[dropcap size=small]D[/dropcap]ans cette première partie du dossier consacré à Howard Philips Lovecraft et à ses diverses adaptations cinématographiques, nous n’allons pas nous pencher directement sur les critiques des films ou sur des séquences comparatives ; il me semble auparavant essentiel de cerner le style de l’auteur américain afin de comprendre d’où viennent les difficultés rencontrées par les différents artistes ayant eu l’idée de représenter son univers tordu, bousculant toutes les lois scientifiques et physiques établies depuis des siècles. Ainsi, le maître du fantastique se range aux côtés d’Edgar Allan Poe parmi les auteurs étant véritablement laissé derrière eux un héritage encore palpable chez de nombreux confrères, Stephen King en tête. Cependant, ce dernier se voit quasi-annuellement représenté à l’écran, par des réalisateurs aussi prestigieux que Stanley Kubrick ou Brian de Palma. Alors qu’est-ce qui fait de Lovecraft, auteur de centaines de nouvelles, un nom aussi rare sur grand écran ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre à la lecture de son œuvre.
La littérature a un atout énorme face au cinéma, pour lequel le budget détermine souvent la faisabilité d’un projet. Aucun mot ne coûte plus cher qu’un autre. Il n’y a aucune différence financière entre un roman intimiste ne suivant que quelques protagonistes, et une ambitieuse fresque historique ou mythologique s’étalant sur des années. Toutes les nouvelles de Lovecraft ne sont pas nécessairement des monuments de grandeur nécessitant des décors faramineux. Beaucoup s’en rapprochent, bien sûr, mais des écrits comme Le Molosse, ou même l’Abomination de Dunwich, font partie intégrantes de la mythologie mise en place par l’américain et ne nécessiterait pas un budget extraordinaire pour passer au septième art. Alors bien sûr, l’Appel de Cthulhu, Les Montagnes Hallucinées, et beaucoup d’autres nouvelles distillent durant des pages un gigantisme et une ambition monstrueuse qui nécessiterait des centaines de millions de dollars pour passer sur le grand écran – encore que des astuces sont toujours envisageables, nous le verrons avec le cas très particulier du réalisateur Andrew Leman. De plus, les histoires dérangeantes de l’auteur sont bien éloignées des attentes d’un public récompensant au moins trois films Marvel au top du box-office depuis des années. Lovecraft a une énorme base d’admirateurs, mentionnant par exemple l’association de fans HPLHS qui finance et produit de nombreux produits issus de son univers, mais cela ne suffit pas à convaincre les studios de mettre autant de millions sur Les Montagnes Hallucinées, portée pourtant par de grands noms comme James Cameron ou Guillermo Del Toro, que sur The Dark Knight Rises, en témoigne le combat que mène depuis des années le réalisateur espagnol face aux studios pour financer son projet. Nous reviendrons sur le cas de Del Toro plus tard ; pour l’instant, il me faut aussi aborder un aspect essentiel de l’écriture Lovecraftienne, qui, en plus du budget, explique largement la difficulté – l’impossibilité ? – d’adapter fidèlement et brillamment le génie de ses œuvres.
En effet, Lovecraft est réputé comme étant inadaptable tant son style à part, principalement son rapport à l’horreur et à la folie, n’a rien à voir avec quelque chose de descriptible et représentable. L’auteur reste fidèle durant toute son œuvre à son obsession de l’imperceptible et à l’idée que le langage humain est trop limité pour les atrocités cosmiques comme Cthulhu, qu’il n’est pas censé découvrir. Prenons par exemple la première rencontre entre l’Homme et le Grand Ancien :
« Des six hommes qui ne regagnèrent jamais le bateau, il pense que deux succombèrent tout bonnement à la peur en cet instant maudit. La Chose ne peut être décrite – il n’existe aucun langage pour traduite de tels abîmes de démence aiguë et immémoriale, d’aussi atroces contradictions de la matière, de la force et de l’ordre cosmique. »
A l’image de cet extrait, l’auteur américain ne donnera jamais de descriptions rationnelles ou classiques des péripéties. Toute son œuvre tournera autour de l’indicible, et il en fera même le titre d’une nouvelle. Ce penchant pour l’invisible et l’inconnu fait de Lovecraft un cauchemar pour quiconque prétend représenter son travail par un art visuel. Ses rares descriptions sont incohérentes ou incomplètes, laissant au lecteur le soin de calquer ses profondes phobies sur les quelques mots que l’auteur lui adresse. Et une énorme partie de l’ambiance des récits provient de cet indicible terrifiant que le lecteur comme les personnages ne peut identifier ou même imaginer. Comment, dès lors, retranscrire cette horreur à l’écran ? La plupart des adaptations n’y sont tout simplement pas parvenues, faisant d’immensités organiques cosmiques de simples zombies ou monstres géants. Parfois, la dérision assumée parvient à justifier cette impossibilité d’adaptation, je pense par exemple à Evil Dead qui est rempli de références à Lovecraft. D’autres s’éloignent volontairement de l’œuvre de Lovecraft pour affirmer leur mise en scène et chercher à capter l’atmosphère particulière des récits sans les adapter fidèlement, c’est le cas de John Carpenter avec l’excellent In The Mouth of Madness qui aura droit à une critique dans le cadre de ce dossier.
Mais d’ici là, je vous propose durant la prochaine partie de nous pencher enfin sur les spécificités des films ; ainsi, nous nous intéresserons à la première adaptation cinématographique de Lovecraft, et analyserons les procédés utilisés par Roger Corman dans La Malédiction d’Arkham, réalisé en 1963 et adapté de L’Affaire Charles Dexter Ward !
LOVECRAFT – présentation de l’auteur
LOVECRAFT et le cinéma : l’auteur est-il, par essence, inadaptable ?
LOVECRAFT et le cinéma : La Malédiction D’Arkham
LOVECRAFT et le cinéma : Re-Animator
LOVECRAFT et le cinéma : L’antre de la folie