Gods of Egypt
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[CRITIQUE] GODS OF EGYPT

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MISE EN SCENE ET NARRATION
5
SCENARIO ET RECIT
5
REFLEXION CINEMATOGRAPHIQUE
4
MYTHES ET POETIQUE
4
Note des lecteurs9 Notes
4.9
4.5

Dans le genre péplum issu d’une mythologie séculaire, GODS OF EGYPT d’Alex Proyas (Dark City, I, Robot, Prémonitions) s’inscrit directement dans la lignée des œuvres produites par Hollywood ces dernières années : Le choc des Titans (2011), Les Immortels (2011), La colère des Titans (2012), La Légende d’Hercule (2014), Hercule (2014), 300 : La Naissance d’un Empire (2014), etc. Budgété à plus de 140 millions de dollars, le film s’annonce déjà comme un des gros flops de ce début d’année ayant à peine réuni plus de 30 millions de dollars sur son propre territoire. Et lorsque l’on regarde les recettes des dernières œuvres « mythologiques », le genre du péplum semble bel et bien en berne : l’Exodus de Ridley Scott n’a rapporté que 65 millions de dollars aux États-Unis, 72 millions pour le Hercule avec The Rock, 18 millions pour le Hercule de Renny Harlin, seule la suite de 300 s’en tire avec les honneurs (106 millions pour un budget de 110) mais un tel chiffre reste néanmoins à relativiser par rapport au succès de l’original (210 millions pour un budget de 65). Ces chiffres contrastés dénotent d’un certain désintérêt du public pour les récits mythiques, en particulier aux États-Unis. Si les superhéros Marvel/DC ont largement leur part de responsabilité dans cette « crise » du genre, il serait pertinent de pointer du doigt les autres difficultés que rencontrent le péplum post-2010.

Pourtant, la fascination qu’exercent les mythes est inhérente à l’être humain ; nous aimons les mythes car nous y voyons une vérité cachée, généralement contenue sous une forme allégorique ou symbolique. Depuis toujours, la fable mythique contient un récit véridique que l’ornementation fabulatrice, c’est-à-dire l’imagination du poète et maintenant du cinéaste, viendrait masquer. Bien que toujours plaisant (la querelle des dieux) et émouvant (le sort de l’humanité ; l’existence d’un héros), ce que nous fait voir la fable n’en reste pas moins une illusion, une tromperie, propre aux charmes de l’imagination. Ainsi, lorsque l’on évoque les dieux – il s’agit ici des dieux de la mythologie égyptienne (Thot, Osiris, Râ, Anubis, Horus, Apophis etc.), la fable dévoile des noms et des visages qui, entrés depuis dans l’imaginaire collectif par voie orale, écrite puis visuelle, nous font voir des causes. C’est-à-dire que, du haut de leur caractère sacré, ils expliquent à l’homme les grands principes qui doivent guider sa vie (Amour, Amitié, Respect, Bienveillance, Courage, Honneur, etc.). Plus l’homme s’avère conscient de lui-même – et l’homme moderne est d’une rationalité à toute épreuve – plus les dieux se complexifient copiant ainsi les traits psychologiques propres au progrès de l’homme : ils doivent désormais incarner des concepts précis tels que le Chaos, la Bonté, la Guerre, la Sagesse, le Désordre, etc. Ainsi, la fable mythologique répond à des critères bien spécifiques dont Proyas s’empare ici avec enthousiasme : elle doit par exemple rester vraisemblable, et ne peut donc s’affranchir pleinement de la réalité, car toute fiction se doit de remonter à ce qu’elle représente. Cela implique notamment un équilibre entre vraisemblance et ornementation dont la tendance subversive, que prend parfois le film, voudrait l’entraîner vers un monde de fantasmes, de simulacres et d’icônes ; elle doit également plaire et enseigner dans le but de délivrer des vérités morales universelles qui à l’heure actuelle tombent largement en désuétudes.

Photo du film Gods of Egypt
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À observer les raisons du « semi-échec » des films mythologiques, l’hypothèse d’une « crise de l’imaginaire » apparaît comme l’incarnation idéale des maux qui traversent l’industrie hollywoodienne contemporaine. Un écart qui s’avère autant historique qu’esthétique. Il y a d’abord un décalage entre la fable comme ornement et la fable comme vérité, ou autrement dit l’image magnétique du passé historique censée nous fasciner ne parvient plus à remplir sa fonction plaisante. Tandis que l’histoire exemplaire du héros propre à tout récit épique – l’aventure d’Horus et de Bek dans GODS OF EGYPT – ne semble plus être d’actualité ; la tendance serait plutôt aux héros torturés et martyrs façon Christopher Nolan ou aux ironiques décomplexés façon Deadpool. Alors que l’écart entre le monde réel et le monde épique était propre à la fable mythologique et à son mode d’intrigue et d’actions, c’est aujourd’hui l’esthétique qui se charge en premier lieu de combler cet écart. A l’instar de jeu vidéo (God of War) ou du cinéma (300), l’esthétique vidéo-ludique de l’immersion s’est emparée de la structure de ces films revisitant les lieux et les personnages mythiques dans un monde totalement virtuel ; un monde de possibilité infinie mais dont les nouveaux poètes-cinéastes semblent incapables de renouveler un langage formel autrement qu’en puisant dans les modes actuelles (comics, jeu vidéo). Les technologies numériques ne servent alors qu’à illustrer l’ancien régime de représentation, celui d’agencer et de créer un monde mais cette fois-ci « grossi », voire « désincarné », fait non plus de fictions mais d’images et d’icônes. Ce qui est d’autant plus regrettable, c’est que le merveilleux de ces films, dont la puissance irrationnelle semble elle-même infinie, allié à ces technologies numériques, auraient dû radicaliser, voire transformer, les formes d’antan. Les films mythologiques récents ne font hélas qu’épuiser une recette datant presque de soixante ans.

”L’universalité du récit épique s’obtient dorénavant par la vulgarisation des mythes, tous réduits à la même enseigne, celle de la surenchère criarde”

Bien que GODS OF EGYPT tente par moments de tirer son épingle du jeu – Proyas y cherchant à intensifier la réalité, à jouer sur les rapports d’échelles (la taille des dieux par rapport aux hommes), à nous envoyer dans l’espace (les scènes chez Râ) – ces elliptiques expérimentations narratives et formelles ne peuvent cacher le manque d’imagination globale du film. L’universalité du récit épique s’obtient dorénavant par la vulgarisation des mythes, tous réduits à la même enseigne, celle de la surenchère criarde. La gloire et la grandeur promise à ces personnages épiques – première intention du récit mythologique – se résume finalement en un affrontement pseudo-spectaculaire entre un robot-faucon-dorée (Horus) et un robot-chacal-noir (Seth) dont la forme customisée (avec les attributs volés aux dieux morts) semble encore plus impressionnante. Dans Troie (2004), Wolfgang Peterson parvenait à donner au duel opposant Achille à Hector une véritable sensibilité cinématographique qui passait avant tout par la chorégraphie du combat, le découpage et la musique. Le film exaltait ce duel mythique mais restait dans un régime de représentation classique (comme Gladiator par exemple). A l’inverse, GODS OF EGYPT s’écarte de ce modèle de représentation, sous prétexte qu’il s’agit de superhéros-divin aux pouvoirs extraordinaires. A l’instar du modèle Marvel/DC, pour mieux exalter son fameux duel de dieu égyptien, Proyas choisit la facilité, celle de la forme « grossissante » instaurée par le régime esthétique de l’ère numérique. Pour un résultat qui s’avère évidemment moins efficace ; l’immersion ludique n’étant pas pleinement assumée. Quant au découpage numérique, c’est-à-dire l’explosion du cadre spatio-temporel de ces contraintes réalistes, celui-ci demande une sensibilité d’abstraction que peu de cinéastes maîtrisent actuellement (Lana et Lilly Wachowski, Tsui Hark).

Photo du film Gods of Egypt
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Pour résumer, car c’est évidemment un sujet qui dépasse le cadre du genre péplum-fantastique, GODS OF EGYPT souffre de deux maux majeurs : le premier étant de proposer une énième version de mythologie au rabais sous un modèle narratif classique ultra éculé (la version d’Hercule par Disney apparaît largement supérieure en termes d’émotions et d’enchantement) avec pour seul argument, l’affrontement ludique entre Seth et Horus. Et le second étant son esthétique numérique qui sans être laid – cela relève de la sensibilité de chacun – semble extrêmement confus, pour ne pas dire aucunement maîtrisée dans sa manière de distribuer lieux et personnages mythologiques. Une nouvelle déception qui sera probablement suivie d’une nouvelle désillusion au box-office, mais qui ne devrait néanmoins pas changer d’un iota les plans des studios hollywoodiens : le remake de Ben-Hur est programmé pour septembre de cette année.

Antoine Gaudé

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Titre original : Gods of Egypt
Réalisation : Alex Proyas
Scénario : Matt Sazama, Burk Sharpless
Acteurs principaux : Gérard Butler, Nikolaj Coster-Waldau, Brenton Thwaites, Geoffrey Rush, Elodie Yung…
Pays d’origine : Etats-Unis
Sortie : 6 avril 2016
Durée : 2 heures 07 minutes
Distributeur : SND
Synopsis : Dans une époque ancestrale, durant laquelle les Dieux vivaient parmi les hommes, la paix règne en l’Egypte. Mais Seth, Dieu du désert, qui convoite le pouvoir, assassine le roi et condamne Horus à l’exil, plongeant le royaume d’Egypte dans le chaos. C’est l’intervention d’un jeune voleur, Bek, qui va sortir Horus de sa prison. Ensemble, ils se lancent dans une aventure épique qui va donner lieu à une guerre sans précédent. Jusqu’aux frontières de l’au-delà, monstres et armées des dieux se déchainent dans une lutte dévastatrice…

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https://www.youtube.com/watch?v=mfGeC5AsXe4

 

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