Premier numéro de notre nouvelle rubrique ON REFAIT LA SCÈNE ! Dans cette rubrique, les rédacteurs vont se relayer pour vous faire partager une scène qui les a marqué, au travers d’une analyse.
Il y a tant de choses qui peuvent faire qu’on retient une scène : la mise en scène, la place de la scène dans le contexte du film ou dans le contexte d’une filmographie entière. Mais pas que, on peut y retenir une émotion, une performance, parfois un seul plan. Les possibilités sont infinies et la ligne directrice de cette rubrique sera l’éclectisme. Car une scène peut être commune mais aussi intime. Attendez vous donc à voir se côtoyer, au fil des semaines, des films de toutes les nationalités, toutes les périodes, tous les genres. Parce que le cinéma, c’est de grands films mais aussi de grandes scènes.
Pour entamer, on avait envie de se faire grave plaisir et notre choix s’est tourné vers DRIVE, le film de Nicolas Winding Refn, récompensé à Cannes par un Prix de la mise en scène amplement mérité. Bien sûr, DRIVE c’est Ryan Gosling, c’est les néons, c’est une bande-son irrésistible mais c’est surtout une vraie démonstration de mise en scène. Pour le prouver, nous allons regarder de plus près la fameuse scène de l’ascenseur.
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Recontextualisons rapidement la scène avant d’en parler. Le Driver a aidé le mari d’Irène à rembourser sa dette mais l’affaire a mal tourné. Avant de monter dans l’ascenseur, il lui explique ce qu’il vient de se passer. La conversation est hélas interrompue par l’arrivée de l’ascenseur. Un homme est déjà dedans, il prétend s’être trompé d’étage. Les deux protagonistes rentrent à l’intérieur de la cabine et la porte se ferme.
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En trois plans, Refn pose tout le suspense de la scène en situant la menace et l’enjeu. Il garde Irène au milieu du plan, en amorce, dans les deux premiers plans pour bien signifier qu’ils sont tous les deux présents pour elle. Le simple regard de l’autre homme pourrait suffire pour déjà faire naître un début d’inquiétude. Sauf qu’un pistolet entre en jeu, via un raccord sur le regard du Driver. On pourrait s’attendre à un début de scène d’action ou que Refn continue d’alimenter la tension. Sauf que non, il passe à un plan d’ensemble de la cabine d’ascenseur. Et c’est à ce moment que la scène va nous prendre à contrepied. Au lieu d’enchaîner sur un combat entre les deux hommes, nous passons à une pure scène romantique. Le Driver se retourne pour embrasser Irène. Refn coupe très vite pour passer à un plan plus rapproché, isolant ainsi les deux personnages, comme si la menace que l’on venait de découvrir n’existait déjà plus. Le baiser dure longtemps grâce à un ralenti.
C’est là, que le choix stylistique de Refn tombe juste et n’apparaît pas comme une simple figure de style placée pour frimer. Le temps se dilate, rallonge un baiser tant attendu, l’instant devient irréel grâce à la musique qui enrobe le tout. L’émotion ne peut qu’apparaître que parce que ce plan est au ralenti. Pendant une minute, le spectateur aussi est isolé, oubliant le contexte du film, oubliant que l’histoire ne va pas forcément bien finir. Cette petite parenthèse émotionnelle est vite brisée par le retour à la réalité. Il y a une menace à un mètre d’eux et il faut agir. S’en suit un déchainement de violence. Pour marquer la désillusion de la jeune femme, Refn insiste sur son point de vue dans le montage. Elle devient spectatrice de la destruction d’une love-story qui n’aura été concrète que le temps d’un baiser.
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Ce héros mutique devient dans cette scène enfin humain par un magnifique champ-contrechamp où il est conscient qu’en ayant sauvé Irène d’une agression, il vient par la même occasion de dévoiler sa réelle nature. Et de la perdre. On se souvient que plus tôt, la bande-son aspirait à nous présenter cet homme comme « a real human being and a real hero ». Le voilà, enfin, ce vrai être humain. Toute une tension érotique et émotive qui était bridée depuis leur rencontre éclate enfin. En moins de 3 minutes c’est deux extrêmes qui se confrontent (l’amour et sa destruction), comme un condensé d’une histoire romantique passionnelle vouée à mal se terminer. Nicolas Winding Refn met en image cette scène sous forme de parenthèses en débutant et concluant la scène par une fermeture de la porte d’ascenseur. Comme si ce qu’il venait de se passer était possible dans un espace cloisonné monochrome, coupé du monde extérieur. Cette même-porte close fait écho à celle de l’appartement du Driver à la fin du film, celle devant laquelle Irène sera démuni. Sitôt l’ascenseur se referme, le Driver reperd son statut d’humain. Il est cadré de dos, de manière à lui couper la tête, comme pour le destituer d’attributs corporels. C’est uniquement une masse pouvant respirer, affichant un scorpion doré. C’est par l’utilisation d’un symbole que Refn le décrit. On ne voit pas l’homme et pourtant il n’a jamais semblé aussi menaçant de tout le film, au point d’en résulter un plan iconique marquant.
DRIVE est devenu très vite un objet culte et cette scène n’y est pas pour rien. Elle est à l’image d’un film maîtrisé brillamment. La décharge émotionnelle est si intense, si bien dosée dans tous ses composants (mise en scène, effets formels, musique) qu’elle ne peut qu’atteindre sa cible – notre cœur. Le film est guidé par ses impératifs de série B mais arrive par instant à nous glisser avec élégance et justesse les contours d’une love story bouleversante dont le climax intervient entre quatre murs d’une cabine d’ascenseur. Un chevalier blanc passa par là et laissa une place indélébile autant dans le cœur d’Irène que dans notre mémoire de cinéphile.
Maxime Bedini