrigues disséminées à droite et à gauche trouvent une jolie résonance avec l’exaltation débridées des corps. Bouger pour oublier, pour séduire, pour se sentir vivant. Toujours plus loin, Kechiche pousse son dispositif à son paroxysme, enchaînant à un rythme éreintant les danses. Les actrices, dans leurs retranchements, ne vacillent pas. La caméra, non plus. Ce geste de cinéma serait parfait s’il était enrobé d’une pureté inattaquable. Chose impossible avec ce cinéaste. Dès lors, la grande prestation pensée comme imposante ne provoque guère plus que de l’ennui, le regard obsédé de Kechiche étant d’une monotonie attristante.

Même en se positionnant du côté des femmes, Kechiche s’enlise dans sa position pro-masculine. Une scène symptomatique dans le film témoigne des barrières érigées par son cinéma. Trop auto-centré sur sa vision d’homme, Kechiche se refuse à regarder ses personnages masculins. Quand Camélia et sa nièce évoquent leur attirance pour les fesses, l’homme reste banni du champ. Le metteur en scène ne passe jamais par leur regard, ne serait-ce que pour illustrer par un raccord, le sujet de leur discussion. L’homme est là mais pas trop. Sujet de fantasmes, certes, mais pas assez attirant pour que l’on pointe la caméra dessus. Pourtant ces garçons, Tony, Aimé, Amin, sont de belles gueules.

Plus complexe, une autre scène est d’une profonde ambiguïté sur la place des deux sexes dans Mektoub, My Love : Intermezzo. Une sulfureuse scène (non simulée) de cunnilingus dans les toilettes de la boîte feint de donner le contrôle à Ophélie. La jouissance va uniquement dans son sens (!) mais son partenaire ne sera jamais sexualisé, prisonnier de son entre-jambes. C’est à peine si sa ceinture est détachée. Scène plutôt surprenante, rompant d’une part avec l’objetisation des femmes de Mektoub, My Love et, d’une autre part, n’allant pas trop loin sur un terrain qui effraie Kechiche. À croire qu’il ne sait que faire de ces hommes. On serait presque tenté de lui donner raison, tant ses actrices sont d’un dévouement et d’une intensité démente (Ophélie Bau dévore l’écran). Mais que leur talent soit au service d’un film aussi malhonnête à leur égard génère un embarras palpable.

Critique publiée le 24 mai 2019 lors du 72ème Festival de Cannes.

Maxime Bedini

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Titre original : Mektoub, My Love : Intermezzo
Réalisation : Abdellatif Kechiche
Scénario : Abdellatif Kechiche
Acteurs principaux : Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche
Date de sortie Prochainement
Durée : 3h32min
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