NOSTALGHIA

ON REFAIT LA SCÈNE n°9 : la scène de la bougie dans NOSTALGHIA

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Affiche du film NOSTALGHIADes cinéastes emblématiques du cinéma, Andreï Tarkovski est probablement l’un des plus hermétiques. Et pour cause : là où un Kubrick ou un Bergman peut s’apprécier individuellement, il convient davantage de découvrir Tarkovski dans un ordre chronologique ; de L’Enfance d’Ivan à Le Sacrifice, de la Genèse à l’Apocalypse. C’est d’autant plus vrai que là où certaines de ses réalisations sont plus accessibles que d’autres, il
en est deux qu’il est probablement difficile d’apprécier à leur juste valeur sans avoir vu leurs prédécesseurs – les deux dernières. La conclusion en deux parties d’un metteur en scène en exil, réunissant toutes ses thématiques lors d’un concert liturgique touchant à la fois à l’humanité, à l’existence et à la fatalité : NOSTALGHIA, tourné en Italie et sorti en 1983, et Le Sacrifice, tourné en Suède et sorti en 1986.

De l’énorme essai philosophique que constitue NOSTALGHIA, on retient souvent une scène – l’une des dernières, la fameuse « séquence de la bougie », probablement les dix minutes les plus inoubliables de l’œuvre tarkovskienne, qui ont fait débattre des générations de cinéphiles sur les ramifications philosophiques de ce qui ressemble au résumé idéologique de l’ensemble de ses questionnements. Cette scène, elle n’est pas seulement un chapitre de la filmographie du soviétique, elle en est le dernier acte. Une conclusion, une ouverture – cette scène, elle est Tarkovski.

[divider]NOSTALGHIA: LA SCÈNE DE LA BOUGIE[/divider]

Pourtant, si on la soustrait de son contexte, difficile d’y voir quelconque génie technique – plan séquence en travelling latéral d’une grande simplicité, on y suit le personnage principal dont la mission est de transporter une bougie d’un bout à l’autre d’une piscine vidée de son eau. À mesure de sa procession, le vent viendra plusieurs fois éteindre la flamme chancelante de l’objet de son attention, l’obligeant à revenir au point de départ pour l’allumer à nouveau.

Pour comprendre la scène de la bougie, il faut s’intéresser aux sous-textes récurrents de l’auteur. L’art et le dessein dans Andreï Roublev, la religion dans Stalker, la science dans Solaris – entre autres. Tarkovski est un cinéaste infiniment pieux, dont la vision de l’entité divine est finalement très simple : tout n’a pas à être expliqué, le rationalisme ne peut pas tout justifier – un peu comme l’océan jaune de Solaris ou la zone de Stalker, il y a une part de mystère en ce monde et, pour Tarkovski, il est orgueilleux de la part de l’homme de penser pouvoir les comprendre. De cette morale chrétienne, NOSTALGHIA en est le prolongement. Un thème que l’on découvrait déjà dans Le Miroir et Andreï Roublev, et qui se répétera une ultime fois dans Le Sacrifice, était l’idée du lien étroit entre le destin individuel et le destin collectif. Chaque être humain a une mission sacrée qu’il lui convient d’accomplir – celle de Tarkovski est de réaliser des films – l’addition de ces actions intimes ne pourra que rendre le monde meilleur.

[bctt tweet= »« Plus qu’une simple scène, cette séquence de la bougie dans Nostalghia, c’est TOUT Tarkovski » » username= »LeBlogDuCinema »]

Ces actions, elles sont différentes pour chacun. Dans NOSTALGHIA, il s’agit d’une bougie – ou plutôt de sa flamme. Pour la conserver vivace, la route sera semée d’embûches, et il sera parfois nécessaire de tout recommencer, et non pas d’abandonner. Cette bougie c’est le MacGuffin tarkovskien, la quête ultime de chaque être vivant, la brique faisant partie d’un mur gigantesque. Cet exilé qui traverse une piscine, c’est au final la profession de foi de Tarkovski : la vie aura beau avoir dressé des obstacles sur son chemin (on pense à son expulsion d’URSS ou à son piètre état lors du tournage de Le Sacrifice), il n’aura jamais abandonné, continuant – tel un Roublev – à peindre ses fresques-mouvement qui auront décidemment transformé la face du cinéma. Il est donc à chacun de savoir trouver cette bougie, ce dessein moteur d’existence, boussole dans l’inconnu, symbole de l’anti-nihilisme le plus total.

Dans un certain sens, c’est à partir de ce moment-là que l’on dépasse la simple morale chrétienne : finalement, ce que veut dire le cinéaste soviétique, c’est que le forgeron devra forger, l’écrivain devrait écrire, et le réalisateur devra réaliser. Reste à savoir dans quelle catégorie il faut se classer.

Photo du film NOSTALGHIA
La métaphore de la flamme.

KamaradeFifien

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