Cinéaste rare, Terrence Malick est devenu une des figures les plus emblématiques du cinéma contemporain, tout en étant un homme aux multiples facettes. Mystérieux, il le restera sans doute définitivement jusqu’à la fin de sa vie, et ce, en dépit des nombreux éléments autobiographiques parsemant l’ensemble de son oeuvre et d’une deuxième partie de carrière placée sous le signe de l’urgence créatrice. Il n’y a qu’à constater le rythme auquel sont sortis ses derniers longs métrages, en contradiction totale avec celui bien connu de la première partie.
C’est principalement ce qui va se passer entre ces deux parties de carrière bien distinctes qui a largement contribué à façonner la légende entourant Terrence Malick, très certainement malgré lui. Après ses deux premiers films, La balade sauvage en 1973 et Les moissons du ciel en 1978, l’homme s’adonne à une éclipse de 20 ans. Une traversée du désert au cours de laquelle il restera toutefois assez productif, créant et écrivant, tout en continuant d’enseigner la philosophie. À noter que le traitement naturaliste de la lumière du fameux chef opérateur Nestor Almendros réalisé pour Les moissons du ciel, annonce déjà un élément esthétique clé, amené à évoluer par la suite de son œuvre, tout en demeurant encore aujourd’hui un exemple phare traité en école de cinéma.
1998, il rompt le silence
Passées ces deux décennies sans filmer, il revient en 1998 avec La ligne rouge. Un retour important, qui par delà la réussite critique et publique qu’engendrera le film, marque une évolution importante dans le style du cinéaste. Appartenant encore à un genre, le film de guerre, La ligne rouge est, avec le recul, une passerelle essentielle entre les deux parties de carrière du réalisateur. Il mélange un certain cinéma traditionnel, vu lors de ses deux premiers films, et se voit déjà injecter un traitement esthétique qu’il poussera plus tard à son paroxysme. Ainsi apparaissent les voix intérieures au détriment des dialogues, de moins en moins nombreux, tout comme le concept de thème visuel. On pense inconsciemment à l’innocence et la primitivité lorsqu’est filmée une luxuriante forêt exotique, traversée de rayons lumineux d’un soleil au zénith, ou quelques jeunes indigènes dans leur habitat, le tout souligné par la spiritualité du requiem de Fauré.
Un autre aspect s’éloignant radicalement du processus créatif traditionnel du film de guerre, s’avère le montage. C’est à partir d’ici où, en surcoupant et en ôtant parfois lors de certaines séquences, toute continuité chronologique, que le cinéaste introduit un caractère expérimental. Il monte les éléments visuels et sonores en série, une pratique justement héritée du cinéma expérimental. Les thèmes traités sont donc simples et majeurs mais c’est la forme qui tend à les rendre complexes. C’est aussi à cet instant où il commence à ébranler sérieusement le rapport entre les temps creux, les temps morts et les temps forts au cinéma, surtout utilisés dans le cadre de schémas narratifs plus classiques, auxquels nous spectateurs, sommes plus souvent habitués, pour aller vers cette association d’images et de sons, se désintéressant progressivement du scénario.
« Un cinéma d’une immense finesse technique, multipliant les idées visuelles et sonores, d’où naissent poésie, mysticisme et philosophie. »
Terrence Malick, d’ailleurs fasciné par le philosophe Ralph Waldo Emerson et plus particulièrement sa thèse de l’homme et son rapport au monde, nous gratifie d’une nouvelle façon de filmer, avec notamment ces plans qui deviendront par la suite des clichés de son cinéma : la contre-plongée sur les feuillages et ce mouvement panoramique ascensionnel vers la cime des arbres pour faire lever les yeux au spectateur.
Nouvelle remarque et non des moindres, le casting du film est aujourd’hui encore très impressionnant. Après avoir réuni Martin Sheen et Sissy Spacek puis mis face à face Richard Gere et Sam Shepard, il convoque plus d’une dizaine de stars hollywoodiennes, parmi les plus charismatiques et imposantes têtes d’affiches de notre époque, se partageant souvent seconds rôles ou futiles apparitions, victimes du montage radical du cinéaste.
7 ans après, il achève Le nouveau monde, autre exploration d’un moment d’histoire de la société américaine après La ligne rouge, film marqué par la rencontre avec le chef opérateur mexicain Emmanuel Lubezki.
Emmanuel Lubezki, une rencontre déterminante
En collaborant pour la première fois avec le mexicain sur Le nouveau Monde, la manière de filmer de Malick change, en terme de couleurs et de lumières. Il crée de la poésie en captant l’ordinaire d’une manière extraordinaire. Lorsqu’un élément, un objet, un animal ou un arbre est filmé, ce n’est pas forcément pour donner un sens via une quelconque métaphore mais plutôt nous faire ressentir physiquement les mouvements d’objets ou de personnages grâce au mouvement perpétuel de la steadicam. Ainsi, dans Tree of Life, quelque chose de très intime devient puissant et sidérant, dans un déferlement sensoriel et sonore, alors qu’il joue sur l’épure dans À la merveille, montrant la formation puis la déconstruction d’un couple en procédant par temps morts, retirant tout ce qu’une narration classique nous aurait montré.
Jusqu’au récent Knight of Cups, Malick ne se sépare plus de Lubezki, et cette association grave définitivement le « style Malick« . Cette toute nouvelle façon de filmer, de raconter un film, ce nouveau genre presque, commence à être recycler. Sa filmographie s’impose désormais non pas comme un cinéma d’action physique (à l’exception de quelques séquences de La ligne rouge), mais malgré tout spectaculaire, de par son immense finesse technique, réclamant un budget sans cesse conséquent. Tout vise à monumentaliser ce qui sera filmé, que cela soit en terme de focales, de multiplication des contre plongées et l’utilisation de la musique classique sacrée. Le travail de Lubezki exacerbe un peu plus encore tout cela et invite constamment le spectateur à la sidération visuelle : il doit se sentir immergé et dépassé par la nature grandiose qui l’entoure et qu’il néglige.
La musique dans ses films
Cela n’aura échappé à personne, Terrence Malick soigne tout particulièrement l’aspect musical de ses films. Il entretient également une relation particulière avec ses compositeurs, lorsqu’il décide de collaborer avec des grands noms tels Ennio Morricone, Hans Zimmer ou Alexandre Desplat, n’hésitant pas à supprimer purement et simplement certaines compositions ou à les remplacer par des morceaux pré-existants. Un traitement semblable à celui qu’il inflige à ses acteurs lors du montage, né de sa manière chaotique et désordonnée de travailler. Lors du processus de postproduction, le cinéaste apporte différents morceaux de musique et les testent sur telle ou telle séquence. Il arrête ensuite son choix sur ce qui lui a paru le plus cohérent. Ainsi naîtront le sublime prologue du Nouveau Monde sur L’or du Rhin de Richard Wagner et les différents moments de Tree of Life donnant à admirer une nature ou des vitraux sublimés par le Cantique Funèbre de John Tavener. Lors de ce même film, les instants de grâce familiaux entre Jessica Chastain et ses fils sonnent comme une évidence dès lors qu’ils sont associés aux notes de La Rivière Moldave du compositeur tchèque Smetana.
Une œuvre parsemée d’éléments autobiographiques
Difficile ici d’assurer avec certitude une telle remarque. Néanmoins, on peut penser légitimement que le rapport à la nature qu’il entretient dans tous ses films vient très probablement d’une enfance et d’une culture ancrées dans un environnement agricole, propice aux grands espaces et au travail champêtre. On se plaît donc à croire que Les moissons du ciel serait son film témoignant le plus explicitement d’une telle période de sa vie, de son enfance. Récemment, ses derniers films sont habités par une présence féminine au sein du couple qu’il met en scène toujours de la même manière : elle est pleine de vie, ce qui fascine ou agace. Elle est emplie d’une énergie qu’elle doit libérer, que cela soit en courant pieds nus sur une plage, dansant devant son homme dans un champ ou seule dans sa cuisine. Il s’agit de sa vision de la femme, un traitement très pur qui nous amène naturellement à nous questionner quant aux rapports amoureux du cinéaste et des femmes croisées dans sa vie personnelle. L’homme, représenté par Colin Farell, Ben Affleck ou encore récemment Christian Bale, gravite souvent autour de cette figure féminine, témoin tantôt admiratif, amoureux ou blasé. Cet homme pourrait être Terrence Malick lui-même.
Le cinéma de Terrence Malick est à la fois dense et simple. Ses films se parlent, résonnent, font échos. Et plus encore aujourd’hui, ils se ressemblent de plus en plus, des idées visuelles reviennent sans cesse, au risque de lasser. Lorsque débute la deuxième partie de sa carrière, l’homme divise et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Escroc selon les détracteurs, magicien selon les admirateurs, reconnaissons-lui néanmoins son travail atypique et toujours aussi unique dans notre paysage cinématographique actuel.
[divider]LA THÉMATIQUE TERRENCE MALICK[/divider]
[toggler title= »RÉTROSPECTIVE » ]
– La Balade sauvage (1973) – par Paul
– Les Moissons du ciel (1978) – par Paul
– La Ligne rouge (1998) – par Paul
– Le Nouveau monde (2005) – par Paul
– The Tree of Life (2011) – par Paul
– A la merveille (2012) – par Paul
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[toggler title= »TERRENCE MALICK : PORTRAIT » ]
– Le cinéma de Terrence Malick – par Loris
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[toggler title= »TREE OF LIFE – A LA MERVEILLE : MALICK DU MEILLEUR AU PIRE » ]
– Où est passé Terrence Malick ? – par Pierre
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[toggler title= »CRITIQUE KNIGHT OF CUPS » ]
– Critique de Knight of Cups – par Pierre
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