« Good to be informed in twenty foot high lettering, and a real nice font, the precise details of her last moments, y’know ? ».
Dans l’Ebbing, au Missouri, Mildred Hayes, la mère d’Angela Hayes, une jeune fille victime de viol puis de meurtre sept mois auparavant, décide de secouer la tranquillité de la ville afin d’obtenir une réaction de la part des habitants. L’inactivité de la police face à ce crime l’incite à louer trois gigantesques panneaux publicitaires, sur lesquels elle inscrit : « Violée lors de ses derniers instants » « Et toujours pas d’arrestations » « Pourquoi Chef Willoughby ? ». S’engage alors une lutte (est-ce vraiment une lutte ?) entre Mildred et les forces de l’ordre, dans laquelle se révèleront des personnages tous plus impressionnants les uns que les autres.
Ce film repose sur la difficulté qu’a le spectateur à distinguer le « bon » du « mauvais ». Cette dichotomie entre le bien et le mal est un des thèmes centraux du film. Mildred cherche un coupable, mais qui n’en est pas un ? Cependant ce que lui crie le nouveau shérif après l’incendie ayant touché les panneaux : « We ain’t all the ennemy you know », est difficile à entendre et à accepter pour une mère que l’on a privé de son enfant.
L’écriture de McDonagh offre une nuance inouïe à chaque personnage. Même Mildred, malgré sa douleur et l’empathie immédiate qu’elle suscite chez le spectateur, finit par mettre la vie de quelqu’un en danger. Elle reste ambiguë et peut être considérée victime ou coupable selon les différents points de vue des personnages.
Si, à l’issue du premier visionnage, il nous vient à l’idée de nous poser la question regardant qui est la victime, on peut initialement penser que la seule véritable victime est Angela. Violée, immolée, son personnage n’est pas présent plus de trois minutes pendant le film, et son unique et courte scène sert uniquement à nous donner un aperçu de sa vie familiale tourmentée. En effet, Angela semble avoir été malmenée dans la vie, et dans la mort, elle est donc une victime toute désignée, attirant la pitié du spectateur dès les premières minutes (et cela ne fait qu’empirer tout au long du film).
Mais on comprend, lorsqu’une biche apparait sur le lieu de son décès alors que Mildred s’y trouve, que sa fille repose désormais en paix. Angela n’est pas la biche venue faire ses adieux, cela serait inutile, sa mère ne croit pas en la réincarnation. Il est cependant clair que cette biche n’est pas sans lien avec elle. Son apparition, presque féerique, est destinée à faire comprendre au spectateur, ainsi qu’a Mildred, que sa fille ne souffre plus, elle est en paix. Angela est morte, elle n’a plus à vivre dans la tragédie (ni de sa vie, ni de sa mort), il n’est plus nécessaire de la plaindre.
Les vraies victimes sont les enfants qui, eux, doivent encore supporter le poids que la vie a mis sur leurs épaules ; comme par exemple Robbie, le frère d’Angela (brillamment incarné par Lucas Hedges). Ses sentiments sont négligés par sa mère, son père ne fait pas le moindre effort pour aller vers lui, il est en deuil de sa sœur et harcelé à l’école à cause des fameux panneaux. Il est assailli de toutes parts et personne ne vient à son secours. Ni sa mère, trop occupée à regretter son autre enfant, ni son père, trop occupé à remplacer son autre enfant, ni le prêtre trop occupé par les panneaux pour remarquer son mal-être. Cette négligence inouïe à laquelle fait face un enfant seul, endeuillé et désespéré tord le cœur. Surtout lorsqu’au fur et à mesure du film, il se conduit avec toute la courtoisie et de maturité qui manque cruellement aux adultes.
La victime est Pamela, la petite copine du père d’Angela, qui semble être utilisée comme une fille de substitution plus qu’autre chose. La position de leur siège au restaurant en dit long : ils ne sont pas face à face, ils sont côte à côte, ce n’est pas une soirée entre amoureux, contrairement à celle que Mildred partage avec le Midget, ils sont eux assis face à face.
Les victimes sont aussi les deux petites de Willoughby, destinées à haïr aveuglement Mildred pour le reste de leur vie, en la croyant responsable du suicide de leur père.
Mais alors, si les victimes sont camouflées en personnages secondaires, où se trouvent le, ou les, coupables ? On peut penser que tout le monde est coupable d’avoir adopté un comportement passif devant l’inactivité de la police, puis agressif envers Mildred alors que celle-ci réclamait justice. Ou on peut penser que chaque personne n’ayant pas été directement impliqué dans le meurtre et viol d’Angela n’est pas coupable. Il est difficile de trancher sur un film comme celui-ci où les personnages sont tous écrit avec tant de nuances. Il n’y a qu’un seul coupable que nous pouvons accuser sans aucun doute c’est bien entendu le violeur d’Angela. On le croit enfin démasqué à la fin du film, et alors que l’on se prépare à enfin assister au dénouement, à un rendement de justice et à la sérénité retrouvée de Mildred, avant d’apprendre que l’homme du bar n’est pas le criminel recherché.
Ce n’est pas anodin, le but de l’histoire n’est pas réellement de mettre le violeur derrière les barreaux. Ce n’est donc pas la fin pour Mildred, et elle-même le sait, même si l’homme s’était révélé être coupable, elle n’aurait pu passer à autre chose si facilement. En attendant, elle se met tout de même en route pour tuer cet homme du bar qui, Dixon en est convaincu, est un criminel, même s’il n’est pas celui responsable de la mort d’Angela.
C’est sans doute là le véritable accomplissement pour Mildred. En faisant en sorte que rien n’arrive à la fille d’un autre, en anéantissant cet homme dangereux, elle aura l’impression d’avoir enfin vengé sa propre fille, d’avoir fait justice, même si ce n’est pas de la manière qu’elle espérait. Cette scène clôture merveilleusement bien le développement de son personnage ainsi que celui de Dixon. Les dernières lignes de dialogue sont admirables et elles nous mettent les larmes aux yeux tant la vulnérabilité retrouvée de ces personnages est touchante.
– You sure about this?
– About killing this guy?
– Not really. You?
– Not really.
– I guess we can decide along the way.
Mais on comprend dans la voiture que Mildred ne commettra aucun acte violent, son bandeau de guerrière, habituellement noué sur sa tête, est désormais à son cou, la violence n’est plus la réponse.
Esther E.
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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