Le cinéma peut faire figure d’échappatoire lorsqu’il invite le spectateur au voyage, le temps d’un film. En ces temps de confinement, le choix du road movie paraît judicieux dès lors qu’il permet l’évasion et un dépaysement indispensable. Accepter de suivre des personnages dans leur quête, c’est participer à l’expédition initiatique, au périple mystique riche en apprentissages. Une sélection de dix films pour fuir à travers l’inconnu sans bouger de son canapé.
O’brother de Joel et Ethan Coen (2000)
Lieu et époque du voyage : Le Mississippi profond, les années 30.
Réécriture moderne de l’Odyssée d’Homère, le film des Coen présente trois bagnards évadés parcourant le Mississippi en quête de liberté. Ces personnalités attachantes connaîtront diverses péripéties, et d’une rencontre avec le Klu-Klux Klan à la création d’un tube de country devenu culte, difficile de ne pas se divertir de cette aventure unique. Les Coen proposent un récit aux multiples visages, enchaînant les séquences où se mêlent habilement merveilleux et absurde. L’interprétation remarquable de Georges Clooney en benêt attachant guidant ses comparses participe à la création d’une atmosphère plaisante et savoureuse. On ne peut que rire et éprouver un réel plaisir coupable en suivant la fuite de ces charmants pieds nickelés, de très bonne compagnie en ces temps de confinement.
Thelma et Louise de Ridley Scott (1991)
Lieu et époque : de l’Arkansas jusqu’au Grand Canyon, les années 80.
Cette épopée féministe a tout pour réjouir. En narrant l’émancipation progressive de deux femmes, Ridley Scott enchaîne les séquences de bravoure et revisite avec sa caméra les grands espaces de l’ouest américain. Précurseur et avant-gardiste, le propos général du film a fait débat lors de sa sortie mais reste terriblement d’actualité. Il était en effet peu commun au début des années 90 de raconter la révolte de deux femmes face à l’oligarchie masculine. Suivre Thelma et Louise, c’est goûter à un vent délectable de liberté, un éloge de l’indépendance rythmé et épique. Un voyage culte et cathartique auquel il convient de participer.
Point limite zéro de Richard C. Sarafian (1971)
Lieu et époque : de Denver à San Franciso, les années 70.
Plus minimaliste dans le scénario et destiné aux amateurs de suspens, Point limite zéro part d’un postulat simpliste : Kowalski, ancien policier, parie qu’il peut réaliser le trajet Denver-San Franciso en moins de quinze heures à bord d’une Dodge Challenger R/T et ce face à de nombreux détracteurs. Le scénario n’est qu’un prétexte à l’aventure et à des situations où la tension dramatique se déploie avec intensité. Cleavon Little, avant de jouer les shérifs chez Mel Brooks, excelle en animateur radio servant de contre-point comique à la quête principale. Les scènes de poursuite n’ont que peu vieilli et le suspens sévit jusque dans les dernières minutes d’un film où l’endurance du spectateur est mise à rude épreuve. Quoi de mieux que des moteurs rugissants et une traque acharnée pour lutter contre la monotonie du confinement ?
Les fils de l’Homme d’Alfonso Cuarón (2006)
Lieu et époque : Londres et plus généralement l’Angleterre, 2027.
Le monde est surpeuplé, l’humain est dans l’interdiction de se reproduire et Clive Owen, en tongs, doit traverser l’Angleterre pour sauver la dernière femme porteuse d’un bébé. Cette dystopie a acquis le statut de film culte avec le temps et on ne peut qu’approuver. Cuarón propose une véritable leçon de cinéma, maniant le plan séquence à la perfection et accompagnant caméra à l’épaule ces visages désorientés et abîmés par l’agressivité de leurs contemporains. La campagne Londonienne, en proie à la guerre civile, est le spectacle désarçonnant d’affrontements entre militants anarchistes et l’armée. De cet abîme surgira la lumière, entretenu par Théo et Kee, détenteurs du seul espoir pour l’humanité. Jusque dans les derniers plans de cette épopée moderne, le spectateur ne saura s’ils parviendront à sauver le nourrisson, motif unique de leur survie dans un univers des plus inquiétant. Le réalisme de l’œuvre et la propension qu’a le film à crédibiliser un avenir pessimiste ne laisse pas indemne. C’est un voyage plus obscur que ceux énoncés au préalable, mais la réflexion engendrée reste lourde de sens.
Une histoire vraie de David Lynch (1999)
Lieu et époque : de l’Iowa jusqu’au Wisconin, les années 90
Sûrement le film le plus abordable de son metteur en scène. L’originalité du récit réside dans l’incongruité du voyage : lorsque son frère lui annonce une mort certaine, Alvin, qui ne l’a pas vu depuis dix ans, décide de traverser tout un pan des États-Unis pour le rejoindre… à l’aide d’un tracteur. S’en suit de nombreuses rencontres, chacune riche en apprentissages pour le personnage, en quête de rédemption. Cette fable dépaysante a tout d’un apologue qui questionne les travers de l’industrialisation et la dépendance à la modernité. Les péripéties vécues introduisent grand nombre de problématiques : d’une adolescente enceinte à une conductrice ne contrôlant pas ses pulsions, le film réfléchit la notion de voyage comme source de philosophie et de méditation. Outre la destination, c’est avant tout l’aventure comme origine du fondement humain qui prime, et ce malgré l’âge : Alvin apprend encore à observer et questionner ce qui l’entoure, paradoxalement grâce à la lenteur de son tracteur. Sa vision se substitue à celle du spectateur qui sortira tout aussi grandi de ce périple à échelle humaine.
Mad Max: Fury Road de Georges Miller (2015)
Lieu et époque : Inconnu, dans un futur apocalyptique
Quand le voyage devient un prétexte à la virtuosité visuelle. Cet aller-retour n’est qu’un argument pour déployer tout le génie de son metteur en scène : l’action n’aura jamais été aussi bien filmée et grand nombre de plans restent ancrés dans la rétine longtemps après la projection. Les séquences qui repoussent les limites de l’humain se démultiplient : les personnages avancent au rythme des moteurs et des riffs d’une guitare enflammée, luttant contre le despotisme et la dictature imposés par Immortan Joe. Plus que des esprits questionnant leur monde, il s’agit de corps sur l’échiquier d’une partie incertaine, jusque dans les derniers instants. Face à la barbarie, Furiosa et Max s’unissent et trouvent des points de convergence dans un affrontement sans pitié. Jusqu’au champ-contre-champ final, libérateur, les héros sont en mouvement dans des paysages dystopiques multicolores où le danger surgit de n’importe quel coin du champ. D’une perche à une balle égarée, tout peut altérer cette quête de liberté chère aux héros. Visionner Mad Max: Fury Road, c’est participer à un périple aliéné, une bande-dessinée en mouvement où la fantasmagorie d’un metteur en scène peut s’étaler jusqu’à perte de vue. L’idéal, en somme.
Easy Rider de Dennis Hopper (1969)
Lieu et époque : De Los Angeles jusqu’à la Nouvelle Orléans, les Années 60-70
Film phare du mouvement hippie, Easy Rider est surtout le constat d’une cohabitation impossible entre deux époques. L’Amérique traditionnelle ne peut accepter le changement invoqué par une nouvelle culture se revendiquant du spiritualisme et du psychédélisme. Wyatt et Billy sont victimes de l’absurdité et de l’illogisme d’un pays en proie aux doutes. Jetés en prison à tort et voués à un destin funeste, leur voyage est l’allégorie du film lui-même. Porte-étendard d’un renouveau dans le cinéma américain, Easy Rider est avant tout un plaidoyer prônant une liberté dans la création artistique face à l’emprise des studios. Le voyage contemplatif dresse un discours amer en observant les comportements grégaires et l’incapacité de l’Homme à s’adapter au changement, à l’accepter. La naissance du nouvel Hollywood coïncide avec la sortie de ce film, premier grand succès d’un cinéma dit indépendant. Comme si la quête de liberté des personnages coïncidait avec celle des réalisateurs à l’encontre des producteurs. Outre cet engagement, le film offre un voyage prenant et riche en émotions, où les paysages majestueux s’enchaînent devant ces motos si atypiques et représentatives d’une époque révolue.
Emeric Lavoine
My Own Private Idaho de Gus Van Sant (1991)
Lieu et époque : De Portland à l’Italie, les Années 90
Il y a dans ce film tous les éléments et toutes les thématiques qui composent le cinéma de Gus Van Sant, l’homosexualité, les milieux underground, la toxicomanie, la jeunesse, la musique et, bien entendu, la route. Le film est une histoire d’amour tragique entre un magnifique Keanu Reeves et un River Phoenix incandescent qui se prostituent et vagabondent dans les quartiers interlopes de Portland. My Own Private Idaho est aussi une réécriture de Henri IV de Shakespeare. Les deux amis partent à la recherche de la mère de Mike (River Phoenix), constamment terrassé par des crises de narcolepsie qui ouvrent le film à une divagation onirique et existentielle. Il en découle une expérimentation formelle qui façonne le cinéma de Van Sant, les mouvements de caméra, la lenteur des plans, le format de l’image et l’importance accordée aux portraits. C’est également une porte d’entrée sur le cinéma indépendant américain influencé par la contre culture et les milieux underground.
Into The Wild de Sean Penn (2007)
Lieu et époque : De la Virginie à l’Alaska, les Années 90
Quatrième long-métrage de Sean Penn qui retrace l’histoire vraie de Christopher McCandless à partir du récit éponyme écrit par Jon Krakauer en 1996. Fraîchement diplômé, le jeune Christopher décide de tourner le dos à l’idéal de vie capitaliste qui lui est promis pour partir arpenter les grands espaces américains. Emile Hirsch incarne ce personnage romantique parti à la recherche d’un héritage perdu, l’essence du mythe américain enfoui dans les chimères d’un rêve. Des pères fondateurs à la Beat Generation, le film est habité par les fantômes de cet imaginaire romanesque, Jack London et Jack Kerouac. C’est cette émanation que Sean Penn parvient à magistralement capter à travers les paysages d’une Amérique quasi mythologique voire mystique, sublimé par le travail du chef opérateur, Eric Gautier et porté par la somptueuse bande originale signée Eddie Vedder. Un moyen de tromper l’angoisse du confinement avec des fantasmes d’évasion, de grands espaces, l’appel toujours lancinant de la route et son éternelle promesse faite à l’horizon.
L’Été de Kikujiro de Takeshi Kitano (1999)
Lieu et époque : L’arrière pays Nippon, les Années 90
Le jeune Masao se retrouve bien seul pendant les vacances d’été à Tokyo, il décide de partir à la recherche de sa grand mère accompagné d’un vieux Yakuza grincheux. Kitano s’oriente vers le genre picaresque en envoyant ses protagonistes arpenter l’arrière pays nippon. Le coeur du film réside dans la relation touchante qui se noue entre les deux personnages tous deux en quête de liens filiaux. Kikujiro apprend la truande et ses petites combines de malfrat à son nouveau protégé, c’est le seul héritage que le vieux yakuza peut lui transmettre. Qu’importe, cette relation naissante bouleverse par la simplicité et l’intensité des émotions qui en émane. Ce road movie se rapproche du conte. En voulant s’éloigner de son genre de prédilection, Kitano livre son film le plus touchant et peut-être le plus personnel sur la figure de la paternité. On retrouve une nouvelle fois Joe Hisaishi à la bande originale pour peut-être le thème musical le plus emblématique de leur collaboration. On vous met au défi de ne pas verser de larmes !
Hadrien Salducci
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