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Daft Punk, épilogue – Analyse

C’est à travers une vidéo YouTube, sobrement intitulée « Epilogue », que les Daft Punk ont annoncé ce lundi 22 février leur séparation, mettant fin à 28 ans d’une collaboration mythique.

Après la sidération, les témoignages et les articles n’en finissent plus de pleuvoir pour rendre hommage au célèbre duo casqué. L’héritage culturel qu’ils laissent derrière eux est proportionnel à l’émotion générée. Chefs de fil du mouvement French Touch dans les années 90, les Daft Punk ont façonné l’industrie musicale des années 2000 jusqu’à nos jours. C’est en 2013 qu’ils atteignent le toit du monde avec la sortie de leur dernier album Random Access Memories et ses cinq Grammy Awards.

La house music dont ils sont les représentants puise dans le funk et le disco des années 70 qui seront un vivier de références notamment à travers le cinéma, la science-fiction et la pop-culture. Dès le début, le groupe se démarque par un génie du marketing redoutable. L’identité visuelle fait partie intégrante du projet, dans une démarche artistique totale. Daft Punk est plus qu’un groupe, plus que de la musique; c’est un concept, un monde, un univers qui construit ses contours morceau après morceau.

Homework & Around The World

Les accointances du groupe avec le cinéma se font sentir dès le premier album Homework et le clip Da Funk réalisé par Spike Jonze. Véritable court-métrage qui suit les mésaventures d’un chien humanoïde dans les rues de New York. Le personnage reviendra dans le clip de Fresh, prémices d’une volonté de construire un univers étendu aux accents surréalistes et fortement cinématographique.

Mais c’est avec Around The World que les Daft Punk posent les bases de leur univers. Un clip signé Michel Gondry qui est déjà un réalisateur de clips à succès. Cette collaboration confirme les ambitions stylistiques du groupe. Gondry, formaliste hors pair avec ses expérimentations novatrices, compose un objet au concept simple mais extrêmement fort. Une chorégraphie pensée comme une transposition visuelle du morceau des Daft Punk. Les différents personnages du clip représentent les différentes parties qui composent la partition du titre. Bien plus qu’une simple illustration, Gondry utilise sa mise en scène pour donner vie à la musique qui s’incarne dans un espace scénique. Transmutation du son à l’image par le mouvement de corps organiques et robotiques qui s’entrechoquent dans un ballet aux allures d’étrange programme informatique. La figure du robot émerge pour incarner cette musique du nouveau siècle, faite de machines et de sampler. Comme un pied de nez aux critiques réactionnaires de l’époque qui parlent alors d’une musique sans âme, mécanique et artificielle. Les robots, alter-ego de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, prennent vie sous nos yeux et sont prêts à envoyer leur premier hit tout autour du monde.

Hadrien

Discovery & Interstella 5555

Thomas Banglater confiait dans une interview pour Trax en 2001 : Discovery est un album qui foisonne de références à l’enfance et à l’éveil au contact de la musique. « C’est un peu comme si on avait juste repris les éléments de plusieurs jouets pour en créer un nouveau » déclare-t-il. Loin de la maturité de Random Acess memories, Daft Punk s’accomplit aux yeux du monde avec une œuvre unique, inclassable celle de deux enfants donnant à voir leur imaginaire débridé. Le curieux mélange qui s’opère entre rock, pop, funk et techno aboutit à un film d’animation japonais sorti en 2003, Interstella 5555: The Story of the Secret Star System, condensé des obsessions du groupe. Réalisé par Kazuhisa Takenouchi sous la direction de Leiji Matsumoto himself, père d’Albator.

L’épopée interstellaire trouve un point d’ancrage seyant entre les sonorités épiques de l’album et la pureté de la ligne narrative, parfaitement adéquate. D’un concert galactique interrompu par des terroristes aux conflits terriens les opposant à un producteur véreux, les « Crescendolls » participent à une odyssée musicale où les références aux animés des années 80 se démultiplient. Le rêve d’un enfant, en somme, celui aussi de deux artistes ayant été bercés par la culture d’une époque bénie, dont ils ont su extraire la matière première. Un curieux mélange de saveurs, épique et touchant, le reflet d’une époque désormais révolue : une exposition à destination de tout enfant ou néophyte désireux de découvrir qui était Daft Punk.

Emeric

Human After All & Daft Punk’s Electroma

Le concept de ce troisième album, sorti en 2005, tient dans son titre, Human After All. Un an plus tard, les Daft Punk présentent à Cannes leur premier long métrage, Daft Punk’s Electroma. Le film est pensé dans la lignée de l’album, reprenant ses thématiques principales. Entièrement muet, il s’agit d’un road movie expérimental qui suit la traversée des deux robots iconiques en quête de leur humanité. Les deux artistes proposent une œuvre sans concession, un objet cinématographique radical. L’esthétique est léchée et les plans que compose Thomas Bangalter (seul crédité en tant que directeur de la photographie) sont chargés de références. Le film s’ouvre en plein désert et c’est tout un pan du cinéma américain qui se retrouve convoqué. La patine de la pellicule, les couleurs, les cadrages et les mouvements de caméra, transpirent le cinéma des années 60-70 (Bullitt, Duel, Easy Rider, Point Limite Zéro…). La première séquence du film, à bord de la rutilante Ferrari 412 noire immatriculée human, est un hommage vibrant à ce sous-genre d’exploitation.

le road movie comme échappatoire

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Le duo arrive en ville et découvre une population de robots humanoïdes à leur image. L’american way of life à travers le prisme Daft Punk, la métaphore satirique est alors limpide. L’iconographie pourrait rappeler les peintures d’Edward Hopper dans une version surréaliste cauchemardesque quand l’influence d’un David Lynch semble elle aussi planer non loin. Suivront des séquences de plus en plus expérimentales, proposant d’hypnotiques tableaux, travaillant sur la longueur des plans pour une expérience physique de la durée. Dans la dernière partie, les deux réalisateurs vont jusqu’à citer explicitement Gerry de Gus Van Sant avec ces longs travellings qui suivent la lente marche des personnages dans le désert américain.

Les Daft Punk font dialoguer les œuvres entre elles et transposent leur méthode de création élaborée dans la musique au cinéma. Le travail de sublimation des œuvres à travers l’utilisation du sample, ils le reproduisent au cinéma pour un résultat toujours passionnant mais surtout extrêmement signifiant à l’égard du fond de leur démarche artistique. C’est sur ce même principe que les Daft Punk remixent la fin de leur long métrage qu’il réutilisent en guise d’Épilogue à leur carrière exemplaire.

Random Access Memories & Epilogue

Il faut également noter la place prépondérante laissée au silence dans les longues séquences de désert bercées par le seul bruit du vent. Sur leur dernier album Random Access Memories, le morceau Beyond nous dit, “The perfect song is framed with silence”. L’explosion finale précédée du silence laisse échapper une ultime infrabasse. Cette fin annoncée semblait déjà programmée depuis longtemps. Après l’activation de ces corps mécaniques dans Around The World, les Daft Punk nous disent la nécessité de s’en affranchir. Beyond, au-delà du corps, au-delà de cette armure, d’une identité iconifiée qu’il faut maintenant détruire pour trouver l’ultime morceau, l’ultime son contenu dans une infrabasse originelle.

À travers les quatre albums des Daft Punk, on suit l’évolution de la conscience des ses deux robots. Depuis les premières paroles réduites à deux ou trois mots jusqu’aux questionnements existentiels de Random Access Memories. Le dernier androïde continue son chemin dans le désert en direction du soleil couchant sur les paroles du morceau Touch, “Hold on / If love is the answer you’re home”. Les Daft Punk sont allés au bout de leur quête initiatique et au milieu du désert ils ont trouvé leur humanité dans l’amour.

Hadrien

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