[dropcap size=small]S[/dropcap]uite du dossier sur les adaptations cinématographiques des écrits de Lovecraft, et après le sympathique mais inoffensif The Haunted Palace sorti en 1963, nous faisons un bond de 20 ans dans le futur et nous nous penchons aujourd’hui sur Re-Animator, une production de 1985 directement inspiré d’un autre monument Lovecraftien, Herbert West Réanimateur. A partir d’une nouvelle entretenant un rapport profond avec le Frankenstein de Mary Shelley, que ce soit dans ses obsessions scientifiques ou ses questionnements moraux, Stuart Gordon s’attaque à la question à l’époque restée sans réponses concluantes ; comment adapter Lovecraft. Il y a bien eu quelques tentatives, globalement assez médiocres ou passant complètement à côté des mots Lovecraftiens, entre 1963 et 1985. Tentatives de Daniel Haller notamment, qui s’est laissé complètement submerger par La Couleur Tombée du Ciel et L’Abomination de Dunwich, adaptées respectivement en 1965 et 1970. Mais dans le cas de ce Re-Animator, pas question pour le metteur en scène d’accorder trop d’importance aux réflexions métaphysiques de la nouvelle. Plus encore que Roger Corman, qui pourtant n’avait fait que peu de cas de toute la morale du récit, Stuart Gordon détourne complètement Lovecraft pour réaliser un film surprenant.
Souvenez-vous : il y a deux semaines, nous avions vu que Lovecraft était un auteur à ambiance, et que cette atmosphère si particulière qu’il distille dans ses nouvelles était sans doute l’une des plus grandes difficultés pour un metteur en scène. Eh bien, oubliez tout ça ; Stuart Gordonn’est pas intéressé. Non, lui, il veut faire d’une nouvelle terrifiante et scientifique un bon gros délire, ultra-gore, au kitsch assumé et aux situations totalement improbables. Vous pensiez que Lovecraft était un auteur au style proche des Baudelaire ou des Edgar Allan Poe ? Le réalisateur le transforme en un double de Jean-Marie Bigard et ponctue son film de séquences ahurissantes de débilité – le viol par un homme sans tête était le firmament. Il fallait oser. Et force est d’admettre qu’on prend un sacré pied devant un film absolument jouissif de par son jusqu’au-boutisme. En moins de cinq minutes – le temps d’appeler cinq amis, de prendre un pack de bière et quelques pizzas – on se rend vite compte que Stuart Gordon n’a que faire de l’atmosphère, il n’a que faire de l’histoire ; Herbert West, le génie ambigüe et forcené de la nouvelle, est ici réduit au trait d’étudiant arrogant, au même titre que tout les personnages d’ailleurs. Assez comparable à Evil Dead, le film ose tout, et atteint finalement son objectif : faire rire grassement à partir d’une histoire vaguement basée sur Lovecraft. Les quelques passages clés de la nouvelles qui sont repris par le metteur en scène le sont à titre parodique, et certains petits clins d’oeil feront plaisir aux admirateurs de l’auteur ; Stuart Gordon est un réalisateur intelligent, et si son joyeux délire n’a rien à voir avec le récit original, à tout moment le metteur en scène témoigne d’un respect pour l’auteur qui fait plaisir à voir. Un respect qui ne signifie pas une fidélité narrative, mais un respect que l’on peut interpréter comme un « Je m’amuse comme un gosse en faisant des blagues grasses à partir d’un auteur que j’adore ». Et c’est une des choses qui font que le film fonctionne. Cette dérision respectueuse se voit mêlée à une réalisation impressionnante pour un premier film. La maîtrise d’un budget assez dérisoire, 900 000 dollars, est palpable alors que s’enchaînent des séquences qui, sur le papier, pourraient appartenir à n’importe quel nanar.
La différence, et ce qui fait de Re-Animator un film aujourd’hui culte, c’est la générosité folle avec laquelle Stuart Gordon délivre le « n’importe quoi ». Loin de lui l’idée d’effleurer le potentiel cinématographique de la nouvelle originale, il s’attache à montrer le plus de boyaux possible dans un rire gras. Une adaptation finalement très second degré, et suffisamment originale pour qu’on s’y intéresse, d’autant plus qu’elle s’avère être fort bien mise en scène. Ce n’est pas tant la photographie, parfois trop terne ou assez fade, mais la façon dont le réalisateur filme son délire en assumant une représentation visuelle absolument too-much ; en ce sens, le dernier quart du film est absolument génial. Il me parait également nécessaire de mentionner la musique de Richard Band, collant tout à fait à l’esprit du film et restant en tête longtemps après le visionnage ; à l’image de l’adaptation, elle est entraînante, sans subtilité aucune, place les petites références, notamment à Psychose, quand il le faut ; bref, elle n’a rien à voir avec l’esprit de Lovecraft mais n’en demeure pas moins une belle réussite. Habile mélange d’influences toutes assumées et poussées à l’extrême, le film de Stuart Gordon est un monument d’absurde à ne pas négliger tant son visionnage est jouissif. Lovecraft n’est en fait qu’une excuse à ce joyeux théâtre gore se situant dans l’époque contemporaine, qui parvient à être dérisoire et caricatural dans son scénario tout en offrant une mise en scène soignée ne lésinant jamais sur les effets de style et les litres de sang. Enfin, chapeau bas à l’excellente direction d’acteurs, qui compensent une caractérisation volontairement ultra-basique et à mille lieux des créations de l’auteur américain. Jeffrey Combs campe ainsi un excellent Herbert West, et un David Gale complètement déjanté achève de nous convaincre. Ce Re-Animator est un film bien particulier, qui ne dénote pas parmi les Evil Dead, Braindead ou autres films de genre. Faisant le choix de reléguer au second plan l’adaptation, pour assumer son côté impudique et hilarant de série B grasse et lourde, le film de Stuart Gordon est une réussite surprenante et bien supérieur à ses différentes suites, qui, en cherchant à pousser plus loin le délire, ne parvienne pas à capter la générosité ET le respect de l’auteur dont faisait preuve le metteur en scène. Alors bien sûr, le choix de ce film dans ce dossier peut paraître curieux ; si, sur le papier, il s’agit bien d’une adaptation, la vérité est toute autre et nous place face à un assemblage bordélique d’éléments tous plus lourdingues les uns que les autres, camouflés sous des litres de sang et de boyaux. Mais, mon dieu, que c’est jouissif !
”Force est d’admettre qu’on prend un sacré pied devant un film absolument jouissif de par son jusqu’au-boutisme. »
Stuart Gordon est un bon metteur en scène, respectueux de la nouvelle originale, et s’amuse comme un fou en filmant – de fort belle façon – un scénario qui pousse la stupidité à un niveau incroyable. Absolument hilarant, Re-Animator en dit également long sur les différentes interprétations possibles des écrits de Lovecraft. Finalement, il est peut-être préférable de voir un réalisateur pousser le délire jusqu’au bout, plutôt que de livrer une version « sérieuse » mais tronquée et loin de la richesse des écrits originaux comme l’était La Malédiction d’Arkham. Dans la seconde partie du dossier, nous verrons ce que livre Stuart Gordon lorsqu’il adapte fidèlement Lovecraft, avec Dagon ! D’ici-là, je vous donne rendez-vous demain pour la critique d’un monument inspiré indirectement de l’auteur américain, j’ai nommé L’Antre de la Folie, de John Carpenter !
– LOVECRAFT : présentation de l’auteur
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• Réalisation :Stuart Gordon
• Scénario : Dennis Paoli, William Norris et Stuart Gordon
• Acteurs principaux :Jeffrey Combs, Bruce Abbott, David Gale
• Pays d’origine :Etats-Unis
• Sortie :1985
• Durée :1h26
• Distributeur :Metropolitan FilmExport
• Synopsis :Herbert West, un étudiant en médecine, arrive dans l’université Miskatonic à Arkham, dans le Massachusetts, où il suit les cours du professeur Carl Hill sur la physionomie et le fonctionnement du cerveau. Très vite, les deux hommes s’opposent car West prétend pouvoir vaincre la mort. Dans la cave transformée en laboratoire de Dan Cain, un autre étudiant, West met au point une étrange mixture qui, selon lui, permettrait de réanimer les morts. Le chat de Dan est ainsi ramené à la vie…
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https://www.youtube.com/watch?v=NCGGG_NvE4g